samedi 5 juillet 2008

Hier, c'était les résultats du bac...

Le moment des résultats du bac est toujours un point de crispation pour les enseignants. Je sais ce que tu vas tout de suite penser, cher lecteur ombrageux : "Oh, tu vas pas nous faire le coup du bac, privilégié. Franchement, ce n'est pas pour toi que c'est important, mais pour tes élèves." Et pourtant, lecteur impitoyable, je peux t'assurer que les résultats du bac sont à l'évidence un gros moment de stress. Si on n'a pas trop investi sur les terminales que l'on suit, ce n'est pas trop grave. On se dit qu'on a fait son boulot correctement malgré tout, on y va le coeur assez léger, on est satisfait s'ils réussissent ; s'ils ratent, on se dit qu'on a sans doute une part de responsabilité. Si c'est une classe qu'on aime bien, l'investissement est beaucoup plus fort, car on a transféré des sentiments sur nos élèves, et on mélange dans tout cela les affects et l'aspect professionnel des choses.


Cette année, je me trouvais dans la seconde configuration. J'ai eu la chance d'enseigner à une classe vraiment sympathique, avec des élèves curieux, ouverts et assez motivés par mon enseignement, et par les autres aussi d'ailleurs. En plus, ils m'ont beaucoup valorisé tout au long de l'année, ce qui, orgueil oblige, a sans doute renforcé mon affection pour eux. Je suis donc parti de chez moi, hier après-midi, assez angoissé. J'avais rêvé la nuit précédente que deux élèves très bonnes, mais mal orientées en terminale S, se plantaient lamentablement, ce qui n'arrangeait rien à mon état.


Dans cet état assez pénible, je me dirige donc vers le centre d'examen. En effet, cher lecteur âgé, les conditions de passage du bac ont un petit peu changé. Autrefois, les lycéens se rendaient dans un autre lycée que le leur pour passer leurs épreuves, et récupéraient leurs résultats au même endroit. Ce système empêchait les enseignants de se rendre aux résultats, car les classes étaient explosées en plusieurs endroits. Aujourd'hui, les élèves passent dans leur lycée, et vont dans le centre d'examen chercher leurs résultats, ce qui éviterait les retards aux épreuves et permettrait de réduire les coûts des épreuves.. Ces centres sont regroupés par section. J'avais une terminale S, et je me suis donc rendu dans le centre des terminales S de mon district.


Les profs ont toujours beaucoup de mal à se positionner dans ces moments-là. Nous avons en même temps envie de connaître leurs notes dans nos matières respectives, de savoir qui a réussi ou pas, de féliciter les lauréats, de réconforter les autres, de conseiller les futures victimes de l'oral de rattrapage... Le problème, c'est que certains élèves ne veulent pas vraiment nous parler, voire nous rejettent. En général, ceux qui échouent nous fuient, par honte ou tout simplement pour éviter les reproches que nous pourrions leur faire. Ils ont aussi du mal à assumer leur échec sur le moment, ce qui est normal. Le bac est devenu un tel sésame pour l'avenir qu'il prend une charge symbolique très forte...


Hier, j'étais un peu en avance, malgré les gros bouchons des départs en vacances. Je me suis assis à l'écart, en attendant un peu. J'ai aperçu quelques élèves en grande discussion. A cinq heures pile, les personnels du lycée ont apposé les fiches sur quelques panneaux. Et là, c'est la ruée, et les hurlements. Avec les quelques collègues que j'ai trouvés, nous nous approchons doucement. Un père sort en sautillant. Il alpague un autre homme venu avec lui, puis crie : "Il a eu la mention très bien!!!" Il pleure, tout simplement, puis passe une quinzaine de coup de fil en trente secondes, avec une trentaine de SMS derrière, en continuant à sautiller.


Je mets du temps à pouvoir m'approcher de la liste des résultats, et je m'échine longtemps avant de retrouver tous les noms. Je saute (mentalement, j'entends, gardons notre dignité tout de même...) à mon tour de joie : huit mentions dans ma classe !!! Je suis tellement heureux que je ne me rends pas compte que seuls 11 élèves sur 30 ont le bac du premier coup, et que douze sont au rattrapage. Mon lycée va donc rester, cette année, un lycée dit "difficile". Je n'en prendrai conscience que plus tard, une fois rentré chez moi, et je me désespérerai...


Mais pas tout de suite, non... Je croise mes élèves et je récolte les notes. La moyenne d'histoire-géo est plutôt bonne, et je suis satisfait. Aucun élève ne s'est apparemment complètement écrasé, mais il me manque une dizaine de notes. Certains élèves m'éviteront, comme les autres profs de la classe présents.


Retrouvant les élèves ayant réussi, nous plaisantons, après les félicitations de rigueur. Ensuite, les profs entourent les élèves au rattrapage pour les conseiller sur leurs choix. Nous recevons quelques remerciements, ce qui est rare, mais qui, moi, me font penser que le travail a été correctement fait. Une heure passe, et arrive le moment de nous éloigner.


Cette journée de résultat est un moment de deuil pour nous, profs. Nous avons suivis ces élèves pendant un, deux voire trois ans pour certains. Nous avons essayé de leur apporter quelque chose. Et là, d'un coup, ils s'en vont. Ils vont poursuivre leurs vies, et, dans quelques années, nous ne serons plus qu'un vague souvenir, qu'ils évoqueront autour d'un verre. Chaque année, une génération s'en va, et nous devons nous aussi la refouler, car il faudra recommencer l'an prochain avec d'autres élèves, et y mettre la même fougue et la même volonté.


Au final, je sors de cette soirée un peu triste. Je me revois à chaque fois au même moment, il y a 13 ans. Les élèves me rappellent aussi cette dure période de l'adolescence, telle qu'elle a été pour moi. Ils le font sans le vouloir, et, même si le moment est toujours un peu dur, cela me fait aussi du bien. Et puis, après tout, cher lecteur, c'est le début de mes longues vacances de privilégié, alors, la tristesse n'est pas complètement de mise.


PS : les deux élèves que j'avais vues au fond du trou ont eu leur bac. Bon vent à elles, et à tous les autres...

4 commentaires:

  1. Je penset et c'est un compliment que vous êtes le genre de professeur que l'on oublie pas. Le genre de professeur qui a réellement apporté quelque chose dans la vie de ses élèves. Allez savoir.. peut-être que dans 10 ans nous nous reverrons tous. Du moins je l'espère.
    Bonnes vacances !

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  2. Voilà un commentaire qui ne va pas aider mes chevilles à dégonfler.

    Bonnes vacances à vous.

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  3. Vous resterez plus qu'un vague souvenir dans nos mémoires !

    Bon vent sur le net, où vous continuer à instruire et débattre de façon plus engagée, mais tout aussi convaincante !

    Cordialement,
    José Bové ^^

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  4. @ Quentin C. : Je vois qu'Avogadro a largement répandu mon existence.

    Merci en tout cas du compliment, qui m'ont encore fait prendre une taille de chaussettes supplémentaire.

    J'espère que tout se passe pour le mieux pour vous.

    A bientôt,

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Laissez-moi vos doléances, et je verrai.

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