dimanche 22 mars 2009

Les musées anglais, espaces démocratiques.

Lors d’un voyage scolaire, le travail de l’enseignant est lourd. On passe sa journée à encadrer des élèves pas toujours prêts à vous obéir, on respecte des horaires contraignants avec des transporteurs, des familles d’accueil, des musées, des sites… On gère les quelques problèmes de santé qui surviennent, on fait manger les gamins quand il faut, on angoisse lorsque trois gamines ne reviennent pas au point de rendez-vous à temps après un temps libre. Cependant, et malgré la pression très forte qui pèse sur nous, on a quand même le temps d’observer le pays dans lequel on se trouve.

Donc, cette année, j’avais la joie d’organiser un voyage vers le Royaume-Uni. Nous avons passé un bon moment à Londres et avons visité un grand nombre de sites. Parmi ceux-là, se trouvaient deux musées très importants de la capitale anglaise : la Tate Modern Gallery et la National Gallery. A chaque fois que je me rends dans un musée anglais, j’éprouve le même sentiment que je voudrais te faire partager aujourd’hui.

D’abord, ces grands sites sont gratuits. Par rapport à la France, cette mesure à de quoi surprendre. Le Royaume-Uni a clairement décidé d’ouvrir ces grands lieux à l’ensemble des habitants de notre planète. Le contraste avec la France est net : chez nous, la plupart des grands musées coûtent entre 8 et 15 € pour une visite d’une journée. En France, on entre dans des monuments dans lesquels tout le monde ne peut pénétrer librement. A Londres, les musées sont quasiment inclus dans l’espace public.

Et cela se retrouve dans les comportements des visiteurs. Dans les musées londoniens, les enfants, très nombreux, courent et s’agitent autour des œuvres, donnent leurs opinions, questionnent, et surtout, font du bruit. Les étudiants en art discutent entre eux ou avec des professeurs, s’allongent pour gribouiller quelques esquisses et croquis, sous l’œil bienveillant des autres visiteurs. Des discussions s’improvisent de ci de là. Nos élèves, parmi cette masse de visiteurs, semblent se sentir bien et regardent les œuvres, assez librement. A la sortie de la Tate, beaucoup se demandent ce qu’est l’art : notre mission d’enseignants est réussie.

Quelle différence avec les grands musées français. Là, le musée devient un temple des grandes œuvres. Le silence est de rigueur. Les visiteurs se regardent en coin, n’osant exprimer leurs opinions qu’à voix basse, sous le regard dur des agents de sécurité, prompts à réprimer tout débordement. Les groupes scolaires sont invités au calme et au silence, et ne peuvent finalement s’exprimer que dans le chuchotement respectueux voire humble. Souvent, les élèves de mon lycée dit difficile se sentent mal dans ces musées, non pas qu’ils s’ennuient ou ne s’intéressent pas au sujet, mais parce qu’ils ne se sentent pas bienvenus.

Sur ce point, et contrairement à beaucoup d’autres, je crois que nous avons vraiment à prendre de la graine des Britanniques. Ce rapport à l’art, totalement différent, pourrait être transposé chez nous, permettant aux grandes œuvres de sortir de nos élites pour être diffusées auprès de l’ensemble de nos concitoyens et de nos visiteurs étrangers. On pourrait déjà rendre les musées gratuits, histoire de commencer à mener ce processus de démocratisation de l’accès à l’art…

8 commentaires:

  1. Sur ce point, et vu l'horreur que vous décrivez, je pense qu'il faut se garder de la peste de ce "modèle" britannique !

    Et même doubler le prix d'entrée de nos musées, tiens.

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  2. J'ai été surprise, à Bordeaux, de voir que tous les accès aux musées étaient gratuits.
    Bizarrement, le musée des Beaux Arts fait vraiment grenier en fouillis et le Musée d'Art Contemporain (dans les anciens Abattoirs !) est très pédagogue (remarque heureusement).

    De plus, comme tu le dis, quand c'est payant, c'est cher, souvent plus qu'une place de cinéma.
    Dur dans ces conditions d'intéresser les jeunes à l'art !
    Plus grave, on a l'impression quelques fois que le public est méprisé : pas d'explication, quasiment pas de siège, des notices à peine lisible sur le mur, ...
    Et puis ces grandes expositions parisiennes, qui font l'article, et sont parfois mauvaises, sans parler des conditions de réception (files d'attente très mal gérées) : comme par exemple la très snob exposition intitulée "la mélancolie" au Grand Palais, avant que les travaux soient finis.

