mercredi 16 juillet 2008

Faire revoter l'Irlande : qu'est-ce qui est dérangeant dans cette affaire ?

Encore une fois, notre président de la République s'est fait remarquer par une nouvelle déclaration sur l'Irlande. Les Irlandais vont devoir revoter. Bien sûr, la première réaction est de se demander pourquoi on ferait revoter des gens qui ont déjà dit non une première fois. Et pourtant, cette stratégie a déjà fonctionné avec les Danois au début des années 1990, et avec les mêmes Irlandais en 2000 et 2001 concernant le traité de Nice.


Sur cette affaire, la presse fait d'ailleurs un raccourci assez rapide, car la constitution irlandaise interdit que l'on puisse revoter deux fois sur le même texte, ce qui est finalement assez cohérent. La stratégie de Sarkozy est donc la suivante : on pousse les derniers pays qui n'ont pas ratifié à le faire le plus vite possible. Là, on rédige un avenant au traité avec une petite concession pour faire passer le nouveau référendum en Irlande. Subjugués, les Irlandais votent oui. Sarkozy menace au passage ses partenaires de bloquer toute nouvelle accession à l'UE si de nouvelles institutions ne sont pas adoptées (les siennes, évidemment). Cette menace devrait rassurer nos amis turques, si le texte issu de la réunion de l'UPM ne l'avait pas déjà fait.


La concession proposée aux Irlandais est très claire: accepter que le nombre de commissaires européens soit maintenu à 27, pour permettre à tous les pays d'en avoir un.


Franchement, cher lecteur, encore une fois, on prend les citoyens pour des billes. Qu'en avons-nous à faire d'avoir un commissaire européen issu de notre pays ? Et, d'ailleurs, combien de citoyens européens savent réellement à quoi sert un commissaire européen, et à quoi sert la Commission Européenne ? Je suis sûr que ce nombre est extrêmement réduit. Si on met 27 commissaires alors que le besoin n'existe pas, on diluera les fonctions, ou on créera des commissaires sans réelle mission. Cette concession est donc de pure forme, et sans impact, à part d'affaiblir les commissaires européens.


Ce qu'elle signifie, c'est que Sarkozy vit dans un monde qui est hors de la réalité. Il croît que les Irlandais ont voté non par incompréhension ou méconnaissance, voire par fantasme, comme ils l'ont déjà fait dans le passé. En effet, la presse dit aujourd'hui qu'en 2001, il avait suffi d'une campagne d'information pour faire basculer l'opinion irlandaise. Il suffirait donc de refaire la même chose. En conséquence, il est clair que le président considère les Irlandais au mieux comme des incultes, au pire comme des enfants, et en tout cas certainement pas comme des gens responsables.


C'est là que le bât blesse. Normalement, dans une démocratie, les élus devraient avoir un respect profond et fondamental du résultat des urnes. Le peuple souverain s'est prononcé. Il a dit non : le traité de Lisbonne est mort, c'est dommage, mais on en fera encore un autre. Ce qu'il faut, c'est un processus démocratique qui permette aux peuples de s'identifier et de s'approprier l'UE. Tant qu'on continuera à penser que nous fonctionnons avec des fantasmes, l'Europe n'avancera pas.


Or, dans ce cas précis, Sarkozy veut montrer qu'il est fort en disant : "il y a un vote contre ; ce n'est pas grave, car je vais faire les choses pour que le peuple revienne dessus". Trouves-tu normal qu'un démocrate ait besoin de montrer sa force en bafouant un vote démocratique, cher lecteur ? Trouves-tu normal qu'un président élu considère les citoyens comme des irresponsables ?


Dans le cas de l'élection de Sarkozy, finalement, oui, peut-être...

12 commentaires:

  1. Ce n'est pas dérangeant mais révoltant.
    Sans parler de l'habituelle litanie sur les raisons du "non" (ils n'ont pas compris, ils votent pour des causes intérieures), l'Irlande est de facto considérée comme un sous-pays.
    Sur le fond, je considère le processus de ratification totalement anti-démocratique : la ratification par les parlements des pays n'a pour effet que de démontrer le schisme de plus en plus important qui existe entre l'UE et les peuples. Que le seul pays où ce ne soit pas le cas ait rejeté le traité en est une preuve éclatante.

