samedi 17 octobre 2009

La polémique Frédéric Mitterrand vue d’une salle des profs.

Vendredi matin, alors que j'étais en train de faire des photocopies pour préparer mes cours de la journée, un collègue, connaissant l'existence de ce site, m'alpagua pour avoir mon opinion sur les affaires Frédéric Mitterrand. Je m'étais abstenu jusque là d'en parler sur mes blogs, tout simplement parce que je suis assez partagé sur la question et que j'ai du mal à faire part de mes doutes sur un espace public. Sans doute un péché d'orgueil…

Alors que j'exprimais mon opinion, s'engagea entre les collègues présents une discussion assez intéressante. Certains profs de gauche sont très gênés par l'origine frontiste de cette polémique, et ont exprimé leur refus de s'associer à cette charge contre le ministre. Je reste d'ailleurs toujours surpris, si ce livre est si infâme que cela, qu'on n'en parle que maintenant, près de 4 ans après la publication. Pourtant, il semblait évident, vu la teneur du débat, que si ce n'était pas la Marine qui avait tiré la première, mes collègues se seraient engouffrés dans la brèche et auraient participé à l'hallali. Pourquoi, cher lecteur ?

La question centrale fut posée par un de mes collègues : « mais franchement, Mathieu, tu crois que si un enseignant avait affirmé dans un livre qu'il fantasmait sur des gamins, comme le ministre le dit dans son bouquin, voire qu'il passait à l'acte durant ses vacances en Asie, il aurait été défendu comme cela par le président, l'ensemble des ministres et l'UMP ? Tu rêves ! »

Cette évidence, je ne peux la nier. Depuis la fin des années 1980, de nombreux enseignants ont été frappés, à tort ou à raison, d'accusations de pédophilie. Pour les professeurs de lycée, la menace est toujours présente, et d'ailleurs, l'un des premiers conseils de l'IUFM porte sur cette question : « surtout, cher stagiaire, ne restez jamais seul dans une salle fermée avec un élève, sous n'importe quel prétexte ! » Ce conseil apparaît en même temps que celui de ne pas oublier sa clef, de prendre une assurance ou de se renseigner sur le règlement intérieur de l'endroit où l'on va enseigner.

Pourtant, ces sujets ne sont jamais abordés entre nous, et il s'agit bien d'un des tabous des enseignants. Et là, dans cette discussion, sont revenus les cas des professeurs et des instituteurs traînés dans la boue sans preuves à la fin des années 1990 et au début des années 2000, suite à l'action de Ségolène Royal notamment.

Je n'avais jamais pris conscience du poids de cette menace sur les enseignants, parce que la question n'était jamais venue sur le tapis. En quelques minutes, mes collègues m'assenèrent cette évidence, pourtant inscrite dans mon inconscient de professeur : je veille toujours à ne jamais me retrouver seul avec un ou une élève dans une classe, comme on me l'a appris, machinalement et sans y penser.

Je suis ressorti de cette discussion encore plus troublé que je pouvais l'être auparavant. Progressivement, le débat a dévié sur le cas Polanski, et sur son traitement positif dans les médias. Là encore, un de mes collègues affirma : « si je me tapais une élève de 13 ans, je peux te dire que je me retrouverais au trou aussi sec, même si la gamine consentait, et c'est normal : une gamine de 13 ans ne peut pas consentir. Polanski a pu parcourir tous les pays démocratiques sans être ennuyé avec cette affaire pendant 30 ans… »

Alors, cher lecteur, la polémique contre Frédéric Mitterrand, s'il n'avait pas été lancé par Marine le Pen, aurait fait mouche dans les salles des profs et soulève des questions taboues. On constate que les privilégiés ne le sont pas sur tout…

9 commentaires:

  1. Effectivement intéressant de connaitre le ressentis et cette crainte permanente des enseignants sur cette question de la pédophilie

    Par contre je suis un peu frustré, tu nous dis:

    "...la polémique contre Frédéric Mitterrand, si elle n'avait pas été lancée par Marine Le Pen, aurait fait mouche dans les salles des profs..."