    Sur Montpellier, les trajets de visite et la cohérence d'exposition des oeuvres ne sont pas du tout expliqués, et on trouve même des tableaux du même peintre (Bourdon et Greuze, aussi) à des niveaux différents du musée. C'est vraiment dommage et cela donne l'impression aux visiteurs de louper quelque chose.

    Bref, il y aurait beaucoup à dire !

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  3. @ Didier : je pensais que vous seriez intéressé par cette ambiance bistro.

    @ Audine : oui, il y a du travail. D'autant plus qu'il y a inflation des prix des musées français, sans doute à cause du désengagement de l'État.

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  4. Mathieu : quand j'ai envie d'une ambiance bistrot, je vais au bistrot !

    Démocratiser l'art est une absurdité, une contradiction criarde dans les termes, une aporie furieusement moderne. L'art est essentiellement élitiste, il est l'élitisme même. S'il cesse de l'être, il périt : c'est du reste ce qu'il a commencé de faire.

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  5. Didier: emmener les enfants au musée, c'est avoir envie de leur montrer de que l'homme est capable de faire de beau. Ce qu'ils voient, parfois dans le brouhaha, souvent trop vite, ils auront peut-être envie de le revoir plus tard. Ils se souviendront aussi d'une petite salle obscure où une sculpture les aura frappés, d'un détail, d'une explication, tout est toujours bon à offrir - et à prendre.

    Je suis contre la gratuité, par contre: les cigarettes, les cartes d'unités de téléphone portable, les ticheurts Adidas et les casquettes NY sont-ils gratuits ?

    en post-scriptum: c'est rigolo de voir la tête des enseignants qui rentrent d'un voyage scolaire avec leur classe d'adolescents. Ils ont l'air beaucoup plus éprouvés physiquement qu'Ingrid Bettancourt après des années de captivité dans la jungle, et on lit dans leurs yeux le désir qu'ils ont de leur banquette, de leur lit ou de la chaise longue de leur terrasse, et de SILENCE....

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  6. @ Didier : l'art n'est pas élitiste, il est ce qu'on en fait.

    @ Suzanne : à mon sens, l'art n'a rien à voir avec une casquette. Par contre, ta vision des enseignants est assez réaliste. Je ne me remets toujours pas de ce voyage, alors que je suis encore vaillant. Je n'imagine pas ce que ce sera à 65 ans...

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  7. Je me demande quel air auraient pris Picasso, Aragon, Eluard, et bien d'autres, si on leur avait dit avec un aplomb si absolu : "l'art est l'élitisme même". Air dépité ? Menaçant ? Lassé ? Ou l'air typique en face duquel on a l'impression d'être très très ridicule ? Revenons à des bases : le but de l'artiste c'est de faire passer quelque chose. Si ceux qui l'écoutent, le regardent ou le lisent passent au travers, il a raté son œuvre. Le but de l'artiste c'est de "toucher" le monde. Or, par définition, les élites ne constituent pas le monde.Comprendre une œuvre d'art cela s'apprend c'est certain, quelque soit le domaine artistique. Après le ressenti, il est important de passer à l'analyse. Mais on en revient bien donc toujours au problème de l'accès : pour avoir envie d'étudier une œuvre, il faut avoir pu être confronté à elle. Et effectivement la gratuité des musées, des expositions, de quelques salles de musique et des prêts en bibliothèques me semble fondamentale. L'art est à nous, au peuple. Que les artistes encore vivants demandent une contribution afin de vivre de leur travail, je le conçois. Mais concernant les œuvres appartenant au patrimoine culturel de tout un pays, j'ai dû mal à comprendre pourquoi il ne pourrait être mis à notre disposition. J'envie les Anglais sur ce point et leur attitude que tu as décrite dans les musées me paraît être la plus propice au développement de l'amour de l'art et à sa connaissance. L'enthousiasme, c'est quand même le véritable moteur de l'apprentissage !

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  8. @ Nathalie : je crois que la majorité de ce message s'adresse à Didier. Cependant, j'ajouterais que je ne parlerais pas d'enthousiasme, mais d'aisance et d'ouverture d'esprit. Enthousiasme est sans doute un terme un peu fort dans ce cadre précis.

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Laissez-moi vos doléances, et je verrai.

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