samedi 4 octobre 2008

Tout cela est absurde, mais faut bien faire avec...

Il y a des moments, chers lecteurs, où l'absurdité de la vie vous rattrape. Chaque jour, nous vivons nos existences un peu comme des zombies. Tous, nous savons que la vie a un début et une fin, qu'il n'y a potentiellement rien après, mais nous nous obstinons à mener des existences qui sont censées avoir un sens. Cet aveuglement permanent est, quand on y réfléchit, sans doute le signe d'une volonté de nier la réalité des choses, et d'essayer de survivre, quand même, d'une manière un peu insouciante.

Et puis, parfois, sans qu'on le veuille vraiment, brusquement, la réalité vous rattrape. Cela m'est arrivé aujourd'hui.

Cette année, j'ai la chance d'enseigner une discipline où je suis un tandem avec un professeur d'une autre discipline. Ces expériences pédagogiques sont passionnantes et me démontrent chaque jour qu'il est encore plus enrichissant pour les élèves de jouir du fonctionnement de deux cerveaux en simultané, qui résonnent, raisonnent et s'activent en même temps pour tenter de leur faire apprendre des trucs.

Durant l'une de nos heures de cours, nous avons piqué une colère, et une grosse. Nos élèves ne bossaient pas. C'était vendredi, beaucoup étaient fatigués par les fêtes de la semaine, et cela fait quatre semaines qu'ils bossent : ils commencent à peiner. Alors, j'ai fait mon show du prof en colère, un peu déçu et désabusé, qui aligne les élèves paresseux. Je suis assez bon à ce petit jeu-là, mais ça m'épuise terriblement. Je les ai serinés pendant quelques minutes, et ma collègue a alors pris le relais.

C'est alors que cela a surgi. Je m'appuyais sur le bureau pendant que ma collègue s'énervait sur eux. Une colère d'un prof est déjà impressionnante, mais quand deux s'y mettent, c'est d'autant plus dur. Je regardais leurs visages tendus, baissés, certains qui exprimaient de la révolte, d'autres de la culpabilité, quelques-uns de l'indifférence. Et là, j'ai été pris par l'absurde. Je me suis rappelé qu'il y avait une fin, et que les souffrances infligées à ces gamins n'avaient pas vraiment de sens, que tout allait finir un jour, et qu'on ferait mieux d'aller voir ailleurs si l'herbe est plus verte. La mélancolie m'a saisi, pendant quelques secondes à peine, me laissant dans un drôle d'état.

L'engueulade s'est terminée, et nous avons repris le travail. J'ai mis un petit moment à remettre le voile de l'hypocrisie sur la réalité. Encore maintenant, l'image de la logique de la vie me traverse . Sans doute, demain, il n'y paraîtra plus, et, pendant quelques jours, semaines ou mois, n'y penserai-je plus, continuant à former ces jeunes pour qu'ils utilisent au mieux leurs cerveaux dans le futur.

Plus je vieillis, plus les moments où l'absurdité de la vie ressurgit sont fréquents. Je suppose que le poids des ans, les expériences et les deuils l'imposent. Dans ces instants, je me dis que les écrits de ce blog sont tout aussi vains que le reste. Et puis, je me reprends, et je repars.

Mais quand même, cher lecteur, toute cette vie, c'est absurde, non ?

23 commentaires:

  1. Tout à fait d'accord, c'est absurde. Et pourtant nous sommes là, à faire des billets et en commenter d'autres, à piquer des indignations de peu d'écho, à enfiler des mots pour faire des phrases, des phrases pour nous regarder faire semblant de vivre, peut-être! Ça, se sont les soupçons des mauvais jours. Il y en a d'autres où nos actes semblent avoir un sens, non?
    Un jour peut-être une de vos élèves vous dira que vous lui avez apporté quelque chose de solide, et vous serez heureux.

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  2. Ces moments où on se regarde passer dans la rue sont un peu effrayants, mais profitable pour plus tard, sans doute...

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  3. @ Eric : sans doute, cela ne retirant rien à la difficulté de l'ensemble...

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  4. @ LCC : cela dépend. Tout a un sens, mais pour nous. Pour l'univers, peu de sens à tout cela...

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  5. je suis d'accord avec toi car on vit pour mourir et on est sur cette terre que pour s'en aller plus tard: c'est absurde!!!
    Olivier

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  6. Blog philosophique... L'heure du spleen mensuel?
    Tu engueules tes élèves pour les préparer à leur vie, avant la fin. T'es pas prof de catéchisme?
    Le sentiment que tu as partagé avec nous me fait parfois penser que je n'aurais jamais dû revenir vers la vie "normale", et continuer le "jour le jour" si agréable.
    Mais notre nature n'est elle pas de s'imposer des obstacles, des difficultés?
    L'absurde ça n'est pas vraiment le fait d'un début et d'une fin, mais que nous somme "programmés" pour nous épanouir dans la difficulté et les épreuves.
    Le choix le plus difficile est le choix d'une vie détachée, et vraiment libre. (rien à voir avec LHC, mais alors RIEN)

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  7. @ Manuel : oh non, je ne parle jamais de tout ça aux élèves. Ils n'ont même pas dû se rendre compte que j'étais traversé par ces pensées-là.