    Ce qui signifie que puisqu'elle a été lancée par Marine Le Pen alors du coup, on ne dit plus rien !
    Pire encore, on reproche à Benoit Hamon d'avoir exprimé son dégout, en l'accusant de faire le lit du FN !
    ...et voilà ! tu t'en tiens là, comme si tu trouvais cette réaction normale !

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  2. Très intéressant Mathieu !

    Je le déplore, c'est ce que je reproche principalement aux "gauchistes", catégorie à part des gens de gauche qui éprouvent une aversion épidermique et intolérante à l'égard de tout ce qui ressemble à de la droite...la conséquence étant des réactions aussi idiotes que celle qui consiste à ne occulter son jugement au prétexte que Marine Le Pen s'est exprimée la première...

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  3. @ Nemo et Nicolas007bis : concernant le lancement de la polémique par Marine Le Pen, j'estime que ce qu'elle voulait dire n'était pas en rapport avec le sujet réel de la polémique. Au départ, elle a voulu flatter son électorat en taclant l'homo du gouvernement, qu'on peut en plus soupçonner de pédophilie de par son livre, et attaquer Sarkozy et sa moralité par ce biais. Je trouve que démonter Sarkozy sur sa politique suffit amplement, d'autant plus que toute la classe politique avait forcément une idée sur le contenu de ce bouquin, et que personne n'a rien dit en juin.

    Pour la gauche, ce qui me gonfle, c'est qu'elle n'ait pas réagi lorsque le livre est sorti, ou bien lors de la nomination de Mitterrand. Attendre que Le Pen lance le truc pour rebondir dessus, c'est dommage. Là encore, on peut penser qu'ils ont voulu ignorer ce sujet, et lorsqu'il est devenu incontournable, l'exploiter. Je pense que Benoît Hamon aurait pu être dégoûté dès que Mitterrand a pris la tête de la Villa Médicis en 2006.

    Pour le reste, comme je le disais dans mon billet, je n'ai pas vraiment l'intention de participer à ce débat, vu que je n'apporterais rien de plus à ce qui en a déjà été dit.

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  4. J'ai lu le passage pr lequel Mitterrand a été traîné ds la boue et visionné les interviews de l'époque (il y en a eu) ds lesquelles il s'expliquait et il nie avoir jamais parlé de "petit" garçon, mais de "garçon", ce qui selon lui, serait un synonyme d'"homme" pr les homos.
    Il n'était pas ministre à l'époque, je ne vois donc pas l'intérêt qu'il aurait eu à mentir vu qu'il disait tout ds son livre...
    J'ose espérer que si un prof avouait fantasmer sur des gamins ds un livre, il ne serait pas inquiété (un fantasme c'est un fantasme) mais je suis peut-être naïve...

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  5. @ Lène : malheureusement, je pense que tu es naïve, ou alors, mes collègues sont un peu trop parano. La vérité doit être quelque part entre les deux.

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  6. Je trouve ça effarant, inconsciemment ou pas, de ne pas rester en tête à tête avec un ou une élève.
    Ca me fait penser à toutes ces grenouilles de bénitier, mâles ou femelles, qui pensent tellement à éviter le péché qu'ils sont bien plus en état de pécher que des mécréants.

    Pour ce qui est de "l'affaire Mitterrand", je suis étonnée que les profs ne mettent pas en avant tout simplement la liberté d'écriture, surtout 4 ans après ...
    Moi ça m'indigne, qu'on en vienne à faire des procès des années après des écrits, et que tout le monde se sente en compétences de faire des procès.
    J'avoue que ça me fait peur, cette normalisation de la pensée, des écrits, des formulations.
    Nous sommes dans une logique de police de la pensée.
    C'est grave.

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  7. @ Audine : ce n'est pas que je ne le voudrais pas. Il y a une forte pression sociale autour des enseignants sur ce sujet. Souviens-toi que des collègues ont vraiment eu des problèmes dans le passé avec ces affaires...

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Laissez-moi vos doléances, et je verrai.

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