dimanche 3 mai 2009

Les libéraux s’interrogent sur l’éducation : proposons-leur quelques réponses.

Paul, de Freelance, m'a demandé, comme à d'autres, de venir répondre à quelques questions sur l'éducation. Il part d'une citation de Victor Hugo concernant le rapport entre éducation et instruction. C'est une vieille question qui traverse tous les enseignants mais aussi la société dans son ensemble. En effet, ces deux termes portent non seulement des valeurs pédagogiques différentes, mais portent aussi des valeurs politiques différentes.

Avant de se lancer, il faut se livrer à quelques définitions. L'instruction consiste à la transmission des savoirs, qui est à la base de la mission scolaire. Le terme est connoté par une idée de grandeur et d'importance du savoir par rapport à des enfants qui ne font que l'absorber. L'éducation consiste aussi à la transmission de valeurs, d'une morale, par l'attitude et le comportement des enseignants qui prennent ainsi une part supplémentaire à l'édification du futur citoyen. Les deux termes s'opposent depuis le XVIIIe siècle, et interrogent sur la place de la famille et de l'individu face à l'éducation. De même, il pose la question de la place des éducateurs, quel que soit l'institution qui les prend en charge (Etat, Eglise, écoles privées…).

Pour moi, les termes ne s'opposent nullement, et ils ne se sont jamais opposés en France. Dès les lois Ferry, l'école vise à républicaniser à toute vitesse les enfants des classes populaires, des villes comme des champs, mais aussi les milieux plus aisés, pour ancrer la République et préparer la revanche contre l'infâme Empire allemand. Il est intéressant de constater que c'est par un progrès, l'accès à l'école pour tous, qu'on a mis en avant l'intérêt de la démocratie et de la République. Ainsi, en liant une instruction de qualité mais aussi des enseignants adoptant une morale dite « républicaine », on a associé de fait instruction et éducation.

Une fois ce préalable posé, allons voir les questions de Paul :

- Quelle différence voyez-vous entre éducation et instruction ? Peut-on, comme le préconise Hugo, séparer radicalement les deux ?

Comme je le soulignais plus haut, on peut en effet les différencier clairement. Cependant, Victor Hugo les sépare aussi de manière radicale, ce qui va à l'encontre du système, mais aussi de la pratique réelle des enseignants, où qu'ils soient. Je pense que l'enseignant, par son comportement, éduque, même sans le vouloir. Hugo se questionne aussi sur la place de la famille. Celle-ci apporte à l'enfant une éducation (culture, racines, passé) et l'école apporte des valeurs communes, qui peuvent aussi permettre à l'enfant de s'émanciper, tout en ne remettant pas forcément en cause l'éducation parentale.

- Comment juger d'une bonne éducation/instruction ?

Là, Paul entre dans le champ politique et quitte un peu la simple question éducative. Pour moi, une éducation réussie est une éducation qui permet à l'enfant de comprendre le monde dans lequel il vit, de pouvoir avoir les moyens d'y être libre et épanoui, de savoir faire des choix politiques éclairés, respectueux des valeurs démocratiques et en accord avec sa conscience. L'acquisition d'un savoir rigoureux permet cette évolution.

- A quel point l'éducation et l'instruction sont-ils facteurs d'inégalités sociales ? Doit-on être bien éduqué ou bien instruit pour réussir ?

On pourrait croire que la réponse est simple, mais en fait, ce n'est pas le cas. Cela fait maintenant 140 ans que la République éduque les enfants, et tous ont reçu une instruction au moins minimale. Pourtant, les résultats restent inégaux. Le social joue à l'évidence pour expliquer les échecs et les réussites, mais il n'explique pas tout. A l'évidence, l'obtention de diplômes reste un facteur d'ascension social, mais il n'est pas le seul. L'éducation n'est qu'un facteur parmi une multitude…

- Quel est le rôle de l'État dans tout ça ? Doit-il nous fournir gratuitement les moyens de nous instruire ? Doit-il nous éduquer ?

