jeudi 6 août 2009

Devons-nous encore nous appeler « camarade ! » ?

Durant ma randonnée de la semaine dernière, j'évoquais l'état du syndicalisme enseignant avec mes compagnons de route, et voilà que l'une d'entre elles accusa brusquement le représentant SNES de mon lycée dit difficile d'être un ringard. Pourquoi ? Je venais de lui dire qu'il arrivait aux syndicalistes, entre eux, de s'appeler « camarade ». Suivit un raisonnement expliquant que les syndicats étaient déjà totalement has been (tu te rends compte, ils parlent encore de « classe » et de « rapports de force » ???) et que l'emploi de ces vieux termes ne faisait qu'aider à la déconfiture des syndicats français.

Comme tu le sais, cher lecteur, j'ai eu tendance, dernièrement, à tacler les syndicats du fait de la stratégie usitée cette année. Cependant, j'admets que ce vocabulaire ne m'a jamais choqué. Or, ce n'est pas la première fois que j'entends de tels développements. Lorsque j'étais étudiant, j'ai fréquenté de nombreux membres d'organisations trotskystes ou révolutionnaires, qui n'utilisaient plus le terme de camarade mais celui de « copain », pour des raisons qui m'échappent, car à l'époque, ce type de questions ne se posaient pas. Je trouvais ce terme niaiseux, pour des gens qui se targuaient de prendre le pouvoir par la force. Cependant, l'abandon de cet usage à gauche est récent, et date selon moi des vingt dernières années : dans les années 1970, les membres du PS l'employaient encore.

Un peu tiraillé par cette question linguistique, j'ai décidé de me jeter sur mon Littré. Bon, pour déjouer tout de suite les critiques de mes habituels lecteurs ironiques, j'ai la chance de détenir deux anciennes éditions du Littré et du Robert, léguées par mes grands-parents. J'aime bien consulter ces vieux dictionnaires, d'abord parce qu'ils sont très complets, et ensuite parce qu'ils regorgent de citations. Qu'apprend-on sur le terme « camarade » ?

Même si mon Littré date de 1956, il n'évoque pas l'aspect politique du terme. Évidemment, c'est l'emploi militaire qui ressort en premier, puisque le mot a d'abord été utilisé entre camarades d'unité ou/et de bataille. Cependant, d'autres définitions ressortent et je vous en livre deux qui me semblent bien coller avec l'usage politique du terme :

« Par extension, substantif des deux genres, celui, celle qui a même vie, mêmes habitudes, mêmes occupations que plusieurs autres personnes. Camarades d'école, de collège, de chambrée. » J'y ajoute celle-ci :

« Se dit de ceux qui courent même fortune. Nous avons été camarades d'aventures, d'infortune. Dans ce désappointement, il eut bien des camarades. »

En clair, le terme s'adapte bien à ceux qui partagent une vie politique ou syndicale, forcément initiatrice de partage et d'échange de lourds sentiments.

Cependant, je sais ce que tu te dis, cher lecteur. Tu penses que je suis en train de tourner autour du pot, et que j'occulte le fait que le terme de « camarade » fut avant tout récupéré par le PCF lors de sa période glorieuse. La terminologie est donc reliée à un parti qui fut totalitaire. De plus, l'usage d'un terme militaire pose de vrais problèmes car il montre la volonté de prise du pouvoir par la force des marxistes-léninistes.

Je ne nie pas ce fait, mais comment désigner nos amis de lutte ? Doit-on les appeler « copain » ? « Collègue » ? A droite, on peut souvent lire le terme de compagnon, mais n'est-ce pas là une volonté de se séparer de la gauche qui utilise justement « camarade » ?

Il n'y a, à mon sens, aucune raison d'abandonner ce terme. Si nous n'employons plus « camarade » dans nos écrits et dans nos paroles, c'est comme si nous rejetions nos ancêtres dans la bouillie de l'histoire. Je ne nie pas que la gauche ait fait des erreurs en se passionnant pour ces idées totalitaires. Cependant, c'est un héritage qu'il nous faut assumer. Après un siècle d'aveuglement, nous admettons maintenant que la transformation sociale ne pourra avoir lieu que par la démocratie. Nous avons fait cet apprentissage de l'histoire, nous assumons les bêtises de nos grands-parents, et nous continuons à être les camarades de ceux qui partagent nos idées et nos luttes. Je n'ai pas honte de ce que je suis, de mes idées et de mes valeurs. Comme dans tous les champs politiques, elles ont un passé. Le rejeter en bloc est une preuve de faiblesse et de crainte devant d'autres idéologies qui assument, elles, tranquillement, les horreurs de leurs passés propres.

