lundi 7 juillet 2008

Une pause, mais pas tant que cela, dans ma série sur l'immigration.

Cher lecteur attentif, je n'ai pas vraiment eu le temps d'écrire un nouvel article de fond aujourd'hui. Je n'ai même pas encore pu répondre aux commentaires du jour, mais je pense avoir le temps de le faire dans la soirée. Avant de passer au quatrième billet sur l'immigration, qui se concentrera sur l'immigration actuelle, je te propose la lecture du texte ci-dessous. Il s'agit d'un billet que j'avais publié sur mon ancien blog réservé à mes proches, dans lequel je décrivais une visite au service des étrangers de la préfecture de Seine-Saint-Denis, effectuée pour soutenir deux de mes élèves qui avaient de bons dossiers pour se faire régulariser, mais qui avaient peur du contact avec les fonctionnaires de police, car ils étaient majeurs, et donc expulsables. Cela se passait à la période ou Sarkozy, alors ministre de l'intérieur, avait proposé aux étrangers scolarisés de déposer des dossiers en vue d'une éventuelle régularisation. Nous les avions accompagné pour les aider et pour vérifier que la demande de dossier et les conséquences se faisaient dans le respect des droits et de la loi. Il est pour moi significatif de ce que je trouve problématique dans la manière dont la France traite aujourd'hui les étrangers. Ce billet a été publié le 29 décembre 2006, jour de la visite, et je l'amende juste un petit peu. Il avait fait très froid durant la nuit du 28 au 29.

"Ce matin, j'ai accompagné à la préfecture de Bobigny une collègue chargée du Réseau Éducation Sans Frontières de mon lycée, pour déposer deux dossiers de demande de régularisation de nos élèves. Mon père et un ami m'avaient souvent parlé de la façon dont les choses sont gérées sur place, mais le voir en vrai entraîne quelques réflexions.

Lorsqu'on arrive devant l'entrée vers 8h45, on trouve une file de plusieurs centaines de personnes qui attendent dans le froid. Les premiers sont là depuis 1h00 du matin, nos élèves sont arrivés à pied de leur commune vers 4h00, et sont au milieu de la file. C'était justement l'une des nuits les plus froides de ce mois de décembre (environ -2°C). Ces gens s'entassent, s'engueulent, se poussent et se tirent les uns les autres. A 9h00, deux policiers ouvrent les portes et font rentrer doucement les gens en leur infligeant un humiliant contrôle d'identité. Puis, lorsque les tickets de toute la journée ont été distribués, les policiers ferment les portes et laissent les gens restants dehors, ceux-ci étant obligés de refaire la queue le prochain jour ouvrable, quelles que soit leurs situations. Évidemment, la première idée qui me vient est : comment se fait-il que les fonctionnaires ne s'organisent pas pour que ce ne soit pas le bordel comme cela? Je tente d'y apporter quelques réponses:

1) Il est clair que l'attente des étrangers toute la nuit n'est pas due au hasard. S'ils le souhaitaient, les services préfectoraux pourraient avoir largement assez de personnel pour assumer le tout. Après tout, on sait que le 93 accueille le plus important regroupement d'étrangers en France. Il s'agit donc d'une série d'humiliations appliquées aux étrangers dans le but de les décourager et de leur faire sentir qu'ils ne sont pas les bienvenus. Quelle honte pour notre pays, soi-disant terre d'accueil. En plus, je suis sûr que de nombreux Français approuveraient ces mesures contre des sans-papiers qui ont déjà décidé de ne pas respecter la loi. Mais, et c'est très important, je vous signale que tous les étrangers sont là, y compris les réguliers : les cartes de séjour longue durée, les conjoints de Français, les étudiants... Des gens en règle! Tout ce que cela montre, c'est l'absence complète de dignité de la République à l'égard de ces personnes.

