samedi 10 octobre 2009

La problématique de la pratique de l'oral.

Il y a quelques temps, je m'étais lancé dans une tentative sur la question de la naissance d'un nouveau type d'écrit à travers internet, c'est-à-dire la naissance d'un écrit fortement teinté d'oralisation que nous développons, nous, blogueurs. D'ailleurs, il était intéressant de voir que nous pouvions ainsi reconnaître que la plupart des blogueurs n'étaient pas des écrivains (surtout dans la blogosphère politique), mais en même temps, écrivaient quelque chose qui n'était pas de l'oral écrit pur et dur.

Hier, lors d'une conférence des Rendez-vous de l'Histoire, j'ai pu expérimenter l'autre versant du problème. Je me suis rendu à une conférence sur un thème totalement périphérique. J'aime ces sujets complètement ignorés par la masse des historiens, mais qui nous apportent toujours quelque chose sur des thèmes bien plus généraux. A Blois, cette année, le thème était le corps, ce qui pouvait amener à des questionnements vraiment divers sur des sujets très variés.

Durant cette conférence, dès que l'historienne a commencé à parler, la salle s'est endormie. Pourquoi ? Parce que la conférencière a extrait de son sac une liasse de feuillets, assez importante, et a commencé à nous lire sa communication. Pendant une heure, elle n'a pas décroché de son texte, a lu tout en continu. Immédiatement, un certain nombre de spectateurs ont rembarqué leurs effets et ont quitté la salle, sans même jeter un regard sur une conférencière qui, progressivement, a commencé à se rendre compte que la salle décrochait. Décontenancée, elle s'est accrochée mais a semblé ne pas saisir le problème, et a même émis des remarques sur la politesse du public (seuls moments où elle n'a pas lu, avant la phase de questions du public).

Personnellement, je me suis accroché, n'ait pu que constater la qualité de son écrit et me suis demandé pourquoi cette personne se refusait à passer au registre oralisé alors qu'elle était en train de faire une conférence. Un complexe ?

Souvent, on lit sur internet des critiques très violentes sur la dégradation de l'écrit, en tant que tel, sur la toile. C'est une réalité, tout simplement parce qu'une grande partie des blogueurs ne maîtrise pas le style littéraire. Par contre, on n'évoque jamais la question de l'autre sens. Il existe un nombre important de personnes pour qui l'oral est une vraie difficulté et qui s'accrochent à l'écrit lorsqu'ils se retrouvent à devoir faire une communication ou à s'exprimer devant un public.

Or, nous sommes quand même dans une véritable schizophrénie. En France, de plus en plus, alors que de nombreux acteurs affirment que l'écrit ne cesse de baisser en qualité, les épreuves du secondaire sont de plus en plus marqués par l'écrit (cela coûte moins cher que les oraux) alors que notre société pratique massivement l'oral, dans de nombreuses professions et dans la vie sociale. Aujourd'hui, nous ne formons pas les élèves et les jeunes à l'oral.

Une éducation à la langue, dans ce pays, ne peut se contenter de travailler l'écrit, que l'écrit, seulement l'écrit. L'oral, qui certes ne perdure pas, reste un aspect considérable de la vie quotidienne du citoyen, surtout dans une société traversée par les médias comme la nôtre. Peut-être pourrait-on envisager un bac noté à 50% à l'écrit, avec une vraie attente au niveau de la maîtrise des élèves, et une notation à 50% à l'oral ?

En tout cas, je me permets, modestement, de lancer le débat...

12 commentaires:

  1. C'est peut être très réducteur, de systématiser ainsi la part de l'oral.
    Je me demande en effet s'il n'y a pas une catégorie de communication (je ne sais pas comment dire autrement !) qui n'est pas faite pour être, pour "passer", à l'oral.
    Par exemple, était-il vraiment possible de mettre à l'oral la conférence dont tu nous parles ?
    On nous apprend beaucoup maintenant à tout mettre sur diaporama.
    Ça m'agace pas mal. On se retrouve, à la moindre réunion, à la moindre action de formation, obligés de subir des diaporamas ... quelques fois aussi soporifiques que ta conférence - ou même boursouflés d'animations débiles, de couleurs criardes, de textes défilant solennellement tels des fantômes égarés hors de leur maison hantée, de polices resserrées pour tenir dans le cadre et autres joyeusetés faussement ludiques.
    Je fais de la formation régulièrement, et tous les sujets, il faut, c'est un impératif, "les oraliser", et la seule façon que l'on nous apprend, que l'on nous impose pour être pédagogiquement correcte, c'est de faire ces diaporamas.
    Or on nous dit également, lors des formations à la pédagogie, qu'un diaporama doit suivre plusieurs règles, ne pas dépasser 15 vues notamment, écrites gros, en langage SMS, et illustrées si possible ...
    Mais en réalité, on se trimballe avec des diaporamas d'une trentaine de vues, et accompagnées de force ... commentaires ... ce qui revient à les alourdir, mais en douce !

    Ça c'est pour les outils.
    Les outils de l'oral ne sont donc pas forcément adaptés à tous les écrits, qu'ils réduisent, simplifient, vulgarisent, mais peut être trop.
    L'autre partie de ma réflexion concerne l'attitude du conférencier.
    Quand j'y réfléchis, je trouve que tous les conférenciers que l'on trouve spontanément "bons" sont des conférenciers cabotins.
    Ils se mettent en scène.
    Une première remarque, c'est que tout le monde n'est pas doué pour ça, se mettre en scène, même si certaines techniques peuvent s'acquérir (mais je n'en suis pas si sûre).
    La deuxième remarque c'est que dans le fond, ce que j'appelle le cabotinage, suffit il à ce que la conférence soit bonne ? Je n'en suis pas si sûre !!
    Avec du recul, peut être qu'on jugera une conférence avec cabotin, celle où l'on a trouvé du plaisir, moins riche que celle légèrement rude à supporter car sans plaisir, sans séduction, mais qui va être documentée et référencée, élaborée dans sa construction, cherchant à nous faire progresser et réfléchir par nous même, et non pas à nous séduire.

    Je me méfie de la dictature des outils modernes.
    Du projecteur qui ronronne pour rien, avec du bruit et de la chaleur comme musique d’ambiance.
    De la mise en scène du corps et du sourire.
    Je ne crois pas que tout doit être story-tellé, même si on a l’impression que c’est tout ce que supporte l’auditoire.

    Est-ce qu’on mettra sous diaporama des déclarations d’amour ?
    Des lettres d’adieu ?
    Des journaux intimes ?
    Ou en SMS ?

    En tout cas, ton billet est intéressant !

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  2. Le problème, c'est que les examens oraux ont tendance — et pour cause — à être notés "à la tête du client". Mais je suis d'accord sur le fond : il faudrait mieux préparer les gens à la prise de parole en public.

    La solution, à mon sens, est plutôt à chercher du côté d'un changement profond des techniques d'enseignement (plus de participation orale des élèves, moins de cours magistraux).

    C'est en tout cas ce que je m'efforce de faire lorsque je fais cours : j'envoie le texte du cours aux étudiants quelques jours à l'avance, et j'attends d'eux qu'ils l'aient lu avant d'entrer en classe. Du coup, pendant le cours lui-même, j'interroge sur le texte et nous échangeons plutôt que de dicter.

    Qu'en penses-tu ?

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  3. Moi, je trouve que débattre de la pratique de l'oral en pleine polémique sur le tourisme façon Mitterrand, ça relève de la provocation gratuite !