On pourrait d'ailleurs étendre le terme. Personnellement, je n'hésite pas à qualifier toute la blogosphère politique de « camarades », même ceux avec qui je suis en désaccord. Nos correspondons bien à la première définition du Littré.

PS : dans ce même dictionnaire, j'apprends que le « camarade » était aussi, en 1956, un fromage de chèvre ariègeois très recherché. Il n'y en a pas trace sur Internet, mais s'il existe encore, j'y goûterais bien…

19 commentaires:

  1. si il n'y avait que la question du "comment qu'on s'appelle"... quand je vois le degré de communication (sans même parlé de débats) dans ma centrale alors que je suis réprésendant dans une grosse instance paritaire...
    (ok je râle tout le temps...)

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  2. Compagnon n'est pas tant un terme de droite qu'un terme de la résistance, et ensuite du gaullisme en étant issu. Dans la résistance, de Gaulle appelait aussi les communistes résistants ses "compagnons".

    Dans mon école d'ingénieur, j'avais été surpris, une fois le diplôme en poche, que mon directeur d'étude me prenne dans ses bras en m'appelant "camarade". Mais là encore, c'était pour signifier mon appartenance à une "caste". Qui n'était pas politique, pas syndicale.

    En fait, j'accorde peu de principe à ce genre de terme. J'ai tendance à naturellement utiliser "compagnon". Mais qu'un collègue de boulot, de politique, de promotion, ou qui partage certaines de mes valeurs, m'appelle "camarade", ca me fait plaisir...

    Bonne fin de semaine

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  3. @ Marc : certes, mais les questions de sémantique jouent aussi un grand rôle.

    @ Rubin : de rien, camarade !

    @ Faucon : je ne nie pas les autres usages du terme, et je parlais bien de l'aspect politique ici.

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  4. C'est un joli nom Camarade
    C'est un joli nom tu sais
    Qui marie cerise et grenade
    Aux cent fleurs du mois de mai
    Pendant des années
    Camarade
    Pendant des années tu sais
    Avec ton seul nom comme aubade
    Les lèvres s'épanouissaient
    Camarade Camarade

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  5. L'abandon du terme "camarade" est également (quelquefois) un sujet de discussion à l'intérieur du PS. Ou certains changeraient bien également le nom du parti.
    De ce fait on entend de plus en plus le mot "copains" pour désigner les militants...
    "Quand on ne sais pas changer les choses on en change le nom disait Jaures."

    Pour ma part je reste attaché à "camarades". L'age sans doute...

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  6. Tiens, ton billet me donne envie de réintroduire le terme, au sein de mon syndicat, pour voir les réactions !!
    Mais bon, ça n'est pas totalement abandonné, il arrive que l'on reçoive des mails commençant par chers camarades, mais c'est vrai que c'est plus usité à la CGT.
    (à laquelle je ne suis pas)

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  7. @ Alain : j'ai beau être encore un peu jeune, j'aime ce terme aussi.

    @ Audine : vas-y, lance-le ! Tu n'es quand même pas à la CFDT ???

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  8. Je l'ai été, et même plutôt jusqu'au cou, jusqu'en 2003 (parce que les retraites et les traitres ...).

    Puis, au sein du ministère du travail, la CFDT s'est complètement éclatée : certains sont restés, d'autres sont allés à Sud, et d'autres, comme moi, se sont regroupés au SNU Travail - Emploi - Formation (SNUTEFI).
    Mais aujourd'hui, ça ne veut plus dire grand chose ...
    Je suis, parfois, plus proche de certains CGTistes, et aussi bien sûr de Sud, que de certains SNUTEFistes ...
    Et comme je suis pragmatique, on se retrouve avec des intersyndicales d'enfer, totalement impensables il y a encore 3 ou 4 ans, et qui tiennent au hasard des syndiqués, dans les autres syndicats (par ex, présence du président de la CFTC Travail ici, - si j'étais mauvaise langue je dirais seul et unique adhérent, presque - et donc hop ! il vient dans l'intersyndicale).

    C'est assez amusant.