    En fait, je pense qu'il faut bien occuper l'absurde, d'où la source de nos difficultés.

    Par contre, j'ai pas du tout compris ton lien avec LHC.

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  8. @Mathieu : Je pense que c'était une blague, en rapport avec "Le choix le plus difficile est le choix d'une vie [...] vraiment libre", le leitmotiv de beaucoup de LHC étant justement la liberté et le libéralisme...

    En tout cas je comprends tout à fait ce petit coup, non pas de blues, mais disons, de "vertige". Ces brefs moments où on se dit "à quoi bon", et où on se demande pourquoi on se complique tant la vie, pourquoi ce qui nous importe tant nous importe, et pourquoi tout cela vaudrait mieux que de cueillir des fruits et de pioncer dans une caverne... Et puis tout ça s'envole, et on retourne à nos réflexes et à nos évidences...

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  9. @ Elyas : je ne crois pas que les membres de LHC proposent de donner un vrai sens à nos vies, au contraire même, à part la liberté "gratuite" d'entreprendre...

    Ouh là, nouveau vertige...

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  10. Merci Elyas, le petit Mathieu a parfois du mal...
    Mathieu, bien sûr que les LHC ne donnent pas un sens à la vie, mais leur mot saint est "liberté" et ses dérivés. Je désignais le choix le plus dur à prendre dans la vie (choix que je n'ai finalement pas pris, presque...): être vraiment libre, détaché de la société, ne pas appartenir à rang social, se frayer un chemin à rebrousse poil.
    Je disais que l'absurde était qu'il faille suivre une piste déjà tracée et que se refuser à ça était la chose la plus difficile.

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  11. Salut à tous,
    c'est un beau billet que tu as écrit là, Mathieu L., plein de finesse et de juste retranscription de tes sentiments.

    L'absurde est un sentiment essentiel pour l'être humain. J'en ai parlé moi aussi récemment.

    C'est Camus qui en le mieux parlé je trouve, avec le mythe de Sisyphe. Vous savez, cet homme qui pousse son rocher jusqu'en haut de la colline, et qui le voit, à chaque fois retomber. Il recommence, et est condamné à recommencer.

    C'est la vie humaine qui est absurde.

    Et comme concluait Camus (il faut lire ce livre merveilleux) - de mémoire - :

    "je laisse Sisyphe au bas de la montagne : on retrouve toujours son fardeau. Mais la lutte même vers les sommets suffit à remplir un coeur d'homme. Il faut imaginer Sisyphe heureux."

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  12. Je lis le billet original, et les commentaires, tout cela me plonge dans une profonde perplexité....

    A la fin de la vie il y a la mort.
    C'est indéniable...

    Mais avant la mort il y a tant à vivre, tant à partager, tant à apprendre de soi, des autres et de ce qui reste, tant de moments éphémères, tant de douleurs que l'on gardera en soi, n'est-ce-pas là l'intérêt de la vie ?

    Je suis assez d'accord avec Manuel pour définir la vraie liberté, et l'absurdité du mode de vie que nous nous imposons, toujours à courir dans l'urgence, à brûler notre vie pour atteindre au plus vite la "retraite" ou l'on rendra enfin le temps de vivre...

    Mais je pense aussi qu'il est possible d'avoir une vie professionnelle tout en trouvant un sens à sa vie personnelle (heureusement, vu l'intérêt grandissant qu'a pour moi le boulot...), et que c'est dans l'accomplissement de sa vie personnelle que l'on trouve le sens à "toute cette vie absurde", la philosophie bouddhiste de ma moitié m'a sûrement contaminée au fil des années mais je trouve de plus en plus de bonheur à m'accomplir moi plutôt que d'accomplir des choses....

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  13. qu'est ce que s'accomplir soi, si ce n'est accomplir des choses.

    Et puis l'aburde est plus profond que ce que tu en décris, Fabrice. Tu peux être accompli le plus que tu veux, ça ne change rien à l'absence de sens absolu de ta vie. TU peux lui en donner, on est d'accord. Mais elle n'en a pas, au final.

    à nous de vivre avec ça.