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  2. Entièrement d'accord avec toi. Je ne dis pas autre chose, mais il est vrai que j'aurai aussi pu employer le terme de révoltant. Mais bon, Sarkozy me révolte tellement qu'il me fatigue à force...

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  3. C'est assez révoltant effectivement. Je pense d'ailleurs qu'il est normal qu'il nous prenne pour des irresponsables, puisqu'il l'est lui-même...il n'est responsable de rien, devant personne. Ses engagements n'engagent que lui, et d'ailleurs s'il ne les tient pas, il pourra se représenter quand même...!

    Les politiciens en général sont irresponsables (au sens fort et juridique du terme). Ils ne rendent compte de leur action devant personne...

    à bientôt !

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  4. Salut Mathieu,

    Sarkozy a encore une fois été extrêmement maladroit !
    Il a voulu faire le cador et tout ce qu’il va obtenir c’est de braquer les irlandais.
    Malgré tout, la démarche ne me semble pas aussi critiquable que tu le dis.

    Comme j’ai déjà eu l’occasion de l’exprimer, je considère que le referendum n’est pas approprié pour traiter une question comme celle qui est posée. Après tout, le Traité de Nice qui nous a mis dans cette triste situation n’a pas fait l’objet d’un referendum !

    1 pays sur 27 (à ce jour) bloque un processus déjà ratifié par 22 pays, et qui me parait essentiel pour envisager l’avenir de l’Europe, quel qu’il soit. D’une manière ou d’une autre, il faut sortir de cette situation de blocage.
    Pour cela, il y a effectivement plusieurs solutions dont celle qui consiste à redemander leur avis aux Irlandais après leur avoir octroyé ou non quelques concessions (de préférence non).

    Via des enquêtes et des sondages, les irlandais ont expliqué sinon justifié leur vote.

    Il me semble que ce n’est pas considérer les citoyens comme des irresponsables que de penser que toutes les raisons qui les ont amenés à voter « non » n’étaient pas obligatoirement pertinentes et que certaines peuvent être répondues !

    Si au vu des explications données on considère qu’il est possible de les faire changer d’avis en les rassurant, en expliquant et en précisant certains points (avortement, fiscalité…), pourquoi s’en priver ?
    Pourquoi le vote « démocratique » devrait-il être définitif à partir du moment où des éléments nouveaux sont apportés au débat ?
    Par contre, un deuxième vote n’a de sens (démocratique) que s’il est accepté sinon demandé par les irlandais et pour cela il ne faut pas qu’ils aient l’impression de s’être fait forcer la main et en cela les propos de Sarkozy sont d’une stupidité sans nom !

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  5. Je ne vois pas pourquoi le référendum ne serait pas approprié. Pour moi, tout ce qui touche à la souveraineté du pays doit passer par un référendum. Charge ensuite à la classe politique d'en expliquer les tenants et aboutissants, ce que manifestement, ils n'ont pas la volonté de faire.

    La raison principale qui justifie le passage par un référendum est que les gouvernements ne sont pas élus en fonction de ce qui se passe avec l'UE, mais à 95% (voire plus) pour des raisons de politique intérieure. De ce fait, ils n'ont pas de légitimité (selon moi) pour approuver un tel traité.

    PS : dire que ceux qui disent "non" peuvent le faire pour de mauvaises raisons est vrai. Mais c'est tout aussi vrai pour ceux qui disent "oui".
    PS2 : pour moi, ce n'est pas "1 pays sur 27 bloque l'UE", c'est "26 pays sur 27 essaient de faire avancer l'UE contre la démocratie".

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  6. Bonsoir à tous et merci pour vos commentaires.

    @ LOmiG : d'accord avec toi, mais attention. Je ne mets pas tous les politiciens dans le même sac. Tous les politiques ne sont pas comme Sarkozy, heureusement,et beaucoup ont à coeur de défendre des idées de manière honnête. La question de la responsabilité en général est complexe et difficile à trancher. Peut-être donnerai-je un jour, dans un billet (ou plusieurs billets), mon avis sur la question...

