mercredi 6 janvier 2010

30% de boursiers dans les grandes écoles : les Français découvrent une réalité séculaire.

Les Français et les médias sont marrants. Voilà que l'on découvre que notre système de formation supérieur reste profondément élitiste et inégalitaire.

Depuis que je suis enseignant, je sais une chose : les élèves font des choix conditionnés par des critères sociaux, même si leurs niveaux leur permettent d'entrer dans d'autres écoles. Majoritairement, les classes supérieures vont vers les prépas et les grandes écoles. Les classes moyennes se subdivisent assez bien entre tous les systèmes. Les pauvres vont majoritairement vers les études courtes.

Cette réalité est ancienne, et la massification de l'école n'a réussi qu'à l'entamer partiellement. Je rappelle que seulement 35% des enfants d'une classe d'âge passent un bac général. C'est déjà peu, et ils sont à peine 10% à arriver au terme de cinq années d'études supérieures, soit l'équivalent du nombre d'élèves bacheliers des années 1960. En clair, le système n'a pas changé : la barre de la sélection s'est simplement élevée en âge.

Ce qui est plus intéressant, c'est de voir les grandes écoles, sans doute soutenues par des anciens élèves qui ne souhaitent surtout pas que leurs propres enfants se mélangent avec des prolétaires, même si leurs niveaux scolaires sont bons, affirmer publiquement leurs craintes, alors que cela ne peut que les desservir. Peut-être espéraient-elles obtenir un soutien populaire ?

En tout cas, ce matin sur Inter, le président de la conférence des grandes écoles, Pierre Tapie, directeur de l'ESSEC, a fait une bonne blague en accusant le secondaire d'avoir abandonné sa mission de "hussard noir de la République" en ne recherchant plus les jeunes talents des milieux populaires. C'est complètement faux et mensonger : nous faisons tous cela, et de nombreux élèves de mon lycée dit difficile partent chaque année en classe préparatoire. Arrivent-ils ensuite à entrer dans une grande école ? Bien plus rarement, et c'est là que doit se poser la question à l'ensemble du système.

La massification de l'enseignement aurait vraiment besoin d'être menée autrement pour obtenir l'entrée de davantage de pauvres dans les formations de haut-niveau.

Cependant, pas de panique : le gouvernement fait tellement de mal aux écoles primaires et au secondaire en ce moment que cela n'est pas prêt d'arriver. On devrait même régulièrement renforcer les inégalités. Tout va donc bien, chers dirigeants des grandes écoles : le ministre vous dénonce, mais travaille pour vous...

23 commentaires:

  1. Globalement je suis d'accord sur le fait que l'école est depuis bien longtemps inégalitaire et principalement pour des raisons sociales et sociologiques, mais je ne voit pas bien comment sortir de cette impasse ?

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  2. Ce que je trouve étonnant c'est que ce même système permettait avant (dans les années 50) un réel élèvement social. La massification du système, aussi bonne soit-elle, ne permet plus cet élèvement et à tendance à mettre les gens dans des cases en fonction de leur provenance (lycée de banlieue, de province de Paris....). Je ne pense pas que le système soit mauvais, bien au contraire. Dans tout système on doit dégager un moment ou un autre une élite. Le système francais laisse malgré tout plus de posssibilté que les systèmes anglosaxon d'ascension social...

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  3. @ Marc : je crois qu'il faudrait centrer le système éducatif sur les élèves les plus faibles et non plus sur les élèves réussissant le mieux. Il faudrait que je développe cela dans de nombreux billets, mais l'idée fondamentale est là : comment amener tous les élèves aux connaissances et aux compétences demandées par la nation ?

    @ Anonyme : en effet, la France reste moins élitiste que les pays anglo-saxons. Cependant, il y a eu un renfermement des milieux aisés sur eux-mêmes. De plus, récemment, la dépense publique à destination des plus pauvres a eu tendance à stagner voire à régresser. On pourrait peut-être aider un peu l'université, qui attire davantage de classes moyennes et de milieux populaires, plutôt que de la laisser sombrer doucement...