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  14. @ Lomig

    S'accomplir soi c'est d'abord être en équilibre, savoir faire le distingo entre les désirs que la norme nous impose (réussite sociale, financière, grand nombre d'amis, être beau et jeune à jamais grâce aux dernières crèmes...) et ceux qui nous sont propres, car issus de notre sensibilité profonde, c'est faire son expérience pour arriver à être en paix avec soi (accepter ses faiblesses comme ses forces), "accomplir des choses" peut faire partie de cette recherche, mais pas forcément, nous n'avons pas tous un ego qui demande à marquer l'histoire ou à se démarquer des autres par ses accomplissements.

    Quand au sens absolu de la vie, si je me base sur notre nature d'être vivant le but de la vie est de faire persévérer l'espèce, si je me fie au hitchiker guide la réponse est 42, et si je me fie à moi je dirai "le sens absolu de ma vie c'est qu'elle a un début et une fin, et qu'entre les deux j'ai le choix de faire ce qui me chante, et que si l'univers ne sera pas bouleversé par ma vie c'est pas bien grave, ma vie je la vie pour moi, pas pour l'Histoire".

    Pas d'absurde pour moi là dedans, pas de mauvaise blague cosmique, rien que ce que j'en fait (avec certes quelques grands dirigeants qui prennent un peu trop de décisions à ma place parfois mais rien ne m'oblige à rester où je vis, la terre est vaste, si je suis si malheureux je dois encore pouvoir trouver une île déserte et fonder ma communauté).

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  15. Fabrice, tu m'épates, je ne te savais pas imprégné de la philosophie bouddhiste...
    Lomig, si je remplis ma vie, de quelque manière que ce soit, Fab a bien résumé ma pensée, elle n'est plus absurde.
    Ma femme m'a demandé si j'étais heureux ce week end, et je lui ai répondu que j'étais heureux presque tous les jours, des moments de bonheur. Pour moi remplir ma vie, et me détacher de l'absurdité de la vie et de la mort, c'est remplir ma vie d'un maximum de petits ou grands moments de bonheur.
    Tu peux construire ce que tu veux, je reste persuadé qu'au moment de mourir, ce qui compte c'est le bonheur vécu, et non pas les taches effectuées.
    Et ce bonheur se trouve partout, le bonheur n'est pas forcément synonyme de fortune ou de gloire mais d'accomplissement personnel.
    Le bonheur se trouve dans toutes les petites choses de la vie que l'on fait, si on les fait avec plaisir et amour.
    Mais se détacher du mode de vie qui nous est imposé dans la société, ou plutôt combiner ce mode avec le bonheur simple, c'est la partie difficile. Notre société ne nous mène pas au bonheur mais à la peur et au stress.On s'éloigne de la nature, on a peur de ne plus pouvoir travailler, on est stressé tous les jours par notre environnement professionnel ou social. La société actuelle est faite de stress.
    L'absurdité pour moi n'est donc pas tant le fait de mourir un jour, mais le fait d'avoir à essayer de trouver le bonheur au sein d'un univers profondément malheureux.
    Mais je me démerde pas mal :)

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  16. @ tous : franchement, les gars, mon billet ne visait nullement à faire de la politique. D'autre part, je ne disais pas que je suis malheureux. Enfin, je suis très heureux professionnellement. Je pense que si j'étais dans un autre type de boulot, j'aurai les mêmes petits moments de spleen. Qui sommes-nous, chers lecteurs, pour nous en exclure ?

    Bon, à force de faire des billets de ce type, Wikio me classe dans les blogs divers. Va falloir que je corrige le tir.

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  17. @ Manuel

    J'ai toujours été intéressé par cette pensée, même si je n'en partage pas toujours les convictions je trouve que le message véhiculé, par delà les différentes écoles, est bénéfique car il cherche à amener les gens à mieux se comprendre avant de chercher des réponses mystiques à leurs angoisses.

    C'est amusant de voir qu'après 13 ans d'amitié, des semaines de cohabitation, des centaines d'engueulades et autant de fous rires on découvre seulement aujourd'hui ce qui nous rapproche non ?

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  18. Salut Mathieu

    C’est ça que j’aime dans les blogs, ce sont ces moments de sincérité qui n’essayent pas de dire et de faire croire qu’on est pleins de certitudes que l’on essaye d’exprimer tant bien que mal (même si c’est plutôt bien pour ceux que je fréquente) !

    Exprimer ses doutes fait toujours du bien à celui qui les expriment et à ceux qui le lisent…il me semble que la nature des commentaires à ce billet en sont la preuve !

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  19. Fabrice... Ce qui nous rapproche c'est ce que Math ne veut plus t'offrir...

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  20. @ Nicolas007bis : merci pour les compliments.

    @ Manuel : Carton rouge !!!

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  21. @ Mathieu

    Manuel parlait de la PS3 et du dernier jeu de foot, qu'allais-tu imaginer ;)

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