    @ Nicolas : tu touches, à mon avis, au fond du problème. En effet, s'il y a possibilité d'une multitude d'interprétation, c'est que les textes communautaires sont complexes et difficiles à trancher, pour des citoyens qui ne sont pas spécialisés en droit communautaire. Déjà, quand on voit la multitude d'interprétation qu'on peut faire de chaque mot de la constitution française... Il faut des textes simples et des principes simples, qui permettent ensuite de travailler sur des choses compliquées, mais dans la transparence et la clarté. Il est aussi normal que les Irlandais votent sur chaque traité, car ce pays a une tradition de neutralité depuis son indépendance, dont les Irlandais sont très jaloux.
    Je crois enfin que la symbolique et la puissance du vote sont primordiaux. Si on les refait sans arrêt, cela leur fait perdre leur portée et leur crédibilité. Il vaut mieux prendre le temps et bien préparer le vote, plutôt que de le refaire six fois en attendant que les électeurs disent oui.

    @ CC : d'accord avec toi, rien à ajouter...

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  7. Bonjour à tous

    @ Charlatan crépusculaire

    Justement, le traité ne concerne aucunement la souveraineté des pays par rapport à L’Europe !
    Contrairement à ce qu’on voulu faire croire les anti-européens (c’est leur droit…d’être anti-européen pas de raconter n’importe quoi !) il ne touche pas aux prérogatives de la sacro-sainte Nation !
    Ce traité veut, d’une part, répartir différemment et dans un sens plus démocratique les pouvoirs et les attributions des différentes instances de gouvernance de la communauté européenne (commission, parlement…). Et d’autre part, de faire en sorte que l’Europe puisse fonctionner à 27 en répartissant plus justement le poids de chaque pays dans ces instances et en abolissant la règle de l’unanimité sur certains domaines !
    C’est probablement sur ce dernier point qu’il y a une confusion largement entretenue par beaucoup !
    Je crois que, encore une fois, on se trompe, volontairement ou non, de question et que l’on répond non pas sur le traité mais sur le rôle et les attributions de l’Europe !...le vrai débat démocratique il doit porter sur ces questions là !

    @Mathieu
    Effectivement, je persiste à considérer que ce sujet ne devait pas se traiter par la voix du referendum d’ailleurs personne n’a demandé la ratification par référendum de l’actuelle réforme de la constitution française !
    Je suis d’accord avec toi sur le fait qu’il faille respecter cet élément central de la démocratie qu’est le vote populaire et qu’on ne peut pas se permettre de le galvauder !
    C’est pour cela que j’ai écrit qu’un deuxième vote n’a de sens démocratique que s’il est accepté sinon demandé par les irlandais et cette démarche demande du temps et de la bonne volonté de la part de tous !

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  8. @ Nicolas : personnellement, je suis pour un référendum sur la constitution. Je ne vois toujours pas pourquoi il est possible de modifier autant les institutions sans que le peuple puisse en dire quelque chose. Pour moi, c'est scandaleux, surtout que le texte est beaucoup plus accessible aux citoyens et que nous en vivons les conséquences tous les jours. Alors, oui, réformons l'article 89 !

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  9. Bonjour à tous
    Je suis pour ma part complètement d'accord avec le point de vue de Nicolas. J'ajouterais qu'un référendum est souvent faussé par des questions qui n'ont rien à voir avec le sujet du référendum : expression d'un ras-le-bol, vote contre le gouvernement, etc. Tout cela vient parasiter le débat, quand ça ne vient pas tout simplement le remplacer. En effet, dans le cas de réformes complexes, comme c'est le cas pour le traité de Lisbonne comme pour la Constitution française, la plupart de gens ne liront pas le texte ni n'en comprendront les tenants et aboutissants.
    De tels textes sont arides, rédigés en termes peu accessibles aux non-juristes, et qui plus est soulèvent de nombreux points.
    Un référendum est une consultation sur un sujet, une question "simple" à laquelle on répond oui ou non. Le traité de Lisbonne et la Constitution française sont issus d'un compromis et d'une négociation entre spécialistes et élus du peuple. Ils portent sur de très nombreux sujets, modifient certaines choses, en enlèvent, en rajoutent d'autres. Il faudrait un référendum sur chacun des points, pour bien faire.

    Et puis il faut arrêter de considérer le référendum comme la forme ultime de démocratie, c'est complètement faux. C'est bien pour cela que les élections existent, pour que les citoyens puissent déléguer leurs voix pour un certain laps de temps à des représentants du peuple. Autrement c'est ingérable, cela oblige à se prononcer sur des sujets que l'on ne maitrise pas, par faute de temps et de compétences; exactement ce qu'un référendum provoque...
    Les Allemands, en interdisant d'avoir recours au référendum pour modifier la Constitution (de même que les Grecs et les Portugais), n'ont d'ailleurs pas oublié que c'est par ce biais que Hitler obtint les pleins pouvoirs (un point Godwin pour moi, un)...
    Ce qui montre bien que le référendum n'est au moins pas mieux que le recours au Congrès.

