vendredi 11 juillet 2008

Ah, si seulement les musulmanes ne mettaient pas de burqas lorsqu'elles vont au tribunal, on pourrait en faire des Françaises...

Comme tu as pu le constater, cher lecteur, j'ai une vision finalement très libérale de l'immigration. Comme tu as pu le constater aussi, de manière insidieuse certes, j'ai aussi une vision très ouverte de la nationalité. Cette notion pose de nombreux problèmes, je crois, dans l'ensemble des nations démocratiques. Chaque nation la définit de manière différente, du droit du sang allemand ou japonais aux versions très ouvertes des Etats-Unis ou du Canada. Les débats ont été nombreux dans le passé entre les intellectuels sur ce thème, et je vous renvoie au magnifique texte de Fustel de Coulanges, daté de 1870, dans lequel il répondait à Th. Mommsen, historien allemand qui voulait démontrer que l'Alsace était de nationalité allemande.


En France, Fustel de Coulanges définit la nationalité française de la manière suivante :
"Ce qui distingue les nations, ce n’est ni la race ni la langue. Les hommes sentent dans leur cœur qu’ils sont un même peuple lorsqu’ils ont une communauté d’idées, d’intérêts, d’affections, de souvenirs et d’espérances. […]. Voilà pourquoi les hommes veulent marcher ensemble, ensemble travailler, ensemble combattre, vivre et mourir les uns pour les autres." Tout est là, magnifiquement résumé. Cette conception s'est incarnée dans la loi française par le droit du sol, mais aussi un accès finalement assez libre à ce statut. La définition de Fustel de Coulanges implique l'idée de droit démocratique qui se trouve derrière : le citoyen français a des droits et des devoirs qui le lient à l'Etat, à ses concitoyens et à son territoire.


Pour Fustel, ni l'histoire ni la langue n'ont d'importance pour la nationalité. Cela l'arrange à l'époque, car les Alsaciens pratiquent une langue germanique bien plus proche de l'allemand que du français. Depuis, les conditions d'accès à la nationalité, pour les étrangers, ont varié : durée de vie sur le territoire, maîtrise de la langue, respect des principes démocratiques et, plus récemment, les valeurs essentielles de la communauté française.


Ce texte en italique est tiré de l'arrêt du Conseil d'Etat du 27 juin 2008 concernant le cas de Faiza M., une Marocaine qui vient de se faire refuser l'accès à la nationalité. Cette information a été sortie aujourd'hui par le Monde, puis a été reprise par les principaux journaux français. Cette décision est d'importance. D'après le grand quotidien du soir, le Conseil d'Etat s'est basé sur l'incapacité d'assimilation de cette femme de 32 ans, du fait de ses pratiques religieuses : cette femme s'était présentée aux entretiens avec le commissaire de la République en burqa, et elle a, d'après lui le tort d'être soumise à son mari. Elle ne s'est pourtant pas revendiquée des islamistes, même si elle s'est déclarée salafiste.


Bon, voilà le débat, et moi, franchement, cette polémique me fait vomir. Pourquoi, vas-tu me rétorquer, cher lecteur surpris ? Dans mon idée, l'accès à la nationalité française devrait être aisé. Dès qu'une personne voudrait y accéder, elle devrait pouvoir le faire, du moment qu'elle a toujours respectée les droits et devoirs de notre pays. Or, nul texte dans notre droit n'interdit aux femmes de se vêtir de burqa, et nul texte n'interdit aux femmes de se soumettre à un mari, quel qu'il soit, tant que cela est fait de manière volontaire. Il y a donc là à l'évidence un problème.


Tu vas me dire, j'en suis sûr : "Mais tu es pour la burqa ???" Non, pas du tout. Je vois régulièrement passer dans les rues de la commune où je travaille des femmes habillées de la sorte. Cela me révulse. Cependant, je fais attention au contexte. Si cette femme vivait dans un pays musulman rigoriste, sans droits de l'homme et avec un mépris de la position de la femme, je serai révolté et je me battrai contre ces vêtements religieux. Mais, en France, cher lecteur, cette femme n'est pas en prison. Elle peut très bien décider de sortir de chez elle, de contacter des assistants sociaux, des associations voire des policiers pour se sortir de son état. Évidemment, ce n'est pas facile, et cela demande du cran et une forte capacité à la rébellion. Or, le commissaire a constaté qu'elle était maître de ses choix, et qu'elle souhaitait rester dans cette situation.


Certes, le Conseil d'Etat a aussi souligné que cette femme ignorait tout de la laïcité et du droit de vote. Par contre, elle parlait bien le français et avait consulté, pendant ses grossesses, un gynécologue masculin. Le dossier devait donc être ambivalent, et l'arrêt n'aborde pas les questions politiques. Devant ce problème, le Conseil d'Etat a choisi de rejeter cette femme, de la maintenir étrangère et de la laisser entre les mains des hommes et de la famille qui l'entourent.


