jeudi 3 juillet 2008

Tentons de définir quelques idées simples sur l'immigration (2ème partie).

Après avoir fait ce constat chiffré, il me semble ensuite important de poser un préalable important : tous les géographes spécialisés dans la démographie, et ils sont nombreux, sont maintenant d'accord pour affirmer que la France a un problème avec ses étrangers. Cependant, tous ne le prennent pas de la même façon, et on peut noter quelques grands traits d'analyses qui ressortent traditionnellement dans les ouvrages sur la question :



  • Tout d'abord, certains mettent en avant les problèmes que rencontre la France avec le chômage de masse. La grande présence des immigrés aurait entraîné un chômage plus important, en particulier parce que la plupart de ces immigrés étaient des personnes sous-qualifiées. Or, notre chômage, dans une économie qualifiée et productiviste, touche surtout les non-qualifiés. Il y a donc là un problème économique.

  • D'autres font une analyse plus sociale. Les immigrés récents, peu qualifiés, sont souvent victimes d'une pauvreté importante, en tout cas plus que les Français dit "de souche" et que les immigrés de la première moitié du XXe siècle. Cela permet la naissance de problèmes sociaux particuliers, car ces mêmes géographes semblent considérer que la pauvreté des immigrants ne peut être traitée de la même façon que la pauvreté des Français blancs.

  • Enfin, la question culturelle, déjà évoquée par certains de mes commentateurs, occupe une place importante aussi. Le géographe Jean-Robert Pitte souligne que la France semble avoir perdue sa capacité passée à intégrer les immigrés. D'ailleurs, et c'est important, il renvoie tous les acteurs dos-à-dos, de la manière suivante : les Français seraient devenus intolérants envers les étrangers du fait du chômage plus important qui les frappent; les immigrés, se sentant peu appréciés et dans une pauvreté endémique, aurait une lourde tendance à rejeter la culture française et à développer une stratégie de marginalité (en 2005, 44% des incarcérés en Île-de-France seraient des étrangers).

Nous avons donc, cher lecteur, un problème que les chercheurs identifient et analysent. Pourtant, il me semble important de faire une différenciation notable entre ces "étrangers" dont nous parlons. Le droit français considère qu'il existe trois catégories de personnes en France: les Français, les étrangers et les apatrides (qui sont un tout petit nombre). Cette vision légaliste pose de nombreux problèmes, car un étranger, en fait, cela ne veut rien dire si on prend simplement la définition légale. Il y en a différents types qu'il faut à l'évidence différencier. On trouve tout d'abord les originaires de l'UE. Ceux-là ne semblent pas poser de problèmes, car on en parle jamais en mal, sauf dans quelques cas très précis, comme en Dordogne avec la forte présence britannique. Bizarrement, d'ailleurs, quand les Anglais viennent en France profiter de notre assurance-maladie durant leur retraite, ça ne semble choquer personne, mais j'y reviendrai. De même, les Portugais, les Espagnols, les Italiens, qui sont de grosses communautés, sont rarement évoqués, même s'ils sont restés étrangers.

Il y a ensuite les autres étrangers, que je différencierai là encore. Nous avons d'abord ceux qui sont là depuis les années 1960, qui ont fait des enfants ici, y ont vécu toute leur vie, et coulent en général une retraite heureuse. Beaucoup sont toujours étrangers selon le droit, mais le sont-ils encore dans leurs têtes ? Je crois qu'il est totalement impossible qu'une personne reste 40 ans dans un pays sans s'y acculturer au moins partiellement.

On trouve ensuite leurs descendants. La plupart d'entre eux n'ont jamais vécu ailleurs qu'en France. Ils sont le résultat d'un intense métissage culturel. Je les connais bien, cher lecteur, ils sont la très grande majorité de mes élèves. Il y a une trentaine d'année, la plupart aurait été aujourd'hui français. Malheureusement, les lois Pasqua sont passées par là : les jeunes peuvent maintenant devenir français à 18 ans s'ils démontrent qu'ils ont vécu là pendant au moins cinq ans depuis leurs 11 ans. Cette mesure fait que certains gamins, qui sont dans le rejet, refusent finalement de devenir français à 18 ans, risquant ainsi les affres des préfectures toutes leurs vies et une expulsion éventuelle.