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  10. Bonjour Elyas,

    Merci pour ce long commentaire.

    Les arguments que tu avances sur les référendums faussés posent de vraies questions.

    Sur la question des questions subsidiaires, tout dépend de la manière dont on analyse le vote. En 2005, je n'ai pas souvenir que le débat s'était tant porté sur Jacques Chirac ou sur Raffarin. On a beaucoup parlé de l'Europe et du traité. Les arguments que tu donnes sont issus de sondages ou d'analyses faites au moment du vote qui sont données par les élites politiques et médiatiques, qui, à l'époque, se sont prises une claque et ont eu beaucoup de mal à le supporter. Il y a une tendance à recoller sur tous les référendums l'histoire de 1969, mais n'oublions pas que c'est de Gaulle qui voyait le référendum comme un blanc-seing donné au pouvoir. La pratique de celui-ci a bien changé depuis.

    Ta seconde idée est sûrement plus forte, et, à mon avis, rien que la difficulté du texte justifie son rejet. Je ne suis pas d'accord avec toi sur la constitution française : ce texte-là est beaucoup plus clair et plus court. L'Europe souffre d'une tare qui lui porte préjudice : faire des traités et des réglements que 90% des citoyens sont incapables de comprendre. Les constitutions sont en général bien plus simples.

    Concernant le dernier paragraphe, tu as raison, le référendum n'est pas la panacée. L'élection des représentants non plus, et je reprends ton exemple. Hitler s'est certes fait octroyer les pouvoirs par un référendum en 1934, mais il était arrivé au pouvoir en janvier 1933 juste quelques semaines après des élections où son parti n'était même pas majoritaire (40% des voix). C'est la droite parlementaire qui lui a proposé une alliance pour conserver le pouvoir et éviter une éventuelle prise de pouvoir par le KPD. Ainsi, les élections n'avaient même pas donné le pouvoir aux nazis, mais les représentants sont tout aussi peu fiables.

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  11. Tu soulèves à raison le fait que le vote par rejet de l'exécutif est aussi une excuse avancée par les politiques pour se justifier/consoler.
    Le fait qu'une bonne partie de l'opposition fût également en faveur du TCE limite également la probabilité d'une telle réaction. Je pense que cela a joué, mais uniquement à la marge en effet.
    Le coeur du problème concernant l'Europe est plus profond, et je vois d'ailleurs difficilement comment nous pourrons le résoudre...

    La constitution française est certes plus simple, mais les modifications qui lui seraient apportées sont "techniques", portant sur le fonctionnement des institutions. Le risque serait alors que les gens se focalisent uniquement sur les quelques articles qu'ils comprennent, avec un risque de faux débat, par exemple sur la question du référendum "turc". J'ai par exemple un ami qui avait voté contre le TCE sans trop se renseigner, uniquement parce qu'on lui avait dit que cela laissait la porte ouverte à l'entrée de la Turquie dans l'UE...

    Sinon, concernant l'arrivée d'Hitler au pouvoir : je suis tout à fait d'accord que les élus sont loin d'être infaillibles eux aussi (même pas besoin d'aller voir chez nos voisins teutons pour cela, un certain maréchal peut nous le rappeler). Disons qu'à mon sens aucun des deux, du référendum et du Congrès, ne prévaut ni n'est "plus démocratique" que l'autre.

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  12. @ Elyas : cela aurait aussi pu être un rejet de toute la classe politique, comme certains l'ont d'ailleurs avancé à l'époque certains journalistes.

    D'accord avec toi sur la constitution française. La Turquie est d'ailleurs aussi agitée par les politiques, dont Nicolas Sarkozy.

    Malgré tout, je suis plus pour le référendum. Certes, c'est sujet à manipulation éventuelle (de nombreux dictateurs l'ont prouvé par le passé) mais c'est aussi, pour moi, démocratique car cela oblige les citoyens à se poser des questions. Le système représentatif déresponsabilise plus les citoyens, car on vote plus pour des hommes que pour des idées...

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