Je vais te conter aujourd’hui, cher lecteur, dans ce 300ème billet, la nouvelle stratégie qu’utiliseraient les administrations rectorales pour inciter les conseils d’administration des établissements du secondaire à voter les suppressions des postes d’enseignant que nous devons poursuivre vu la loi de finances pour 2009.
Qu’est-ce que c’est que cela ? Je t’avais déjà expliqué le processus précédemment, mais je recommence. A la fin du mois de janvier, les rectorats pour les lycées et les inspections d’Académie (IA) pour les collèges expédient aux chefs d’établissements ce que l’on appelle la dotation horaire globale (DHG) pour l’année scolaire suivante. Il s’agit des heures d’enseignement attribuées à chaque bahut. Ces heures sont basées sur les prévisions démographiques de l’établissement, sur les mouvements des élèves qui essaient de fuir la carte scolaire et sur les politiques menées par l’État sur ces questions. Depuis 2007, la tactique est de faire passer des heures de titulaires de poste à des heures supplémentaires pour réduire le nombre de fonctionnaires et inciter les enseignants restants à faire des heures supplémentaires pour assurer les cours. La réforme des lycées visait à diminuer les heures de cours pour faciliter ces suppressions.
Une fois ce document reçu, le chef d’établissement prépare une répartition de ces heures pour coller aux programmes mais avec une certaine marge de manœuvre. Contrairement à ce que le ministère dit souvent et à ce que diffuse les libéraux anti-fonctionnaires, une importante marge d’heures est laissée, surtout dans les bahuts difficiles comme le mien, pour attribuer des heures à des activités spécifiques et à des projets pédagogiques initiés par les enseignants du cru, soit en heures postes, soit en heures supplémentaires. Ainsi, il existe une vraie marge de manœuvre pour un proviseur qui mène un bon management et qui estime que les profs doivent être valorisés lorsqu’ils se donnent un peu. Dans mon lycée dit difficile, cela correspond à presque 10% de la DHG, soit environ 150 heures annuelles, ce qui n’est pas rien.
Une fois que le chef a fait ce travail, le résultat est discuté en conseil d’administration. (CA) Là aussi, et contrairement à l’image traditionnellement véhiculée, les profs ne sont pas majoritaires, les élèves et les parents ayant autant de poids qu’eux, et les projets pédagogiques doivent être chèrement défendus. C’est à ce moment-là qu’on propose créations ou suppressions de postes éventuels, en fonction des différents paramètres locaux.
Cependant, et pour te démontrer que l’autonomie des établissements n’est pas pour demain, les administrations centrales ont la possibilité de refondre totalement le travail démocratique des CA locaux, et de refaire la répartition comme elles le souhaitent. Vu que les CA, et autant les élèves que les profs et les parents, refusent en général les suppressions de postes et font des montages pour les maintenir, les rectorats refont les copies. C’est pour cela que je rigole doucement lorsque les politiques parlent d’autonomie des établissements : si elle pourrait déjà exister en partie dans les faits, elle n’existe pas car l’Éducation nationale reste un service public qui applique la politique de la majorité en place.
Or, un collègue syndicaliste m’a rapporté la nouvelle stratégie des administrations pour essayer de se défausser de la responsabilité des suppressions de postes sur les CA locaux pour les faire passer plus facilement.
Cette année, dans les DHG, les administrations anticipent des baisses démographiques plus importantes que prévues. On ferme donc des classes, qu’on réouvrira en juillet mais en heures supplémentaires pour que les postes se ferment quand même. Ensuite, dès qu’un départ en retraite ou une mutation se produit, le rectorat ou l’IA dit au chef d’établissement : « mais ce poste, là, qui vient de se libérer, fermez-le et transformez-le en HS. De toute façon, vu la baisse démographique des quatre prochaines années, vous serez obligé de le fermer l’année prochaine et le collègue qui sera arrivé dessus aura la douleur de quitter son poste et de faire une mutation à l’aveugle. Je suis sûr que les membres de votre CA comprendront ce geste humanitaire. »
Cette stratégie vicieuse est assez intelligemment pensée. Elle joue sur la volonté des représentants du CA de préserver les collègues. Les élèves et les parents ne voient pas la différence car les heures seront faites par un remplaçant titulaire, ou par un vacataire moins compétent, mais elles seront faites. Enfin, l’administration peut toujours dire ensuite que les postes sont supprimés sans que les heures d’enseignement diminuent.