2) Le contrôle d'identité est aussi, à l'entrée, particulièrement choquant. Il est incroyable qu'on doive présenter ses papiers à l'entrée de la maison de la République qu'est la préfecture, sauf si c'est un besoin pour les formalités. Surtout que les sans-papiers, par définition, n'en ont pas (un rappel à l'ordre ?), mais qu'ils pourront entrer quand même, après une engueulade de rigueur. Tiens, sauf pour nos deux élèves, que nous accompagnons. Le fait de dire "Réseau Éducation sans frontières" calme de suite les collègues fonctionnaires, qui ne nous adressent qu'un vague rictus, en contrôlant nos propres papiers.

3) Enfin, je pense que tout ce cérémonial vise à montrer aux étrangers que dans ce lieu, ils sont face à l'arbitraire le plus pur. En effet, il n'y a plus aucun motif qui vous autorise automatiquement à séjourner en France, et cela se sent ici, le droit étant devenu complètement flou. Vous êtes victime de l'arbitraire d'un fonctionnaire qui peut être sympathisant de votre situation, ou pas, ce qui est anormal dans les deux cas. Il est illégitime que la vie d'un homme ou d'une famille soit à la merci de la décision d'un administratif. C'est vraiment cela le plus grave.

Ce qui couve derrière cette cérémonie, c'est que les Français, en se masquant les yeux, ont laissé le non-droit se développer dans ce domaine. Les étrangers apparaissent comme des victimes toutes désignées à nos concitoyens.


Je lance un appel à nos politiques: clarifiez les choses dans ce domaine, et ne laissez plus des agents de la fonction publique démunis jouer au petit chef, parce que vous les incitez à le faire. Proposez des solutions aux étrangers présents maintenant en France, rouvrez les frontières aux réfugiés politiques, et dites à nos concitoyens qu'on ne pourra pas éternellement laisser à nos portes les pauvres du monde, pendant que nous croulons sous la société de consommation. Il faut être un peu réaliste, des fois..."

Voilà une bonne petite introduction sur ce qui va suivre. Je te laisse, cher lecteur, la possibilité d'en débattre ou de protester. Évidemment, ce récit n'est que le résultat de mon ressenti. De plus, pour relativiser, sache que les fonctionnaires qui ont ensuite reçu nos élèves se sont comportés avec une réelle humanité, ce que le droit ne les contraint nullement à faire.

12 commentaires:

  1. Expérience similaire, même endroit, situation différente. Je me suis tout simplement marié avec une étrangère, j'ai eu droit à 4 visites à la préfecture de Bobigny, à partir de 6h lors de mon SEUL jour de congé (restauration oblige). Donc 6h-14h, et on me dit d'abord, qu'il est trop tard, qu'il fallait arriver avant 12h00...Fini au suivant, j'insiste, elle appelle la sécurité.
    Les autres visites nous ont permis de voir quelqu'un qui nous a demandé renvoyer mon épouse au Japon pour obtenir un visa conjoint de français qui n'existe pas dans les accord bi-latéraux entre les deux pays (dixit ambassade de France au Japon).
    Je passe le fait d'avoir été traité avec dédain et un non respect choquant pour mon épouse et moi-même. On a finalement abandonné, fini par déménager en province où c'est passé comme une lettre à la poste.
    Mathieu a raison dans ce qu'il dit, j'ajouterai juste que même si chacun mérite le respect, je trouve encore plus choquant d'être dans son bon doit, mais débouté face à de l'incompétence agressive.

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  2. Eh oui, les fonctionnaires de Bobigny ont sans doute une forte pression de la hiérarchie pour faire traîner les dossiers le plus possible, et pour décourager les gens. Le problème, dans cette politique, c'est qu'on est toujours face à l'arbitraire le plus pur, même si tu es dans ton droit. En plus, les fonctionnaires pourraient toujours te dire qu'ils ont respecté les procédures, même si cela a pris du temps... Car ils ne pouvaient pas te refuser le papier...