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  4. La reproduction sociale est un fait. Un fils d'avocats est dans le milieu et imprégné de la mentalité depuis toujours, il est aidé dans ses études par ses parents. Il a plus de chances que les autres, boursiers ou pas, de réussir là-dedans.
    C'est un fait, et ça ne sert à rien de vouloir s'y opposer par la loi. Ces histoires de quotas sont débiles et ne changent rien au problème. Ce qui va arriver c'est que lorsqu'un patron verra un Mohamed sorti de HEC, il pensera qu'il a été aidé par les quotas, qu'il n'a pas de vrai talent, et ne le prendra pas.
    L'égalitarisme est une négation de la réalité. La société est comme elle est, vouloir la modifier de force fait plus de bien que de mal.
    C'est bizarre d'ailleurs, avant c'était la gauche qui était attachée à la méritocratie contre un certain conservatisme attaché à la reproduction sociale et au corporatisme. A présent, les voix à gauche s'élève contre le mérite, et pour la sélection selon les origines sociales. Car c'est bien de cela qu'il s'agit.

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  5. Modifier la société par la loi "fait plus de mal que de bien" pardon ;-)

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  6. @ Paul : je ne vois pas bien à qui tu adresses ce commentaire. Ce que tu décris là n'est pas ma vision.

    Pour moi, le système éducatif connaît les stats, et doit tout faire pour les corriger, pas par des quotas, mais en permettant aux gamins les plus faibles de s'en sortir, en surmontant le poids des déterminismes. Ce que tu décris là n'est pas une vision de gauche, c'est celle de Descoings.

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  7. Oui je me suis emporté et passé à côté du sujet. Bon ceci dit tu aurais pu condamner vertement les quotas alors !
    Ce n'est peut-être pas unanime, mais cet égalitarisme est plutôt de gauche. En tout cas c'est ce genre de positions que défendent les assos étudiantes gauchistes.
    Cela dit, ces idées de discrimination positive et de quotas ont largement été reprises par la droite sarkozyste, donc on ne peut plus vraiment considérer tout ça comme correspondant au clivage.
    En tout état de cause, je ne vois pas pourquoi, d'une manière ou d'une autre, on devrait avoir pour objectif d'avoir des élites issues des milieux populaires. Le seul objectif c'est d'avoir des élites compétentes, d'où qu'elles viennent.

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  8. @ Paul : d'abord parce qu'il s'agit d'une égalité entre citoyens. Si un pauvre bon élève ne peut pas accéder aux meilleurs études, il y a un non-respect des droits.

    Ensuite parce que c'est un gâchis pour l'ensemble de la société. Ne sélectionner que dans une toute petite élite déjà installée réduit le vivier et conduit à la sclérose.

    Enfin, parce que cela améliore le fonctionnement de l'ensemble de l'économie, en particulier la productivité.

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  9. Mais justement, le concours est la meilleure façon d'arriver à ça. C'est une aberration de le remettre en cause.
    Le problème, comme l'a justement dit Zemmour sur RTL, c'est qu'on a appauvri la culture classique dispensée à l'école. Il s'agissait de détruire la culture bourgeoise. Au final, on a renforcé les privilèges des élites, en empêchant les milieux populaires d'accéder à la culture.

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  10. C'est un peu tendancieux de dire "(...) que les Grandes écoles et leurs anciens élèves ne veulent pas se mélanger avec des fils de prolos"...c'est une dialectique d'il y a 40 ans que tu nous ressorts là !

    Si il faut faire de la discimination positive, ce n'est pas avant le dernier maillon de la chaîne, en l'occurence les concours de Grandes écoles !
    C'est bien avant les prépas !

    Tu dis toi même que "de nombreux élèves" (probablement pas si nombreux que ça quand même ) de Lycées difficiles vont en classes préparatoires et que manifestement ils ne réussissent pas à accéder aux grandes écoles...pourquoi ?...parce qu'ils sont moins bien préparés que les autres avant d'entrer dans les prépas !
    A ceux là, il faut peut-être une préparation spécifique qui compenserait les manques liés à leur milieu familial, une prépa particulière ou une avant-prépa je ne sais pas, mais en tout cas il faut les amener au niveau du concours et non pas amener le coucours à leur niveau !