Ce choix est une erreur à plus d'un titre, et je te le démontre en quelques points :
  • C'est d'abord une catastrophe pour cette femme. Le tribunal a choisi de la rejeter parce qu'elle n'était pas "assimilée", mais, en faisant cela, il la renvoie dans sa situation et ne lui donne pas accès à des droits nouveaux qui aurait peut-être permis à cette jeune femme de se débarrasser, un jour ou l'autre, de cette burqa. N'oublions pas qu'elle vit en France parce que son mari est français, et que, si elle le quitte aujourd'hui, elle va devoir affronter le service des étrangers, quand bien même doit être prise en compte sa situation de mère de Français. En clair, elle demandait, même sans s'en rendre compte, l'ouverture d'une porte que nous venons de lui claquer au nez. La nationalité aurait pu être une libération...
  • Le message est négatif aussi pour les musulmans qui vivent chez nous. Pour eux, cela signifie que nous rejetons tous ceux qui pratiquent une version rigoriste de l'islam. Nous tolérons pourtant des dizaines de religions dures, en particulier chrétiennes. Pourquoi rejeter de notre communauté une musulmane rigoriste ? L'islam dure est-elle incompatible avec la République ? Bien sûr qu'elle l'est !!! Mais pas plus que n'importe quelle autre religion extrémiste : les intégristes catholiques, juifs, protestants, sectaires sont tout autant incompatibles avec la République que les autres, car l'idéal républicain français ne peut tolérer l'entrée de Dieu dans l'arène politique. Alors, soit on les prend tous lorsqu'ils veulent la nationalité, soit on les vire tous ! Arrêtons l'hypocrisie. Je suis certain que si cette femme avait été catholique ou juive rigoriste, elle aurait été prise.
  • Le message n'aura en plus aucun effet sur les musulmans qui sont tentés par l'islamisme. Cette idéologie est justement basée sur l'idée que les Occidentaux rejettent voire même détestent l'islam. Même si ce n'était pas le but du Conseil d'Etat, les islamistes pourront toujours dire qu'on ne veut pas de l'islam en France, et ça portera auprès de musulmans inquiets et déboussolés. C'est la théorie, pourtant très usitée en France, du bouc-émissaire. On aurait pourtant dû retenir la leçon des tentatives de diabolisation du FN des années 1980 : cela n'avait fait que renforcer le Pen et ses proches...

Il n'y a finalement qu'une seule bonne nouvelle dans cette affaire. Le Conseil d'Etat semble maintenant considérer que l'égalité homme-femme est une valeur essentielle de la France. J'espère qu'il saura appliquer ce principe à toutes les futures demandeuses de la nationalité. En effet, je ne suis pas sûr que beaucoup de familles récemment arrivées respectent scrupuleusement l'égalité homme-femme, du fait des cultures des pays d'origine. J'espère qu'il appliquera aussi cette valeur aux Français eux-mêmes. N'oublions pas que, chaque jour, trois femmes meurent en France des mauvais traitements infligés par les conjoints. Crois-moi, cher lecteur, de nombreuses femmes sans burqa dans ce pays souffrent sans doute beaucoup. J'espère qu'on s'en occupera moins mal que de Faiza M., qu'on vient littéralement d'abandonner.

Je me demande ce qui se serait passé si Faiza était arrivé au tribunal sans l'attirail. Elle aurait sans doute eu sa nationalité, puis aurait remis sa burqa chez elle. C'est à croire que le mari et les proches souhaitaient le rejet. Pour maintenir la soumission ? Pour provoquer un scandale et amener les musulmans déçus vers l'extrémisme ? On le saura sans doute très vite...

11 commentaires:

  1. Je crois que cette décision découle d'un malaise qui existe en France depuis quelques années maintenant, qui est la peur de l'abandon de la laïcité.
    On a du mal à faire respecter nos lois, en particulier à l'école et force est de constater que la pratique extrême de l'Islam ne s'accorde pas avec nos principes laïques et démocratiques.
    Alors je suis en accord avec toi sur les dégâts que peut occasionner dans la vie de cette jeune femme cette décision, mais je pense qu'il faut résoudre le problème plus en amont en se montrant intransigeant sur la laïcité dans notre pays.
    Mais malheureusement notre cher président ne va déjà aps pas dans le bon sens quand on se souvient de ses propos sur la religion en début d'année.

    RépondreSupprimer
  2. C'est tout le sens de mon propos. J'y rajoute juste la place spécifique de l'islam dans cette lutte un peu pénible. La place de la laïcité doit toujours être affirmée, mais il ne faut pas non plus oublier qu'elle ne vise pas que l'islam...

    Merci de ton commentaire en tout cas.