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  4. Aurait-elle oublié une règle de base (en théorie) des concours de recrutement des enseignants et de la plupart des concours : ne jamais lire ses notes ?
    Lire ses notes, ou même (ça semble le cas ici) le texte déjà tapé de son intervention, n'est-ce pas oublier une partie de l'exercice, l'adresse au public (qu'on ne regarde plus, du coup) ? N'est-ce pas oublier qu'il s'agit d'abord d'un exercice de communication, à deux (orateur-public), pas un exercice solitaire de lecture ? N'est-ce pas oublier la dimension pédagogique de l'exercice ? Est-ce un refus du passage à l'oralité ou une incapacité à le faire ? On a tous eu des professeurs d'université, brillants chercheurs, incapables d'être de brillants enseignants, peut-être prisonniers justement de leur métier de chercheurs, habitués à l'échange écrit, à la publication d'articles et de livres, moins au débat et à un public pas forcément de spécialistes et pas forcément conquis.
    On parle peu, à l'école, quand on est élève (j'exclus les bavardages, bien sûr...) : c'est surtout le prof qui parle, qui distribue la parole, qui la sollicite (le cours dialogué). Et les examens sont essentiellement écrits. Or parler s'apprend... Même remarque pour le personnel politique : les bons orateurs (quelque soit le fond de leur discours) sont rares, souvent âgés (je pense, avec ses idées détestables, à Le Pen)...

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  5. Une remarque en passant : plus on regarde loin dans la scolarité, plus la part de l'oral semble diminuer. Du 100% oral, ou presque, en 1ère année de maternelle jusqu'au 100% écrit, ou presque, dans les études supérieures.
    En ce qui concerne l'enseignement primaire, la grande part d'oral tient en grande partie, à mon avis, à l'interdiction des devoirs à la maison écrits...

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  6. En fait, je ne me contenterai pas d'un simple devis oral de la part de mon plombier...

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  7. Thème intéressant et je suis d'accord sur la nécessité de renforcer la formation à la maitrise de l'oral trop souvent considéré comme le parent pauvre dans l'éducation.

    Cela dit, je me pose quand même 2 questions:
    Peut-on faire passer les même messages à l'oral qu'à l'écrit ? avec le problème que cela pose lorsqu'on utlise l'oral sur un sujet qui ne s'y prête pas (ta conférencière) ou à l'inverse lorsqu'on utilise l'écrit pour "parler" (sic certains blogueurs ou les tchats) !

    Peut-on, et je rejoints sur ce point Audine, faire une dychotomie aussi nette entre l'écrit et l'oral ?...par exemple, la conférence, la présentation professionnelle ne sont-ils pas des modes d'expression qui combinent support écrit et expression orale et qui ainsi se positionnent dans un mode d'expression intermédiaire!
    Les traiter exclusivement comme de l'écrit ou comme de l'oral amène à se planter !

    Dans le milieu professionnel, il me semble que c'est cette combinaison qui est la plus utilisée et donc celle sur laquelle il faudrait former les jeunes en priorité !

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  8. Bonjour à tous et merci pour ces commentaires tous intéressants.

    @ Audine : cette réflexion sur la communication en formation est intéressante.

    Concernant l'usage du diaporama, j'admets ne pas bien comprendre l'usage qu'en font la majorité des gens. Pour moi, le diaporama doit avoir un sens et apporter quelque chose de plus que le discours. Sinon, il n'est d'aucune utilité.

    Par contre, on peut en faire de très belles choses. J'ai vu, pendant les rdv, une conférence hallucinante avec des documents iconographiques présentés en diaporama, et là, c'était de l'or. Cependant, il n'y avait quasiment pas d'écrit, et tout s'appuyait sur l'oral des deux historiens.

    Pour moi, le diaporama reste un soutien à un oral.

    Pour les cabotins, je pense que la plupart des spécialistes peuvent sans problème déjouer le conférencier s'il dit n'importe quoi. C'est du côté du grand public que se pose ce problème, assez présent à Blois durant ce week-end. Là, je ne sais pas comment mes concitoyens réagissent...

    @ Rubin : à mon avis, cette méthode est intéressante, mais davantage pour des étudiants ou en formation professionnelle.

    Cependant, je me suis dit depuis hier que j'allais essayer ça avec une classe de seconde. Je vais préparer une séquence et je ferai un billet pour parler de mes constatations sur le sujet.

    @ Didier : mouais, il serait temps que je quitte le stade oral...

    @ Cloran : oui, elle s'est totalement coupée de nous, et n'a repris contact que durant la phase de questions. Je pense en effet que c'était le contact humain qui posait un réel problème.

    @ Oaz : c'est tout à fait juste. Ma conjointe, professeur des écoles, m'a dit la même chose après avoir lu le billet. Pour moi, c'est en 6ème que l'oral capitule devant la dictature de l'écrit.