    En cela je te rejoins, il faut s'y prendre autrement pour amener le "prolétariat" aux études de haut niveau !

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  11. @ Paul : Zemmour dit n'importe quoi. L'école n'a jamais fourni de culture classique. Elle s'est appuyée sur la culture transmise par le milieu social pour structurer tout cela. Le terme de culture "bourgeoise" est pourtant clair. Les milieux populaires n'ont jamais autant accédé à la culture qu'aujourd'hui, mais ils n'ont pas plus accès qu'avant aux grandes études.

    @ Nicolas007bis : non, ce n'est pas une dialectique, c'est une réalité statistique, confirmée chaque année par le MEN. Nier les inégalités sociales, camarade, ça, c'est has been.

    Pour moi, il ne doit pas y avoir de discrimination positive du tout. L'Education doit amener tous les élèves à la possibilité d'avoir un de ces concours, même si c'est difficile, même si cela demande de l'innovation, même si c'est coûteux.

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  12. @ G. Pradeau : très bon conseil pour certains de mes commentateurs, mais pour eux, Bourdieu est l'ennemi.

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  13. Je ne pense pas que Zemmour se fourvoie. Oui, l'accès à la culture est plus large, mais elle s'est appauvrie. On enseigne un petit peu de culture à beaucoup de monde, au lieu d'apprendre beaucoup à un petit peu.

    Je donne un exemple de sélection : les concours de la FP de catégorie A. Une des principales exigences est de savoir écrire correctement le français, avec style si possible. Aujourd'hui, le lycée et même la fac ne sont plus capable de former à bien écrire, le niveau est si bas qu'il y a d'autres priorités. C'est le massacre à la tronçonneuse de la langue française.
    Du coup, les seuls qui parviennent à se forger un niveau correct, c'est par le biais de la famille, parce qu'ils lisent les classiques de la bibliothèque familiale, parce que leurs parents s'expriment bien, parce qu'il étaient derrière leur épaule pendant les devoirs etc...

    Et d'ailleurs, qu'il y a-t-il de bourgeois dans le fait de demander un français correct ? C'est le minimum vital lorsqu'on postule pour des postes élevés dans l'administration, non ?
    Pourtant, c'est ce critère en particulier qui sélectionne les enfants des classes aisées au détriment des plus populaires.

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  14. @ Paul : et donc, Zemmour se plante.

    Je m'explique en reprenant ton commentaire. Avant, on formait 10% des Français qui avaient déjà acquis les choses dans la famille ou le milieu social. L'école avait donc une tâche d'une extrême simplicité et se contentait, pour les autres, d'un minimum basé sur le français, les maths, un peu d'histoire et de géographie et de l'instruction civique.

    Maintenant, on amène 35% des gamins au bac général. Pour y arriver, comme on n'a pas voulu affronter la difficulté scolaire (trop cher !), on a abaissé les exigences sur le français et les maths, et on a multiplié les disciplines. Le niveau a donc monté dans l'ensemble mais a baissé dans deux disciplines. On peut donc considérer que l'accès à la culture par l'école a augmenté, sauf pour les 10% qui y accédaient avant, mais ils l'ont déjà à la maison.

    L'école doit être faite pour 10% ou 100% des gamins ? Pour moi, la réponse est claire. Le problème, c'est que l'éducation coûte chère...

    Quant aux élites, je ne m'inquiète pas pour elles.

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  15. Je ne crois pas que ça contredise Zemmour. Imaginons 100 élèves. On a le choix entre :
    - en amener 10, dont 2 non-issus de l'élite, à un niveau excellent
    - en amener 50, dont 40 non-issus de l'élite, à un niveau moyen

    Les grandes écoles, et plus généralement les métiers très haut placés, recrutent des gens excellent. Dans le premier système, une poignée de fils d'ouvriers ou classes moyennes accèdent à l'excellence. Dans le second, personne n'y accède par l'école, seuls les fils de CSP++ y accèdent, par d'autres moyens (familles, enseignement privé...)