Ce qui est encore plus génial là-dedans, c’est que la dépense publique ne diminue pas, puisqu’on recrute des vacataires pour occuper ces postes qui existent de fait mais pas de droit, mais qu’on peut continuer à dire politiquement qu’on supprime des postes de fonctionnaires, ce qui alimente la psychose anti-fonctionnaire de ce pays.
Le résultat est clair à mon avis : on précarise l’emploi, puisque les heures sont toujours faites, et on dégrade la qualité de l’enseignement. De plus, en rendant l’emploi instable, on empêche des collègues de s’investir plusieurs années à un endroit et on réduit la plus-value pédagogique pour les élèves : un prof qui sait qu’il va partir l’an prochain, ou un vacataire dans quatre mois, se contente de faire ses heures et se fiche de la vie du bahut, et d’autant plus lorsqu’il est dur.
Encore une politique qui dégrade, toujours un peu plus, la qualité du service public. Vivement les mouvements à venir.
Qu’est-ce que c’est que cela ? Je t’avais déjà expliqué le processus précédemment, mais je recommence. A la fin du mois de janvier, les rectorats pour les lycées et les inspections d’Académie (IA) pour les collèges expédient aux chefs d’établissements ce que l’on appelle la dotation horaire globale (DHG) pour l’année scolaire suivante. Il s’agit des heures d’enseignement attribuées à chaque bahut. Ces heures sont basées sur les prévisions démographiques de l’établissement, sur les mouvements des élèves qui essaient de fuir la carte scolaire et sur les politiques menées par l’État sur ces questions. Depuis 2007, la tactique est de faire passer des heures de titulaires de poste à des heures supplémentaires pour réduire le nombre de fonctionnaires et inciter les enseignants restants à faire des heures supplémentaires pour assurer les cours. La réforme des lycées visait à diminuer les heures de cours pour faciliter ces suppressions.
Une fois ce document reçu, le chef d’établissement prépare une répartition de ces heures pour coller aux programmes mais avec une certaine marge de manœuvre. Contrairement à ce que le ministère dit souvent et à ce que diffuse les libéraux anti-fonctionnaires, une importante marge d’heures est laissée, surtout dans les bahuts difficiles comme le mien, pour attribuer des heures à des activités spécifiques et à des projets pédagogiques initiés par les enseignants du cru, soit en heures postes, soit en heures supplémentaires. Ainsi, il existe une vraie marge de manœuvre pour un proviseur qui mène un bon management et qui estime que les profs doivent être valorisés lorsqu’ils se donnent un peu. Dans mon lycée dit difficile, cela correspond à presque 10% de la DHG, soit environ 150 heures annuelles, ce qui n’est pas rien.
Une fois que le chef a fait ce travail, le résultat est discuté en conseil d’administration. (CA) Là aussi, et contrairement à l’image traditionnellement véhiculée, les profs ne sont pas majoritaires, les élèves et les parents ayant autant de poids qu’eux, et les projets pédagogiques doivent être chèrement défendus. C’est à ce moment-là qu’on propose créations ou suppressions de postes éventuels, en fonction des différents paramètres locaux.
Cependant, et pour te démontrer que l’autonomie des établissements n’est pas pour demain, les administrations centrales ont la possibilité de refondre totalement le travail démocratique des CA locaux, et de refaire la répartition comme elles le souhaitent. Vu que les CA, et autant les élèves que les profs et les parents, refusent en général les suppressions de postes et font des montages pour les maintenir, les rectorats refont les copies. C’est pour cela que je rigole doucement lorsque les politiques parlent d’autonomie des établissements : si elle pourrait déjà exister en partie dans les faits, elle n’existe pas car l’Éducation nationale reste un service public qui applique la politique de la majorité en place.
Or, un collègue syndicaliste m’a rapporté la nouvelle stratégie des administrations pour essayer de se défausser de la responsabilité des suppressions de postes sur les CA locaux pour les faire passer plus facilement.
Cette année, dans les DHG, les administrations anticipent des baisses démographiques plus importantes que prévues. On ferme donc des classes, qu’on réouvrira en juillet mais en heures supplémentaires pour que les postes se ferment quand même. Ensuite, dès qu’un départ en retraite ou une mutation se produit, le rectorat ou l’IA dit au chef d’établissement : « mais ce poste, là, qui vient de se libérer, fermez-le et transformez-le en HS. De toute façon, vu la baisse démographique des quatre prochaines années, vous serez obligé de le fermer l’année prochaine et le collègue qui sera arrivé dessus aura la douleur de quitter son poste et de faire une mutation à l’aveugle. Je suis sûr que les membres de votre CA comprendront ce geste humanitaire. »
Cette stratégie vicieuse est assez intelligemment pensée. Elle joue sur la volonté des représentants du CA de préserver les collègues. Les élèves et les parents ne voient pas la différence car les heures seront faites par un remplaçant titulaire, ou par un vacataire moins compétent, mais elles seront faites. Enfin, l’administration peut toujours dire ensuite que les postes sont supprimés sans que les heures d’enseignement diminuent.