Là, on retourne en plein dans le politique et dans les convictions de chacun. Je dirai d'abord que le choix de l'État dépend des décisions démocratiques du peuple. Je dirai ensuite qu'il reste sans doute le seul moyen de garantir un minimum d'égalité et qu'il est aussi le moins cher du fait de phénomène d'économies d'échelle bien compréhensible. Ensuite, pour continuer dans les questions, je dirai que l'éducation n'est jamais gratuite, elle est même très coûteuse car elle demande des compétences considérables. L'État la paie par les impôts et ne fournit donc rien de gratuit : le coût est simplement dilué dans les impôts, ce qui le rend moins douloureux et fait porter par toute la collectivité l'éducation de tous ses enfants. C'est un principe intéressant. Pour l'éducation, il me semble totalement impossible de faire l'un sans l'autre, sauf à imaginer une éducation faite par des machines. Qui que soit l'instructeur, il éduque forcément.

- A ce propos : le ministère de l'instruction publique est devenu en 1932 celui de l'éducation nationale. Ce changement de nom est-il un détail ?

En 1932, la France a assumé qu'elle faisait de l'éducation et que la République menait ce double-combat citoyen. Ce n'est pas un détail, mais ce n'est pas non plus une révolution.

Bon, je t'accorde, cher lecteur, que j'ai répondu très vite. Comme cela commence à ressembler furieusement à une chaîne, je transmets la patate chaude à CC, Marie-Georges et Polluxe. Débrouillez-vous avec cela !

10 commentaires:

  1. J'adore le titre !
    Globalement d'accord avec toi, mais tu t'es pas trop mouillé non plus ! J'écris une réponse dès que j'ai le temps.

    RépondreSupprimer
  2. @ Paul : ah, j'ai décris mes convictions. Tu ne nous as pas demandé d'aller plus loin.

    J'attends ta réponse...

    RépondreSupprimer
  3. Tout à fait d'accord avec toi. Que vais-je pouvoir ajouter, maintenant que j'ai la patate chaude entre les mains ? ;-)

    RépondreSupprimer
  4. Oui...? Bon, je verrai ce que je peux faire...Mais bon, les vacances sont finies...Grrr !

    :)
    CC

    RépondreSupprimer
  5. Instruire sans éduquer me semble difficile.
    Les élèves passent une trentaine d'heures par semaine à l'école. Les enseignants transmettent aussi des clés pour vivre ensemble et ce n'est plus exactement de l'instruction.

    RépondreSupprimer
  6. @ Polluxe : plein de trucs intéressants, je suis sûr.

    @ CC : ah, ces profs, toujours à réclamer des vacances.

    @ Ferocias : ben oui. En fait, je ne vois pas trop comment on parvient à problématiser cette idée...

    RépondreSupprimer
  7. En revanche éduquer sans instruire, je vois assez bien.

    RépondreSupprimer
  8. @ Ferocias : oui, mais ça, c'est sans intérêt. Les enseignants ne serviraient plus à rien...

    RépondreSupprimer
  9. Assez d'accord avec tout ce que tu dis mais tu t'es bien gardé d'évoquer le rôle de l'Education Nationale qui est certainement d'instruire mais est-il également d'éduquer et si oui ou doit-il s'arrêter par rapport au rôle de la famille ?...comment les enseignants peuvent-ils instruire des élèves qui n'ont pas reçus une base éducative suffisante de la part de leurs parents ?

    Et puis, il me semble que, comme beaucoup à Gauche, tu sous-estimes la responsabilité des parents et l'importance de l'éducation dans la réussite sociale en mettant tout sur le dos de la situation sociale des parents ! ...

    A niveau social des parents équivalent, un gamin/une gamine auquel les parents ont appris à respecter certaines valeurs importantes: rigueur, respect des autres, importance du travail etc aura plus de chances de profiter de l'instruction donnée par l'Education Nationale !

    RépondreSupprimer
  10. @ Nicolas007bis : je peux te répondre très simplement. La famille joue son rôle et l'école sert à éduquer dans le rôle de citoyen, pas dans celui d'homme ou de femme. Parfois, les deux se recoupent.

    Tu poses cependant une vraie question qui est de savoir comment l'école peut se débrouiller avec les enfants mal éduqués. Je crois qu'il faut éviter que l'État se mêle de la vie des familles. Ce qu'il faudrait, dans l'idéal, c'est que l'éducation reçue à l'école fasse prendre conscience aux familles de leurs rôles d'éducateur. Tout se recoupe et se mélange, finalement.

    RépondreSupprimer

Laissez-moi vos doléances, et je verrai.

La modération des commentaires est activée 14 jours après la publication du billet, pour éviter les SPAM de plus en plus fréquents sur Blogger.