    A bientôt,

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  3. Dites franchement, vous n'avez pas l'impression d'être légèrement de mauvaise foi là ?
    Non parce que que vous soyez contre la politique du gouvernement, notamment en terme d'immigration, je respecte même si ce n'est pas mon cas, en tout cas c'est une question d'opinion politique.
    Cela dit sans vouloir vous froisser, là je trouve que cela tend légèrement vers la théorie du complot : alors comme cela l'administration, repère de droite bien connu au passage, fait exprès d'être inefficace pour emm... les étrangers ? C'est quand même assez comique ! Personnellement je ne suis pas étranger, je ne suis pas une "minorité visible", et pourtant j'ai moi aussi régulièrement été confronté à l'esprit obtus de gratte-papiers qui refusaient de me tamponner tel formulaire parce que je n'avais pas coché au bon endroit, ou parce que mes photos d'identité étaient rognés de 1 mm à gauche...

    Donc de ce point de vue là je crois que vous n'avez pas besoin de vous faire de mouron (quoique) : l'esprit tatillon et arbitraire de certaines administrations, surtout celles qui impliquent du formulaire 4B-3A feuillet X ou je ne sais quoi à longueur de journée, s'applique avec un parfait esprit d'égalité républicaine, pour les français comme pour les étrangers ! Et quand je vois le psychodrame que représente le fait de refaire faire son passeport ou sa carte d'identité, je plains effectivement ceux qui font des demandes de visa de séjour. Et pour peu qu'ils soient étudiants, ils devront en plus faire face à toute la splendeur du secrétariat à la fac, et ça, franchement...ça n'a pas de prix (enfin si malheureusement...).

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  4. Bonjour Elyas,

    Franchement non. N'oublie pas que je travaille moi-même dans une administration. Les grattes-papiers, les formulaires, les blocages administratifs, je connais. De même, j'ai été étudiant, et je me souviens très bien de la lourdeur de l'université.

    Non, le service des étrangers de la préfecture de Bobigny, c'est vraiment un monde très particulier. Etant moi-même fils d'un immigré, ne venant pas de l'ancien empire colonial, et qui a vécu 11 ans en France avec une carte de séjour, je sais pertinement que ce n'est pas une procédure normale, comme les autres.

    Evidemment, je ne peux pas t'obliger à me croire : il faut aller sur place pour voir. Là, chacun peut se faire son idée. De plus, il s'agit de mon expérience, pas d'autre chose, et ce mot ne vise pas autre chose que de donner ma vision.

    A bientôt,

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  5. Bonjour,

    Je ne crois absolument pas à la théorie du complot. J'ai moi-même fait l'expérience de devoir affronter des fonctionnaires consulaires pour obtenir un visa pour ma femme, il y a 20 ans.

    Au contraire du complot, je pense que cette absence de règles claires est un "appel d'air" à l'arbitraire (J'aime bien détourner certaines expressions) de ces fonctionnaires. Je pense que ces fonctionnaires ne sont que le reflet de l'état d'esprit majoritaire dans notre pays. Ils ne sont pas différents de tout un chacun. Ils ont simplement un "pouvoir" que leur instinct d'exclusion détourne inconsciemment. Tant que nous n'aurons pas réglé le problème du racisme et de l'exclusion à sa source, tant que nous ne saurons pas affronter les tabous enfermant cette problématique, et bien ces fonctionnaires ne pourront s'empêcher d'être désagréables, de considérer certains d'entre nous comme moins humains que d'autres.

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  6. @ Titophe : je ne crois pas que les fonctionnaires soient mauvais en soit. On aurait mis les gens du service des étrangers aux permis de conduire, ce serait sans doute moins dure pour eux. Ce qui me semble sûr, c'est que ce service est chargé d'une telle tension que les fonctionnaires qui y travaillent ne peuvent que devenir méchant à terme. Je ne vois pas comment ils pourraient faire autrement.

    Une seule solution pour sortir de cet arbitraire institué : mettre en place des règles claires...

