jeudi 8 janvier 2009

La communication de Sarkozy ne doit pas nous faire oublier que réformer la justice est une nécessité !

En début de semaine, le président de la République, avant de s'envoler faire un tour au Moyen-Orient, avait annoncé une grande réforme : la suppression du juge d'instruction. Au départ, je me suis dit que le président avait encore eu un moment d'excitation, exactement à la même période durant laquelle il avait annoncé, l'an dernier, la suppression de la publicité sur l'audiovisuel public. Je me suis même dit que le président allait sans doute se dédire rapidement, vu le tollé médiatique qui explosa immédiatement.

Mais non, hier, devant le CSM, le président a confirmé sa proposition de réforme. Nous pouvons tous, cher lecteur, avoir accès au contenu du discours. Je l'ai trouvé personnellement chez Maître Eolas. Dans ce long texte, la partie sur la suppression du juge se résume à cela :

Je veux être clair : le respect des libertés individuelles doit aussi être garanti dans le secret du cabinet des juges d’instruction. Puisqu’il ne l’est pas suffisamment aujourd’hui, je m’engage très fermement à ce qu’il le soit demain.

Le juge d’instruction, en la forme actuelle ne peut être l’arbitre. Comment lui demander de prendre des mesures coercitives, des mesures touchant à l’intimité de la vie privée alors qu'il est avant tout guidé par les nécessités de son enquête ?

Il est donc temps que le juge d’instruction cède la place à un juge de l’instruction, qui contrôlera le déroulement des enquêtes mais ne les dirigera plus.

Le juge d'instruction est le pilier de notre système pénal. Il instruit les affaires et est censé viser toutes les visions possibles de l'affaire, à charge et à décharge. Il permet une certaine équité de l'appareil judiciaire, comme le rappelle assez justement Le Coucou dans un billet récent. Mis en place par le code Napoléon, il est cependant issu d'une vieille tradition judiciaire : en France, c'est l'État qui enquête, et cela existait à l'époque moderne.

Cependant, de nombreuses catastrophes judiciaires ont amené à des remises en cause de ce système. J'ai gardé un souvenir assez marquant des débats de la Commission d'Outreau, qui ont été, à mon humble avis, d'excellentes qualités, et qui ont amené à la production d'un document qui, s'il n'est sans doute pas parfait, donne des pistes de réflexions, accessibles aux citoyens lambdas. Les parlementaires ont réussi à aboutir à des projets consensuels qui pourraient avoir le soutien de l'ensemble de nos familles politiques.

Personnellement, je trouve quand même sain que l'on se pose des questions sur le fonctionnement de la justice. J'ai toujours eu le fantasme des erreurs judiciaires : pour moi, la police et la justice, comme l'armée, sont le symbole du pouvoir exorbitant de l'État sur nos vies, et de la nécessité d'encadrer profondément son action et son mode opératoire, dans le but de protéger au maximum, dans le rapport de force de la justice, le citoyen accusé qui est forcément le plus faible. L'affaire d'Outreau a révélé toutes les dérives qui pouvaient apparaître.

De plus, ma pratique de l'histoire m'a appris que, dans nos démocraties libérales, ils n'existent pas de système judiciaire parfait. Contrairement à la justice divine, et malgré nos tentatives permanentes pour tenter de toucher à cette perfection, notre justice se plante souvent. Il ne s'agit donc pas de transformer la justice française en justice américaine, tout aussi soumise à l'erreur, mais d'essayer d'améliorer notre système judiciaire imparfait en quelque chose d'un peu moins imparfait.

Si le président Sarkozy avait voulu se lancer dans une vraie réforme de la justice, qui pourrait être l'une des plus importantes de son quinquennat, il aurait dû prendre son temps, lire les travaux parlementaires déjà réalisés, les rapports des organisations internationales sur le système français, les jugements de la cour européenne des droits de l'homme, recevoir les dirigeants des grands partis, les représentants des juges et des avocats, et prendre le temps de construire une vraie réforme, en n'oubliant pas la question des moyens dont notre justice manque cruellement.

Mais comme d'habitude, Sarkozy ne peut pas s'empêcher de faire du Sarkozy. Deux défauts apparaissent immédiatement :
  • Comme on l'a déjà vu par le passé, le président intervient sans consulter personne et en proposant quelque chose que personne n'avait jamais envisagé, la suppression du juge d'instruction et le placement de l'enquête sous le contrôle du parquet. En procédant de cette manière, Sarkozy heurte tout le monde et provoque la tempête.
  • De plus, comme on connaît sa volonté d'avoir le contrôle sur tout, il est à craindre que cette réforme soit l'occasion pour l'État de resserrer son contrôle sur les enquêtes : n'oublions pas que les juges d'instruction ont été capables, dans le passé, de défier des hommes politiques influents. Cette capacité risque d'être largement écornée.
Pourtant, quand on lit le texte du discours, on voit que Sarkozy a quand même progressé sur une chose. Finalement, il ne dit rien de précis, et même la citation ci-dessus est totalement vide, si on prend la peine de se pencher un peu dessus. Cela peut lui permettre de s'adapter au vent du boulet et, vue la réaction générale, de dire que ce qu'il a dit ne voulait pas dire qu'il avait voulu dire ce que l'on avait cru avoir compris... Enfin, tu as compris ce que je veux dire, cher lecteur ?

Cela peut nous permettre de développer nos idées et de préparer le terrain pour éviter une réforme judiciaire qui serait totalement désastreuse et à minima. Continuons à en parler sur nos blogs respectifs, lisons attentivement la presse et les réactions politiques, et essayons de convaincre que, si la simple suppression du juge d'instruction serait un grave danger, sa réforme pour l'améliorer est cependant une nécessité.

Et maintenant, place au débat !

4 commentaires:

  1. Mathieu, il me semble que les dysfonctionnements de l'instruction (Outreau, l'affaire de l'ex-journaliste de Libé), sont des prétextes pour camoufler une volonté de maîtriser la totalité de notre vie publique. La soif de pouvoir de N. Sarkozy est tout simplement sans limites. Il sera intéressant de voir si le parlement, soi-disant revivifié, laisse faire…

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  2. @ LCC : je suis entièrement d'accord avec toi. En fait, mon billet visait juste à reposer les termes du débat, et à dénoncer par là les faiblesses du projet présidentiel. J'espère avoir été bien compris.

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  3. C'est d'autant plus bête que l'ensemble de son discours est plutôt intéressant. Et que le système accusatoire, en lui-même, n'est pas à jeter sans réfléchir. Mais comme tu dis, c'est impossible sans parquet indépendant, et encore uen fois, il se prononce avant mêmeque la commission donne le résultat de ses travaux...

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  4. @ Le Chafouin : en fait, j'ai toujours l'impression que tous les systèmes judiciaires sont remplis de défauts. Peut-être faudrait-il faire un mixage des points positifs de chacun ?

    Bon, après, mes connaissances en droit sont trop limitées pour aller plus loin.

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Laissez-moi vos doléances, et je verrai.

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