mardi 16 février 2010

Quelques ressorts du mouvement des enseignants de Seine-Saint-Denis.

Il y a, profondément, une certaine forme de masochisme chez les enseignants. Oui, de masochisme. Pourquoi ? Pour quelques raisons très simples que je vais tenter d'expliciter.

Depuis maintenant plus d'une semaine que le mouvement est en cours dans les établissements de Seine-Saint-Denis, je me suis permis d'écouter mes collègues et d'essayer de comprendre ce qui pouvait bien se passer dans leurs esprits. En effet, on pourrait se demander pourquoi ils se sont brusquement mis à s'agiter, à écrire des lettres, à signer des pétitions, à manifester voire à faire grève pour une partie d'entre eux. Tu vas me dire, cher lecteur, que les profs sont toujours plus ou moins en grève, toujours plus ou moins en train de pétitionner et de manifester, toujours en train d'essayer de trouver des biais pour ne pas travailler. Pourtant, nos syndicats ont régulièrement essayé de susciter un mouvement d'ampleur depuis le début de l'année scolaire, de manière très maladroite, et sans y parvenir. Pour moi, la manifestation nationale du 30 janvier était un flop, même si cette analyse reste contestée par les vieux routiers du militantisme syndical.

Or, ce qui suscite le mouvement du moment pose des enjeux nouveaux. D'abord, et malgré la fascination médiatique pour le sujet, signe de notre époque, la sécurité n'est pas au centre du problème. Certes, il y a maintenant quatre établissements en droit de retrait pour des questions d'agression : le lycée Chérioux à Vitry, le lycée de Thiais depuis aujourd'hui, le collège Timbaud à Bobigny depuis mardi dernier et le lycée Timbaud d'Aubervilliers depuis le 29 janvier. Les collègues réagissent toujours de manière très solidaire mais de là à entamer une grève spontanée derrière, il y a un pas que l'ultra-majorité ne passera pas.

Le mouvement actuel s'articule autour des suppressions de postes, très globalement, et on les retrouve dans tous les mots d'ordre. La sécurité vient du manque de personnel. La réforme du lycée vise à supprimer des personnels en réduisant les enseignements disciplinaires. La suppression de la formation des profs va permettre de mettre les stagiaires à plein temps. Cependant, les profs ne l'expriment pas réellement, en tout cas rarement de manière construite. Finalement, même si tout le monde est conscient que la réduction de la dépense d'éducation est derrière tout cela, ce mot d'ordre ne ressort pas directement.

Ce qui émerge est bien plus basique, bien plus sentimental, bien plus profond aussi, et finalement, bien plus difficile à gérer, à la fois par les syndicats ou par le gouvernement. Ce qui émerge, c'est une sorte de ras-le-bol, de lassitude, d'exaspération devant la chute du service public et la dégradation des conditions de travail, de sentiment de mépris de la part de l'ensemble des acteurs publics, des parents et de nombreux politiques. S'il couve depuis longtemps, ce sentiment profond, il s'exprime finalement assez rarement. Là, il flambe dans l'une des zones les plus difficiles du pays, mais rien ne dit qu'il fera tâche d'huile ailleurs, là où les conditions de travail sont moins dures, et où les suppressions de poste ont un impact moins lourd.

Pourquoi masochiste, les profs ? Parce qu'ils s'expriment assez peu, que cette réalité-là n'émerge pas, que les profs subissent sans riposter. Maintenant que les choses sortent, rien ne laisse prédire de l'avenir proche. En tout cas, je n'aimerais être à la place ni du ministre qui va devoir trouver des réponses (qu'elles soient répressives ou positives), ni des syndicats qui vont devoir traduire ce globiboulga revendicatif en des revendications claires. Bon courage, les gars !

2 commentaires:

  1. Dégradation des conditions de travail... c'est un peu court gentil privilégié! Le prof n'est pas masochiste, il est schizophrène:
    Incapable de fournir un discours clair sur sa condition, le prof est l'otage de quelques cuistres pédagogiques(de gauche)qui sévissent depuis 30 ans et qui sont actuellement instrumentalisés pour servir une politique (de droite)de désengagement drastique.
    Le prof souffre aussi de dérèglement sentimental: amoureux éconduit de sa discipline, il doit se résoudre à ne plus communiquer avec elle que par bribes qui deviennent chaque jour plus rares.
    Sinon, le prof est condamné à perdre totalement le contact avec la réalité en suscitant la haine publique ou à défaut, le mépris de ses pairs.
    A ce stade, le prof devient parfaitement autiste, il s'en remet alors à ses syndicats, malades eux-même atteints du syndrome dissociatif puisqu'ils se prennent pour les médecins (ah! cette lumineuse idée de reculer d'un an le concours du recrutement), et qu'ils se tiennent prêts en bon supplétifs à faire enfiler la camisole de force (ah! cette formidable occasion de la masterisation à ne pas manquer)... ou administrer une petite piqure (une bonne grève?)
    De toute façon ce gouvernement a trouvé le traitement pour faire taire le prof déréglé: l'asphyxie économique par une politique salariale du garot.

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  2. @ Anonyme : la schizophrénie n'empêche pas le masochisme, il me semble. Vision intéressante sinon, dans laquelle je retrouve quelques-uns de mes collègues.

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Laissez-moi vos doléances, et je verrai.

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