On a ensuite les étrangers qui sont arrivés très récemment en France. Ceux-là sont à mon avis à part, et c'est d'eux dont parle le président quand il évoque les clandestins et la présence des sans-papiers. Robert Cheize les estiment à 100 000 personnes, ce qui correspond à 0,16% de la population française. C'est très peu finalement. Bon, pour relativiser, cher lecteur, je sais bien qu'il est impossible de déterminer réellement le nombre de clandestins, mais, lorsque Mitterrand avait pratiqué une régularisation en 1981, cela avait légalisé une peu plus de 130 000 personnes, à une époque où l'immigration était nettement plus facile. Le chiffre peut donc paraître à peu près cohérent. De même, la mesure Sarkozy pour la légalisation des parents ayant des enfants scolarisés avait entraînée le dépôt d'environ 50 000 dossiers, alors que le gouvernement en attendait 16 000.

Pourtant, cher lecteur, je n'ai pas terminé, car, les anti-immigrations n'évoquent pas que les étrangers lorsqu'ils parlent des immigrés. Ils traitent aussi des Français récemment naturalisés. Là, on entre vraiment dans l'idéologique pure. En effet, il est extrêmement difficile de savoir comment se considèrent eux-mêmes les Français naturalisés, vu que la France ne fait pas d'étude de ce type au niveau statistique. Les anti-immigrations considèrent que ces Français posent de nombreux problèmes. A l'inverse, d'ailleurs, j'ai souvent entendu mes élèves me dire qu'ils n'étaient pas des Français comme les autres, incluant toutes les personnes non-blanches là-dedans, ce qui énerve toujours beaucoup les quelques élèves des DOM-COM qui fréquentent mon établissement.

Cette dernière réflexion pourrait te sembler superflue, mais elle ne l'est pas pour moi. Je crois qu'il faut ajouter à l'analyse classique de l'immigration la question de la visibilité de l'immigrant. En effet, un Italien, un Polonais ou un Portugais, une fois qu'il parle le français et a acquis la culture locale, se fond dans la masse et n'est détectable que par son nom et éventuellement des pratiques culturelles peu visibles au premier abord. Par contre, un Noir ou un Maghrébin est parfois plus visible, ce qui rend une intégration à long terme plus difficile. Je sais que les commentateurs vont me dire que je déraille, mais je sais par expérience que mes élèves, souvent descendants d'immigrants et pas premières générations eux-mêmes, sont contrôlés par la police dans leur commune en moyenne une à deux fois par semaine. Personnellement, alors que je suis moi-même fils d'immigré, je l'ai été cinq fois durant toute ma vie : trois durant des manifestations, et deux sur la route. Les métis des DOM-COM en sont aussi victimes, ce qui montre bien que le problème n'est pas simplement liée à la notion d'immigré mais aussi à celle de couleur de peau.

Pour moi, il y a donc trois problèmes différents à envisager pour tenter de résoudre la question qui trouble tant la société française, l'immigration:

  1. L'immigration a-t-elle un impact sur l'économie, qu'il soit négatif ou positif ?
  2. Il faudrait d'abord agir sur les immigrés anciens, qu'ils soient français ou étrangers, pour qu'ils puissent s'intégrer le mieux possible et que les Français les acceptent.
  3. Il y a ensuite la question de l'immigration actuelle, et de la politique qu'il faut avoir face à elle, car, vu la structure inégalitaire de la mondialisation, elle n'est pas prête de s'arrêter...

Je reviendrai sur ces trois questions dans de prochains billets.

4 commentaires:

  1. Je pense qu'il y a de toute façon un problème avec les "non-blancs", quand Sarkozy veut privilégier une immigration européenne (plombiers polonais) mais lutte avec vigueur contre l'immigration africaine, quand on entend parler du danger d'un métissage culturel avec l'orient, on comprend que le problème est purement racial, lié à la couleur de peau.
    Il est anormal qu'un jeune français d'origine africaine, né en France, se sente étranger et soit décrit comme tel par une frange de la population française.
    Les torts sont partagés, mais nous devons assumer notre métissage humain.

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  2. Je suis d'accord avec toi sur ce point. J'entends tous les jours les élèves faire cette distinction. D'ailleurs, pour eux, la question de la couleur de peau est centrale, et ils ne considèrent pas un Portugais comme un immigré ayant de réels problèmes, ce qui resterait par ailleurs à démontrer.

    Malheureusement, en France, ce problème là est totalement tabou, et c'est bien dommage, car cela nous empêche d'avancer sereinement.

