Comme je te l'avais indiqué, les nouveaux décrets mettent en place un recrutement après le master pour l'ensemble des corps enseignants. On peut se réjouir d'une telle évolution, puisque cela signifie que le niveau des profs va s'élever, ce qui devrait mécaniquement améliorer la qualité de l'enseignement lui-même. Cette réforme était demandée depuis longtemps par le SNES-FSU pour le secondaire, le syndicat s'attendant au même mouvement que celui qui avait touché les instituteurs lors de leur transformation en professeur des écoles au début des années 1990 : une augmentation des salaires. C'est d'ailleurs ce que Xavier Darcos faisait miroiter au SNES et ce qui lui a permis de faire passer son décret en CTPM à la fin du mois de mai avec une abstention du syndicat majoritaire.
Or, les enseignants du secondaire sont très divisés sur cette question, et je voudrais, cher lecteur, tenter de te faire saisir les différents aspects du problème :
- La question de porter le recrutement à BAC+5 n'est d'abord pas une évidence pour la majorité des enseignants. En effet, le métier de prof est difficile, mal payé et mal vu dans la société, malgré ses avantages. A BAC+5, cela vaut-il le coup de passer un concours ultra-difficile pour aborder un début de carrière à 1 300 € par mois ? De plus, cette hausse risque bel et bien d'empêcher les étudiants issus des milieux populaires d'accéder au concours (il faut travailler vite) et d'accroître encore le fossé social existant entre les élèves des milieux populaires (la grande majorité) et les enseignants. La mixité est toujours meilleure que l'unicité dans nos professions.
- Derrière se pose la question de l'unité avec les autres corps enseignants. En effet, le SNES s'est placé à contrecourant de l'ensemble des autres syndicats FSU. Les professeurs des écoles ne voulaient pas du master, car il n'existe pas actuellement de master d'enseignement, alors que le métier de professeur des écoles est généraliste. Les professeurs du professionnel n'en voulaient pas non plus, car nombre d'entre eux n'ont pas fait d'études et sont entrés dans l'enseignement après une longue période de travail dans le privé. Or, Luc Chatel a été bien plus loin : tout le monde passe à BAC+5, même les CPE, qui ne devaient pas être concernés au départ.
- La formation des stagiaires posent aussi un vrai problème. Darcos a profité de cette réforme pour supprimer les IUFM. Là encore, il a joué sur du velours, vu que ces instituts sont très souvent critiqués par les enseignants. Cette mesure permet de récupérer des postes : les formateurs IUFM étaient souvent déchargés en partie. Que faire de la formation alors ? Actuellement, un professeur stagiaire du secondaire fait 8 heures de cours par semaine et est en formation le reste du temps et ce pendant un an. Au départ, Darcos voulait supprimer carrément ce stage. Maintenant, on parle de confier cette formation professionnelle à l'université. Cela suscite beaucoup d'inquiétudes, du fait de l'inexpérience des universitaires et de la disparition de la formation professionnelle. De plus, nous savons tous que larguer des jeunes sans formation dans des classes d'établissements difficiles peut être un désastre et causer de véritables drames humains. C'est ce qui se produit tous les jours avec les vacataires que nos rectorats balancent dans les bahuts et qui tiennent souvent à peine quelques jours.
- La question de la rémunération pointe derrière. Actuellement, il y a 850 000 enseignants (public + privé). Augmenter les profs correspond à augmenter un tiers des fonctionnaires d'un coup. Certes, Nicolas Sarkozy avait promis de revaloriser la condition enseignante, mais jusqu'à maintenant, la question salariale s'est heurtée à un mur. La hausse permanente du déficit public n'est pas pour nous rassurer. Donc, les profs ne voient pas et ne croient pas à une augmentation générale, même avec un concours pour avaliser la hausse de qualification pour les enseignants recrutés à BAC+3 ou BAC+4 pour les agrégés.
- Alors, pourrait surgir un scénario qui nous effraie tous. Il est possible que le ministère se mette à recruter des personnels, en CDI de droit privé, ayant passé le master mais n'ayant pas obtenu le concours, et particulièrement dans le primaire. Cette évolution permettrait de comprimer les salaires et de défaire le statut de fonctionnaire, tout en ne gênant pas les profs déjà en poste. On recruterait ainsi peu par les concours, et beaucoup par le droit privé. Là, toutes les évolutions sont possibles, au prix d'une baisse de qualité, car il est évident qu'on ne prendrait pas la peine de former professionnellement ces CDI.
Le dernier point est le point-chaud de cette réforme, d'autant plus que le statut de fonctionnaire des profs est la vieille lubie de l'ensemble de la droite, des libéraux qui y voient un reste de l'État stalinien jusqu'aux réactionnaires qui considèrent l'Éducation nationale comme une forteresse gauchiste (à tort à mon avis, mais c'est un autre sujet).
Un jour, je te ferai, cher lecteur, un billet sur le statut de fonctionnaire. En attendant, si je ne suis pas clair sur certains points développés ici, n'hésite pas à me poser des questions complémentaires en commentaire.
merci pour ce billet qui m'éclaire sur une question qui m'était effectivement confuse... Voilà qui est beaucoup plus limpide grâce à ton talent. bye et au plaisir.
RépondreSupprimer@ GDC : de rien.
RépondreSupprimerDe toute façon, le niveau baisse, et les enseignants n'ont même plus d'orthographe, la culture n'en parlons pas, alors... (mode "troll réactionnaire" on)
RépondreSupprimer@ Suzanne : mouais, c'est un peu court quand même. Vous n'êtes pas en forme ?
RépondreSupprimersi si, mais c'était juste pour dire que j'étais passée par là. N'étant pas enseignante, j'ai lu votre billet d'un peu loin. Comme pour moi, la principale qualité d'un enseignant est d'avoir des nerfs gros comme des cables et un minimum de solide culture, au moins dans leur partie... Je ne vois pas ce qu'une année de fac en plus ou en moins changera à l'affaire. (Et j'espère qu'il n'y aura pas de grève pour ça à la rentrée sinon, nom d'une pipe, je mets mes fils chez les Jésuites.)
RépondreSupprimer@ Suzanne : vos enfants ne sont pas encore chez les jésuites ?
RépondreSupprimerUne grève sur ce sujet-là, je n'y crois pas trop, mais les collègues sont parfois surprenants.
Mathieu : je suis anticléricaliste primaire. (si tu n'avais que ça de primaire, ma pt'tite...)
RépondreSupprimer@ Suzanne : ah, ça, j'aime bien !
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