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  9. @ Audine : c'est un syndicat FSU ou autonome, le SNUTEFI ?

    J'adore le syndicalisme.

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  10. C'est un syndicat national, affilié à la FSU.

    Moi aussi, j'ai du tomber dedans quand j'étais petite ...

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  11. @ Audine : ah, tiens, une camarade...

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  12. @ Audine: à la FSU, le terme "camarade" est employé.

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  13. @ Ferocias : cela dépend des tendances tout de même...

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  14. VOUS, camarades, vous assumez le passé et en tirez les leçons (la « démocratie »). Vous, camarades, vous savez que derrière ce « joli nom », vibre aussi l'essence de l'humanité : l'espérance.

    Avez-vous pensez aux « autres », c'est-à-dire à ceux qui pourraient être vos camarades mais qui ne vous comprennent pas? Avez-vous pensé à tous ceux que vous pourriez rallier à vos combats : les indécis, les désespérés, les déçus de la gauche, ceux qui ont besoin de vous mais qui restent sceptiques tant votre langage ne rencontre pas le leur ?

    Avez-vous perdu de vue que ce sont ces « autres » qui garantiront votre avenir, et non pas la poignée de déjà convaincus que vous représentez ??!!!

    Le débat sur le mot « camarade » est fort sympathique : on évoque l'histoire, la grande et la petite (le fromage de chèvre), on finit par aimer cette histoire -forcément: la cause est juste. Bref, on se regarde le nombril, on se parle à soi-même (ou à ses camarades -c'est égal : on se « sent », on se « reconnait », on « s'aime »). Au risque de devenir incompréhensible pour l'extérieur. Et de se complaire dans un jargon sectaire...

    La question n'est pas que certains termes (« camarades », « lutte des classes ») soient « has been ». La question est : cette manière de s'afficher, de se présenter à l'extérieur, est-elle efficace ou contre-productive? A en croire l'état du syndicalisme en France, la deuxième supposition semble la bonne. Pourtant, dixit le camarade-randonneur Mathieu : la lutte des classes serait d'autant plus légitime et actuelle que « le libéralisme a atteint ses limites »... Dans ce contexte, comment convaincre les « autres »?

    La réponse est... PRAGMATIQUE : si le signifié (un peu de sémiologie!) n'est pas le même pour vous et pour les « autres », adaptez-vous! Bougez les codes! Changez de vocabulaire, identifiez les réticences des non-convaincus et surfez dessus (oui oui, il y a une vague à prendre!).

    Ne vous trompez pas : changer son affichage ne veut pas dire nier son histoire et son identité. Au contraire! C'est un exercice fin et délicat qui consiste à prendre le courant (cf. la vague) tout en maintenant des appuis solides (du moins pour l'interne) : les valeurs.

    Un peu de provocation pour finir : certaines organisations politiques auraient beaucoup à apprendre des entreprises du grand capital qui ont su, malgré les fluctuations du marché, s'adapter et fidéliser les consommateurs. Pourquoi ne pas communiquer en direction du « militant potentiel » comme ces entreprises communiquent en direction du « client potentiel »? C'est-à-dire changer sa face pour permettre à l'indécis, au désespéré et au déçu de la gauche de se RECONNAITRE.

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  15. @ Vache_rousse : bonsoir et bienvenue sur ce blog.

    Pour commencer, je te dirais d'abord que le terme de camarade est plutôt réservé à l'interne des organisations. Ce qui me dérange moi, c'est qu'on abandonne ce terme à l'interne. Pour l'externe, il peut parfois s'adapter, et parfois non, cela dépend évidemment du contexte.

    Quant à la com, j'y suis personnellement opposé en tant que doctrine de conquête politique. Elle a tendance à entretenir le populisme et à décrédibiliser le politique. Il ne s'agit pas de répondre aux désirs immédiats des électeurs. Il s'agit d'offrir aux citoyens une offre politique cohérente qui répond aux problèmes de l'heure. Il s'agit aussi de montrer aux citoyens qu'ils se trompent parfois de cible, et que les problèmes sur lesquels ils sont centrés en cachent d'autres bien plus importants.

    Pour les entreprises, pourquoi pas, mais en sachant que, contrairement aux entreprises, nous ne devons pas devenir des spécialistes du non-dit (tous les échanges sont basés sur le non-dit qui permet le profit sur le dos du client) mais des spécialistes, au contraire, de la franchise et de la clarté.

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