mercredi 13 janvier 2010

Un tramway nommé conflit, dans le 9-3…

Alors que je rentrais du boulot cet après-midi, nous avons assisté, avec deux collègues, à une scène étonnante sur l'une des lignes de tramway de Seine Saint-Denis. Étonnante ? Pas tant que cela.

Nous approchons d'une station et deux hommes, sans doute entre 20 et 25 ans, et habillé dans le style « z'y vas » de banlieue, se lèvent de leurs sièges et se dirigent vers la porte. Personne ne les avait remarqués auparavant. Ils discutaient dans un coin, comme tous les voyageurs. Or, lorsque le tramway se range à la station, nous constatons qu'une troupe impressionnante de la RATP se trouve en position, prête à bloquer les accès et à contrôler les billets. Ils sont au moins une vingtaine, cinq par porte, et certains sont en uniforme de la « RATP sûreté » et équipés de matraques et de bouteilles de gaz lacrymogène. Les contrôleurs de la RATP se déplacent maintenant en groupes très nombreux, et la moitié d'entre eux sont des malabars que je ne serais pas rassuré de croiser la nuit dans une rue sombre.

Là, s'engage une scène classique. Les deux hommes, n'ayant apparemment pas de billets en règle, tentent de sortir quand même, mais se retrouvent bloqués. Ils se mettent alors l'un derrière l'autre et poussent pour s'extraire de la mêlée, mais ils subissent un échec. Les contrôleurs parviennent à les séparer et les plaquent, l'un à l'extérieur, l'autre dans le wagon. Les deux camps s'invectivent quelques instants, puis l'homme coincé à l'intérieur finit par dire : « bon, c'est bon, faites votre boulot et donnez-moi votre amende ! », comme si le jeu était fini. Les agents de la RATP lui assènent un : « oh, mais on ne va pas se contenter de ça ! Tu nous as poussés, mon gars ! ». Tous les acteurs semblent alors se rendre compte que tout un wagon les observe. Par un accord étonnant, et sur proposition du contrevenant, tout ce petit monde sort alors sur le quai pour « régler les comptes ». Le tram repart, sans que le contrôle ait pu être effectué. Tout le wagon est hébété.

Ce qui reste, c'est le côté faux de toute la scène. On avait l'impression que les acteurs avaient répété avant, que tout le monde était à sa place et jouait parfaitement son rôle : les deux hommes fraudeurs, habillés comme ils l'étaient, parlant comme ils parlaient et tentant de jouer les petits bras, un peu, pour finalement brutalement se calmer lorsqu'ils eurent admis leur défaite ; les agents de la RATP, usant de la violence pour riposter, subissant l'agression en gardant leur calme, tout en utilisant une procédure apparemment bien huilé.

Ces postures, en tant qu'enfant du coin, je les connais bien. Je vois les mêmes acteurs jouer les mêmes jeux depuis que je suis né et que j'erre dans le coin. Tout le monde y participe, une partie cherchant à imposer une autorité immanente à une autre qui joue le rejet. Toute cette scène n'a finalement gêné que les autres voyageurs, surpris, interloqués, et laissés là, tout s'étant déroulé très rapidement.

Dans tous ces problèmes de soi-disant insécurité, beaucoup est affaire de posture des uns et des autres, d'idées préconçues. On peut y voir l'effondrement de la notion de collectif, personne ne voyant plus rien d'autre que le personnage qu'il s'est donné. Sans un minimum de perception d'une société prenant en compte l'existence de tous, il n'est pas certain que nous puissions aider les acteurs à sortir de ces rôles qui satisfont si bien toute notre société.

PS : au passage, on peut constater qu'il s'est déroulé devant nous une véritable opération policière, sans que la police y participe. Où est donc passé le monopole de la violence légitime ?

10 commentaires:

  1. Il me déplait d'être associé en lien à "autorité immanente". Changez votre lien, Monsieur ! Ou bien je mords.... grrrrrrrrrrrr

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  2. Merveilleux billet, vraiment. Mathieu, vous faites partie des gens qui me donnent envie de vivre un peu plus vieux que prévu : juste pour voir votre tête lorsque va vous arriver ce qu'il ne peut manquer de vous arriver.