    RépondreSupprimer
  3. Moi je dis tout simplement que ce pays n'est pas un pays laique. Pour les simples et bonnes raisons qu'elle ne respecte pas les croyances des autres, elle favorise certains(les juifs et chrétiens)et rejete d'autres( musulmans). De plus j'entend tout les dimanches la cloche de l'Eglise retentir plusieurs fois devant chez moi. Cela est très frustrant car je pense que si les Eglises peuvent prier librement pourquoi pas les musulmans puisque nous sommes dans un pays laique? Jean Baptiste F.

    RépondreSupprimer
  4. Bonjour,

    Il faut quand même relativiser. La France, au niveau de son organisation étatique, est bel et bien laïque. Le fait que les cloches sonnent dans les églises, et que les jours fériés soient souvent chrétiens, ne signifient pas que l'Etat est lié à l'Eglise, mais qu'il y a une tradition historique et culturelle qui amène à ces pratiques.

    Ma contestation de la décision du Conseil d'Etat tient plus à l'importance prise par la religion dans cette affaire, de l'abandon de cette femme et à l'éventuelle rupture d'égalité qui en résulte.

    Personnellement, dans ma commune, c'est la mairie qui sonne, et cela ne me dérange pas. Je dirai même plus que je m'en fiche un peu en fait. J'admets cependant que j'aurai du mal à imaginer que l'on puisse visiter les villages de France sans le son des cloches. De même, je vois mal les églises du Caire se mettre à sonner, et ces villes musulmanes sans les muezzins. Tout cela, c'est de la tradition et de la culture.

    A bientôt,

    RépondreSupprimer
  5. pfff!!! n'importe quoi. Jean Baptiste F.

    RépondreSupprimer
  6. Ce commentaire a été supprimé par un administrateur du blog.

    RépondreSupprimer
  7. Dont acte.

    Je supprime juste le doublon.

    A bientôt,

    RépondreSupprimer
  8. Hum, j'ai soutenu cette décision effectivememnt par crainte d'un recul de la laicité mais entendre des Le Pen glappir leur joie juste après...
    Mais c'est peut être dû au malaise que provoque la vue des burqa et autres. Il n'en reste pas moins que cette femme est une "otage" de son mari dont elle applique les directives et du climat actuel qui permet ce genre de décisions.
    Alors oui, je suis contre la burqa, mais pas pour servir la soupe aux arguments d'Hortefeux.
    Curieux qu'avec des positions de départ différentes, on se rejoigne sur le fonds.

    RépondreSupprimer
  9. @ Rébus : en fait, la raison en est simple, à mon avis. Comme tu le dis, je suis totalement contre la burqa, bien sûr. Le problème ne se pose pas vraiment là, il est plutôt sur des aspects de droit.

    Il n'y a pas que Le Pen. Je te conseille la lecture d'un nombre de blogs très importants, plutôt à droite, qui glorifie la victoire contre l'islam conquérant mais rampant. Je pense qu'ils sont hors-sujets, malheureusement. J'ai même vu des textes où on proposait l'interdiction du voile dans les lieux publics...

    A bientôt,

    RépondreSupprimer
  10. Mathieu,faites attention à vos propos.En tant qu'enseignant du public vous vous devez de peser chacunes de vos paroles:dire qu'en France, une femme devrait pouvoir porter la burqa, sous prétexte qu'aucun texte ne l'interdit est très dangeureux...au cas où vous ne l'auriez pas remarqué, la religion catholique prône encore la sousmission de la femme à son mari et son retour au foyer pour le servir:chacun est libre d'embrasser le religion qu'il souhaite certes, mais jamais au détriment de la laïcité qui en aucun cas ne doit céder de terrain à la religion...
    Mieux vaut l'islam que Le Pen??? Mais l'islam à la française est une utopie.Quant à Le Pen ce n'est pas lui qui soutiendra le laïc, donc : Le Pen et religions (toutes les religions) même combat: je suis une femme et pensent à ces femmes qui n'ont pas le choix que de se sousmettre... alors accepter le port de la burqa chez nous est une insulte à toutes celles qui lutte pour s'en débarrasse.
    Je tombe par hasard sur ton blog... je tenais tout de même à réagir

    RépondreSupprimer
  11. @ Anonyme : je pèse toujours mes paroles, sauf dans certains commentaires.

    Je maintiens. Il ne faut pas oublier que seul l'école et l'armée sont totalement laïques dans nos institutions. Seuls les fonctionnaires ont l'obligation de laïcité. Pour le moment, les citoyens ont le droit de faire ce qu'ils veulent sauf dans certains cas très particuliers (quand on est à l'école par exemple). C'est la loi.

    Je ne dis pas que j'apprécie la burqa. Je dis juste qu'on ne peut pas l'interdire comme cela sans créer des problèmes monstrueux. Pour moi, c'est par la conviction que la démocratie l'emporte, pas par autre chose...

    RépondreSupprimer

Laissez-moi vos doléances, et je verrai.

La modération des commentaires est activée 14 jours après la publication du billet, pour éviter les SPAM de plus en plus fréquents sur Blogger.