    Il me semble vraiment que l'élitisme et la sélection dès le collège obtiennent de meilleurs résultats pour l'ascenseur social républicain.

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  16. @ Paul : mais ton raisonnement ne tient pas, parce qu'avant, il n'y en avait pas 20%, mais 2 ou 3% qui ne venait pas de l'élite. Je peux t'en donner un exemple parfait. L'année où j'ai décroché mon agrégation d'histoire (l'un des concours de l'Etat parmi les plus sélectifs, sur les 120 reçus, il y avait 2% d'enfants de milieux ouvriers (ce qui n'est pas mon cas).

    Dans ton idée, on en amènerait 40 à un niveau moyen, mais sans doute le même nombre au niveau excellent, puisque leur réussite ne vient pas de l'école.

    Alors, je le dis tout net, je préfère un système qui permet à 50 gamins, dont 10 qui seront excellents de toute façon et qui seront les mêmes, d'atteindre un niveau moyen, plutôt qu'un système qui en sélectionne 10 (déjà gagnant au départ) et qui envoie les 90 autres vers l'ignorance.

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  17. Oui tu as raison pour les quotas, c'était juste un exemple.
    Par contre, je ne crois pas que les excellents "de toute façon" soient forcément ceux issus de l'élite. Si on apprenait à repérer les élèves très doués dès le plus jeune âge, on leur éviterait le calvaire d'un niveau trop bas, et on permettrait à ceux issus des milieux modestes d'accéder à l'excellence.
    Mais bon, déjà que le collège unique est un dogme, alors de la sélection au primaire, c'est carrément l'horreur !!

    Entre parenthèses, tu as l'air de considérer que ce qu'on apprend au collège/lycée, c'est la connaissance, et le reste, l'ignorance.
    Il suffit d'ouvrir un manuel d'histoire d'il y a quelques décennies pour se rendre compte à quel point ce qu'on apprend n'est qu'un point de vue parmi d'autres (qui de plus émane des ministres, pas une référence). Avant, on apprenait aux écoliers que les prussiens étaient des tueurs d'enfants ou que Pétain était l'enclume et De Gaulle le marteau. Comment croire que ce qu'on raconte aujourd'hui n'est pas aussi ridicule ?

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  18. @ Paul : non, je m'énerve alors je deviens caricatural. Non, tous les bons ne viennent pas de l'élite, mais le système sélectionne. Cependant, je suis pour la sélection le plus tard possible, vu que les études démontrent que la hausse de l'âge de sélection améliore le niveau global. En plus, ce sont les libéraux de l'OCDE qui l'affirment, dont, je suis tranquille sur ce point. Le MEN le dit aussi par ailleurs. D'autre part, je pense qu'il est bon pour les enfants de fréquenter la différence de compréhension, et pas de se séparer les uns des autres.

    Pour les milieux populaires, c'est un fait, même si cette connaissance est orientée.

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  19. Les deux systèmes ont de forts avantages et inconvénients. Je pense que revenir à un système élitiste que chérit Zemmour n'est pas envisageable, on ne revient pas vers le passé. Mais le système actuel ne donne pas satisfaction.
    Il faut vraiment s'intéresser à ce qui se passe en Finlande, c'est un modèle qui marche très bien en ce moment, et où les disparités sociales se ressentent le moins dans le niveau des élèves.

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  20. @ Paul : je suis totalement d'accord qu'il faut travailler sur le système scolaire. Cela demanderait d'abord de savoir ce à quoi il doit servir. Gros débat en perspective.

    Pour la Finlande, je ne sais pas. Tout ce que j'ai pu lire dessus est intéressant, mais je ne suis pas certain que ce modèle colle avec la culture française, pas scolaire mais globale.

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  21. Oui un modèle ne peut pas être importé. Il faut surtout que les français se mettent d'accord sur une conception du système éducatif. C'est pas gagné !

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  22. @ Paul : si on n'arrive pas à se mettre d'accord, la loi de la majorité peut toujours trancher.

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