    Vous ferez comme vous voudrez, mais enfin je vous déconseillerais de faire des enfants, personnellement. D'autant que, si vous en faites, il se pourrait que ce soit des filles, et elles pourraient bien vous reprocher certaines choses, d'ici une vingtaine d'années : vous verrez.

    Et puis, comme vous allez forcément vous réveiller, vous allez trouver terrifiant de confier vos enfants à des profs... enfin, à des aveugles dans votre genre d'aujourd'hui, quoi...

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  3. @ GDC : hum, pourtant, ton billet colle bien avec ces deux mots.

    @ Didier : mouais. Vu que vous n'expliquez rien, vous avez forcément raison : mes filles auront quelque chose à me reprocher. Quant à l'aveuglement, je pense que nous le partageons tous, sur certains sujets.

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  4. Beau billet en effet, et qui pose, à mon sens, les bonnes questions. Tout est affaire de postures. Un gigantesque jeu de rôle qui ne semble intéresser que ses participants. Et c’est bien là le drame… Car, ce qui me navre plus que tout, c’est l’apparente désintéressement du reste de la population qui se pose en spectateur impuissant, alors que s’il ne feignait pas l’indifférence le jeu cesserait probablement de lui-même...

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  5. Tiens, voilà le genre de billet où je suis à la fois d'accord avec Mathieu et Didier, ou plutôt entre-deux. D'accord avec Mathieu pour l'effet théâtre, posture, et son côté esbrouffe et inefficacité de bien des interventions, opérations qui pourraient se mener avec une fermeté proportionnée au délit, et d'accord aussi avec Didier pour ce qui concerne l'impassibilité consentente à l'ensauvagement du "vivre ensemble". tout le monde jouerait donc un rôle, certains feignant d'agresser, d'autres feignant l'indifférence, comme dit plus haut gwendal, et d'autres feignant le comportement de victime ? Les juges feindraient de juger, la société jouerait son rôle répressif et les gardiens de prison... Le sang ne feint pas couler, ni les grilles de prison de claquer.
    J'ai lu un billet sur ce blog, de quelqu'un qui parle de son indifférence malheureuse dans une situation d'agression dans un bus. (Je dis malheureuse car elle provoque un sentiment de malaise et de culpabilité chez celle qui décrit l'incident.)

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  6. J'ai lu en diagonale et forcément je n'ai pas tout compris mais ça ne me déplait pas de voir un de mes billets passés inapperçus remonter à la surface ...

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  7. Attention le monopole de la violence légitime, ça ne veut pas dire que seul l'Etat à le droit d'utiliser la violence de manière légitime, mais qu'il est le seul à définir les règles de cette légitimité.
    Tout le monde a le droit d'être violent s'il respecte les règles posées par l'État. Par exemple, toute personne a le droit de se substituer aux forces de police, et d'user de violence pour faire cesser une infraction ou en appréhender les auteurs en cas de flagrance.

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  8. @ Gwendal : je ne crois pas que la population soit indifférente. Je dirais qu'elle est résignée plutôt.

    @ Suzanne : bien évidemment, la violence est réelle, mais cela n'empêche pas la posture.

    Concernant le billet de Manu, je crois qu'il ne s'agit pas non plus de la même situation. J'ai décris un affrontement entre autorité et deux hommes exprimant une forme de rébellion. Manu décrit un acte de vol et d'agression physique envers une personne non-membre des forces de l'ordre.

    @ Dr No : ben, il ne fait pas lire en diagonale !

    @ Paul : je le sais bien, mais je trouve toujours aussi problématique que d'autres organismes puissent agir à la place de la police. Là-dessus, je m'oppose à la politique menée par l'Etat.

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  9. Peut-être... Dans ce cas-là, je me demande ce qui est pire.

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Laissez-moi vos doléances, et je verrai.

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