Ce qui est encore plus génial là-dedans, c’est que la dépense publique ne diminue pas, puisqu’on recrute des vacataires pour occuper ces postes qui existent de fait mais pas de droit, mais qu’on peut continuer à dire politiquement qu’on supprime des postes de fonctionnaires, ce qui alimente la psychose anti-fonctionnaire de ce pays.
Le résultat est clair à mon avis : on précarise l’emploi, puisque les heures sont toujours faites, et on dégrade la qualité de l’enseignement. De plus, en rendant l’emploi instable, on empêche des collègues de s’investir plusieurs années à un endroit et on réduit la plus-value pédagogique pour les élèves : un prof qui sait qu’il va partir l’an prochain, ou un vacataire dans quatre mois, se contente de faire ses heures et se fiche de la vie du bahut, et d’autant plus lorsqu’il est dur.
Encore une politique qui dégrade, toujours un peu plus, la qualité du service public. Vivement les mouvements à venir.
Oui, une amie prof d'histoire en collège m'a raconté cela... Ah, petit détail, à la place de "vacataire moins compétent" j'aurais écrit "non formé", c'est ça qui est dingue. J'ai l'impression qu'on cherche à égaler le système éducatif mexicain, majorité de vacataires dans les établissements (prof étant une profession précaire là-bas), quel recul...
RépondreSupprimer@ MGP : pour le terme de "formé", pourquoi pas, mais je reste très attaché au concours. De plus, j'ai parfois eu des mésaventures dans le passé avec des vacataires et je suis un peu dur contre eux, mais enfin...
RépondreSupprimerElections Européennes : le blogueur Versac conseille l'UMP.
RépondreSupprimerhttp://www.lepoint.fr/actualites-politique/info-lepoint-fr-europeennes-le-blogueur-versac-conseille-l-ump/917/0/324248
@ BA : merci pour le lien, mais tu es hors-sujet. Essaie de respecter un peu le thème des articles...
RépondreSupprimerLES ENSEIGNANTS SONT-ILS CONDAMNES A DISPARAITRE ?
RépondreSupprimerVous dites un « malaise » dans l’enseignement ? Pourquoi depuis M.Allègre l’Etat français a-t-il organisé cette croisade contre le « mammouth »(c’est-à-dire les personnels de l’Education Nationale à commencer par les enseignants) en vue de le « dégraisser »(avec le goût incomparable de la langue française qui caractérisait ce grand esprit) ?Pourquoi de soit-disantes élites mènent-elles sans relâche ce combat d’arrière-garde inspiré par l’arriération mentale et une crapulerie qui ne veut pas dire son nom ?Pleins pouvoirs aux CHEFS d’établissement irresponsables(on ne trouve l’équivalent de tels pouvoirs que dans des dictatures);refus de tout dialogue avec les enseignants ;renforcement de l’autoritarisme (= le chef a toujours raison)local et central ;harcèlement des enseignants orchestré par l’Etat avec l’aide des élèves et des familles consentantes ;enseignants infantilisés et méprisés,contraints de multiplier les fonctions sociales ;négation de l’autorité dont les enseignants sont dépositaires ;détérioration continuelle du pouvoir d’achat des enseignants bientôt condamnés à la mendicité…..etc,voilà le grand projet des super élites françaises pour leur école,leur système éducatif depuis une quinzaine d’années.L’Etat français a engagé une guerre contre les savoirs académiques et leur transmission.L’Etat français est en passe de l’emporter à force d’injonctions de toutes sortes et contradictoires,d’appels répétés à la soumission et à la servitude volontaire,de pressions diverses et variées.Le grand combat de l’obscurantisme contre les Lumières se poursuit.Les victimes de ce saccage sont de plus en plus nombreuses dans un silence de plus en plus assourdissant.Les savoirs académiques sont devenus un gadget.La culture et les sciences sont brocardées dans un vibrant éloge à l’arriération mentale.Les personnes(et oui ce sont des personnes humaines !)qui ont choisi de consacrer leur vie à la diffusion (ainsi qu’à l’élaboration) de ces savoirs sont devenues des INSTRUMENTS dont l’Etat dispose à sa guise.Sommes-nous dès lors condamnés à devenir des torches vivantes pour mieux éclairer nos contemporains ?