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  7. ...et les (faire) respecter. C'est également ce que je demande.
    Mais dans ce cas il faut être conscient que pour certains la réponse sera non, et qu'alors "ils auront vocation à quitter le territoire" comme le dit la formule désormais consacrée.
    Or pour l'instant certains s'opposent par principe et de façon systématique à tout "éloignement d'étrangers", y compris quand ceux-ci sont des délinquants voire des criminels...

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  8. Bonjour Elyas,

    Je n'ai pour le moment pas abordé le sujet des expulsions. Je fais une petite pause sur ce thème pour pouvoir mettre mes idées en ordre.

    Je te répondrai donc dans un futur article. Merci pour les nombreux commentaires très enrichissants en tout cas.

    A bientôt,

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  9. Elyas, comme l'a dit Mathieu, l'expérience préfecture de Bobigny est sans aucune mesure comparable avec le retrait d'un permis de conduire ou d'un passeport. D'ailleurs, si tu avais lu correctement tu aurais remarqué que tu n'as jamais eu à te lever à 6h avec 8h d'attente pour une de ces démarches...
    Pour ma part, je ne parle pas de complot, mais il me paraît évident que l'obtention d'un permis de séjour est plus difficile en Seine St Denis qu'en province. Les règles diffèrent, je l'ai vécu.

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  10. @Manuel
    Bien sûr. Il faut évidemment toute proportion garder; renouveler sa carte d'identité et demander une autorisation de séjour sont des choses différentes, ne serait-ce que parce que l'enjeu n'est pas le même...
    Mais, même si l'a encore l'enjeu est bien moins fort, j'ai eu l'occasion de faire des demandes de visas pour l'étranger, j'ai aussi des amis qui ont fait des démarches de visa pour les Etats-Unis, et je peux vous dire qu'ils n'hésitent pas non plus à vous faire déplacer à des heures indûes, vous faire poireauter, interroger,etc.
    Mon propos était en fait de dire que je ne pense pas qu'il faille voire une discrimination, encore moins volontaire, à l'encontre des étrangers en général ni des Africains "sans-papiers" en particulier. Simplement la propension de toute administration à tendre vers la tracasserie paperassière, doublée je vous l'accorde d'un engorgement lié à un grand nombre de demandeurs...Surtout dans le cadre de régularisation/réexamen massifs. Et surtout en Seine Saint Denis.
    D'ailleurs, pour continuer ma comparaison bancale, il y a aussi inégalité de traitement au niveau de l'examen du permis de conduite, selon qu'on le passe en région parisienne (ou grandes villes comme Lyon ou Marseille) ou en province...

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  11. @ Elyas : C'est bien là que le politique a un rôle central. On peut toujours déplacer des fonctionnaires. Y a-t-il besoin d'une administration des étrangers fournie en Creuse ? Les fonctionnaires doivent aller où il y a les besoins, et ce dans tous les domaines. Je ne vois pas bien, par exemple, pour changer de registre, pourquoi le 93 est le département le moins fourni en policier de la petite couronne alors que c'est là qu'il y a le plus d'agression. Tout cela, c'est bel et bien une question de politique...

    A bientôt,

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  12. Difficulté: faire venir un fonctionnaire dans le 93.
    Sinon, je dirais même que j'ai été choqué de devoir faire la queue avec des personnes n'étant pas du tout dans le même cas que mon épouse, des personnes essayant d'obtenir une régularisation, des sans papiers.
    Car je sais bien que si nous avons été traités comme des chiens, c'est que nous passions derrière des personnes dont la situation étaient bien plus compliquée que la notre et l'administration fait un amalgame inadmissible mais explicable.
    C'est pour ça que je dis qu'il faut appliquer les lois.
    Si je pense que le cas d'un "sans papier" doit être examiné individuellement, le cas d'une demande de permis dans des circonstances "normales" ne doit être traité séparément.
    L'image de la France en a pris un sacré coup aux yeux de mon épouse, c'est peu dire, et à mes yeux aussi d'ailleurs.

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