    @ Ferocias : tiens, tu ne négocies jamais un prix avec les artisans à l'oral, toi ?

    @ Nicolas007bis : concernant ta première question, tout dépend du contexte. L'oral et l'écrit n'ont pas le même usage. Maintenant, il me semble que les profs de lettres travaillent les usages de l'oral et de l'écrit. Je vais demander ça à mes collègues demain.

    Pour ta deuxième question, la conférence scientifique est tout de même un exercice oral bien spécifique, qui nécessite une mise en scène. Le diaporama aide, mais ne fait pas tout.

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  9. petite hypothèse : elle a rédigé son intervention comme un article (ça se voit souvent en séminaire ou dans des colloques), peut-être même avec notes en bas de page, peut-être même en vue d'une future publication (donc gain de temps), donc il lui fallait entrer dans un cadre établi et bien précis. D'où la lecture. Les questions-réponses après communication, dans les actes de colloque, n'ont jamais le même statut scientifique. Autrement dit l'écrit-lu a statut scientifique...
    J'ai deux souvenirs d'historiens (je ne donnerai pas de noms) : un cours à la Sorbonne avec sténo à côté du prof, qui tapait en direct / un historien dans deux séminaires différents qui fait la même intervention (très à l'aise, sans lire ses notes), identique jusqu'aux plaisanteries...
    Se couper du public, c'est s'affirmer différent, voire supérieur scientifiquement (ce qui sans doute est le cas, mais autant le signifier) et lui demander de faire l'effort... Tout le contraire d'une bonne pédagogie, où l'effort est partagé, non ?

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  10. @ Cloran : totalement.

    C'est marrant, parce que j'étais au premier rang, et en lisant ton commentaire, une image m'est revenue. Je voyais les feuillets et il y avait bien des notes de bas de page.

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  11. Le système scolaire italien utilise beaucoup l'interrogation orale comme moyen d'évaluation des élèves. Je dirais même que c'est sa forme privilégiée à la scuola media (collège), au lycée et à l'université.
    Les enseignants de toutes les matières ont l'obligation d'interroger oralement les élèves plusieurs fois par semestre et la note d'oral est considérée comme aussi importante que la note d'écrit.
    Dans la pratique ça pose quelques problèmes (à mon sens). Quand on interroge un élève de lycée, celui-ci est généralement prévenu auparavant, il a donc eu le temps de se préparer. L'interrogation dure environ 15 minutes, laps de temps durant lequel les autres élèves sont inoccupés (à quelques très rares exceptions près il n'écoutent pas le camarade qui parle ce qui d'ailleurs est tout à fait compréhensible), ils s'ennuient, papotent, tapent des sms ou, si le prof le permet vont se promener dans les couloirs.
    Dans une classe de 25 élèves, l'opération "interrogation orale" dure des heures.
    Par contre, ils ont une maitrise de l'oral bien supérieure à celle des élèves français (j'ai travaillé dans les deux pays).
    Pour la "maturita" (bac) la prestation orale est déterminante et très souvent les élèves sont brillants, très à l'aise, capables de présenter un exposé clair, argumenté et ils sont aussi capables de débattre avec les profs sans peur ni timidité.
    Ce qui est une excellente préparation à la vie professionnelle.

    A l'Université aussi les examens sont majoritairement oraux. Ala fin de l'épreuve, l'étudiant peut refuser sa note si il l'estime insuffisante et choisir une nouvelle date pour recommencer.

    Je pense que, malgré les inconvénients, c'est une très bonne formation.
    Malheureusement le gouvernement italien ayant entrepris la dectruction du système scolaire public, les classes sont de plus en plus chargées (30 élèves ou plus)ce qui rend les interrogations orales de plus en plus difficiles à mener, même chose à l'université ou elles sont progressivement remplacées par des questionnaires.
    Rentabilité oblige.

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  12. @ Céleste : je connaissais cette spécificité italienne. Cependant, ce pays connaît la même évolution que le nôtre : la réduction de l'oral à cause du coût.

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Laissez-moi vos doléances, et je verrai.

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