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  3. Tout d'abord je dois dire que j'ai trouvé ce billet à la fois très intéressant et équilibré, avec une analyse ne tombant pas dans le partisanisme ou l'idéologie aveugle.
    J'aurais toutefois une petite question : vous semblez être dérangé par les lois Pasqua que vous évoquez. Est-ce à dire que vous trouveriez préférable qu'un jeune qui rejette la France et la nationalité associée soit d'office considéré comme Français quand même? Pour ma part je ne vois pas où est le problème. Si vraiement il ne veut pas être français, pourquoi faudrait-il insister et le forcer? Dans le pire des cas, il n'aura qu'à redemander la nationalité française quand il aura résolu sa crise d'identité ou réalisé que finalement, la France, c'est pas si mal.

    @Manuel
    Je ne suis pas du tout d'accord avec toi. Dire que le problème est purement racial et lié à la couleur de peau est faux et réducteur.
    Je suis d'accord avec mathieu quand il dit que la couleur joue en effet (partiellement) un rôle en cela qu'elle rend un peu plus difficile le processus d'intégration car c'est une différence qui est visible; mais cela ne joue je pense que en plus d'une crise identitaire déjà pré-existante, le sentiment d'être différent venant ensuite se cristalliser sur un des aspects les plus visibles.
    Mais cet aspect est marginal, la preuve en est que comme le souligne Mathieu lui-même, les élèves de DOM-COM ne ressentent pas les choses comme ça ! Un autre
    exemple : les Juifs Séfarades, dont la couleur de peau ne diffère pas vraiment d'autres Maghrébins, et pour cause, puisqu'ils partagent un même pays d'origine. On n'entend pas parler de problèmes spécifiques d'intégration, ni de persécution policière à leur encontre pour délit de faciès.

    La difficulté d'intégration provient à mon avis bien plus d'une différence de culture que de couleur de peau. Je pense notamment que la différence culturelle entre un Espagnol et un Français, ou un Polonais et un Français, est bien moindre qu'entre un Burkinabé et un Français (ce qui ne veut pas dire qu'ils n'aient aucun points communs).

    Enfin, dernier point, concernant la question d'un acharnement policier en fonction de la couleur de peau de leur interlocuteur : adopter cette vision singulière c'est oublier un biais fichtrement important, celui du contexte.
    En effet, un individu n'est pas caractérisé par sa seule couleur de peau, loin s'en faut. L'attitude, la façon de s'exprimer, la tenue vestimentaire, tous ses facteurs entrent en ligne de compte quand nous essayons de "décrypter" la personne en face de nous et d'évaluer "qui" elle est.
    Je pense franchement qu'entre un jeune noir en costume-cravate et un jeune blanc en survêtement Lacoste, baskets, et casquette vissée sur le crâne, le deuxième a
    infiniment plus de chance de se faire contrôler que le premier. Sauf à être un imbécile raciste ne voyant pas plus loin que le bout de son nez, ce que je ne pense pas que l'immense majorité des policiers soit. Le problème n'est pas la couleur, c'est l'étiquette que la personne se colle : "jeune cadre" ou "jeune de banlieue à problème". Le deuxième a bien plus de chances d'être un délinquant que le premier, d'où contrôle plus fréquent.

    Mais alors, me direz vous, comment se fait-il qu'en majorité les contrôles soient quand même effectuées sur des "minorités visibles"? La réponse est à la fois très simple et tragique : car pour tout un tas de raisons, la majorité des "jeunes de banlieue difficile" avec l'uniforme idoine sont des "minorités visibles". Nul racisme là-dedans.

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  4. Bonjour Elyas, et bienvenue sur ce blog. Ne t'inquiètes pas, mon idéologie ressurgira dans les prochains billets sur ce thème...

    Quelques réponses donc. Le problème des lois Pasqua est pour moi qu'il y a une rupture d'égalité. Un jeune Français de naissance n'a pas la possibilité de dire "je ne veux pas de ma nationalité" alors qu'un fils d'étranger l'a. Si on était cohérent, on aurait offert à tous les jeunes ayant une autre nationalité de pouvoir refuser la française. Or, ce n'est pas le cas. Personnellement, je préfère les lois qui clarifient les choses plutôt que de les compliquer. De plus, Pasqua répondait à son époque à la montée du FN. Il n'aurait proposé aucune loi sinon.

    Je tiens aussi à souligner que je pense que la couleur de peau est essentielle dans ce problème. Les jeunes des DOM-COM sont très agacés d'être victimes des contrôles. J'essaierai, dans mes prochains billets, de donner ma vision de ce problème.

    Pour ce qui est des contrôles en ce moment, il faut ajouter la recherche aux clandestins à laquelle la police se livre en ce moment, sur ordre du gouvernement. Cela légitime les contrôles permanents de personnes de couleur.

    A bientôt,

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