Pour faire suite au message d'hier, j'aimerai aborder avec toi, cher lecteur, la manière dont les enseignants sont évalués. En effet, nous avons souvent été taxés de rejeter toutes les manières que l'on pourrait mettre en place pour former correctement nos élèves, voire pour travailler mieux, faire de bons cours et amener un maximum d'élèves jusqu'au bac. Cette question semble assez simple : mesurons les caractéristiques du travail des profs, voyons ceux qui y arrivent le mieux, et on pourra les payer au mérite et gérer leurs progressions de carrière de cette manière-là, théoriquement plus motivante.
Le problème, quand je me penche sur cette question, c'est que je ne sais pas moi-même réellement comment on peut mesurer la qualité du travail d'un prof. Le résultat de notre travail devrait être la satisfaction de nos élèves. Or, à leurs âges, ils sont totalement incapables de juger de la qualité de notre action. Sans doute faut-il attendre une certaine maturité de l'ancien élève, pour estimer de la qualité d'un enseignant. De plus, les choses bougent avec le temps : personnellement, je trouvais sans doute merveilleux des enseignants, étant gamin, que je juge nettement moins bon maintenant que je suis adulte et que j'ai accumulé ma propre expérience professionnelle.
Certains ont imaginé évaluer les enseignants aux résultats aux examens. Cependant, ceux-ci sont tellement conditionnés par une multitude de facteurs qu'il est totalement impossible de dire quelle est la part de chaque enseignant dans la réussite comme dans l'échec d'un élève. Cela est la même chose pour la vie d'un adulte : comment estimer l'impact que j'aurai sur le futur de mes élèves actuels ? Potentiellement, les deux-tiers m'auront totalement oublié dans 10 ans, et le tiers restant n'aura de moi qu'un vague souvenir. Je ne retiens de ma propre scolarité que quelques noms, et quelques visages.
"Es-tu en train de nous dire, privilégié, qu'on ne peut pas évaluer les profs et qu'il faut donc te laisser faire ce que tu veux sans contrôler l'argent avec lequel on te salarie ?" C'est ce à quoi tu penses, cher lecteur. La réponse est non. Je suis juste en train de te dire que je ne sais pas comment faire moi-même pour imaginer un système permettant de mesurer la valeur réelle d'un professeur, autrement que par des critères assez subjectifs...
L'administration est pourtant bien obligée de trouver quelque chose. Normalement, tous les fonctionnaires sont notés par leur supérieur hiérarchique, avec une note sur 20 points. Moi, mon responsable hiérarchique est un proviseur. Il évalue que je respecte bien mes obligations de service, fixées à la fois par le statut du fonctionnaire d'État (1983) et par le statut des enseignants de 1950, mais se prononce aussi sur des aspects assez subjectifs comme l'autorité sur les élèves par exemple. Il note chaque agent une fois par an et doit pouvoir justifier de sa note. Si un enseignant la conteste, il peut d'abord faire un recours auprès du chef, et si cela ne passe pas, s'adresser au recteur. En cas de rejet, il restera toujours le tribunal administratif.
Reste que le proviseur ne peut pas évaluer une part importante du travail de l'enseignant : la qualité des cours. Si le proviseur est un ancien prof lui-même, il a enseigné une discipline en particulier, et ne peut donc aller voir si un cours d'une autre matière correspond à ce qu'il faut faire. En plus, il est débordé et n'a pas le temps de s'actualiser au niveau disciplinaire. L'Education nationale a donc institué un autre corps d'évaluateurs, les inspecteurs, qui eux ont en charge de vérifier la qualité pédagogique de notre travail. Ils viennent normalement assez régulièrement assister à une leçon. Nous sommes prévenus de leurs venues au moins quelques jours à l'avance.
Ainsi, l'enseignant est noté sur 100 points : 40 sont attribués par le proviseur (ou le principal en collège) et 60 par l'inspecteur de la discipline. Cependant, la note est contingentée en fonction de l'ancienneté des profs, pour éviter l'arbitraire et empêcher que les profs très bons mais anciens aient le même salaire que les très bons mais tout jeune, vu que les salaires ne sont pas librement fixés par l'employeur, pour éviter l'arbitraire du politique. Un enseignant très bien noté fera l'ensemble de la grille salariale en 20 ans, un mal noté en 30 (ce qui correspond, en bout de course, à un différentiel tout de même assez notable).
Ce système assez complexe vise à protéger les profs de l'arbitraire du politique, à garantir que nous soyons principalement évalués sur nos aspects pédagogiques et à mettre en place un système d'ancienneté qui est finalement le seul qui reste totalement imparable politiquement.
Ce système ne satisfait pas grand-monde pourtant. Il frustre les collègues qui bossent beaucoup et qui aimeraient progresser plus vite, il dysfonctionne beaucoup car les inspecteurs sont peu nombreux et passent rarement voir les profs, nous laissant durant de longues périodes sans aucun conseil et risquant de nous faire stagner professionnellement alors qu'on bosse convenablement. Cependant, on a toujours pas trouvé mieux dans une fonction non-productive comme la nôtre mais où le politique a une influence non-négligeable...
Je sais que j'ai été très didactique, cher lecteur, mais je voulais que tu comprennes bien le système. Je te laisse maintenant la possibilité de m'interroger pour compléter et de faire toutes les remarques que tu souhaites.
Le problème, quand je me penche sur cette question, c'est que je ne sais pas moi-même réellement comment on peut mesurer la qualité du travail d'un prof. Le résultat de notre travail devrait être la satisfaction de nos élèves. Or, à leurs âges, ils sont totalement incapables de juger de la qualité de notre action. Sans doute faut-il attendre une certaine maturité de l'ancien élève, pour estimer de la qualité d'un enseignant. De plus, les choses bougent avec le temps : personnellement, je trouvais sans doute merveilleux des enseignants, étant gamin, que je juge nettement moins bon maintenant que je suis adulte et que j'ai accumulé ma propre expérience professionnelle.
Certains ont imaginé évaluer les enseignants aux résultats aux examens. Cependant, ceux-ci sont tellement conditionnés par une multitude de facteurs qu'il est totalement impossible de dire quelle est la part de chaque enseignant dans la réussite comme dans l'échec d'un élève. Cela est la même chose pour la vie d'un adulte : comment estimer l'impact que j'aurai sur le futur de mes élèves actuels ? Potentiellement, les deux-tiers m'auront totalement oublié dans 10 ans, et le tiers restant n'aura de moi qu'un vague souvenir. Je ne retiens de ma propre scolarité que quelques noms, et quelques visages.
"Es-tu en train de nous dire, privilégié, qu'on ne peut pas évaluer les profs et qu'il faut donc te laisser faire ce que tu veux sans contrôler l'argent avec lequel on te salarie ?" C'est ce à quoi tu penses, cher lecteur. La réponse est non. Je suis juste en train de te dire que je ne sais pas comment faire moi-même pour imaginer un système permettant de mesurer la valeur réelle d'un professeur, autrement que par des critères assez subjectifs...
L'administration est pourtant bien obligée de trouver quelque chose. Normalement, tous les fonctionnaires sont notés par leur supérieur hiérarchique, avec une note sur 20 points. Moi, mon responsable hiérarchique est un proviseur. Il évalue que je respecte bien mes obligations de service, fixées à la fois par le statut du fonctionnaire d'État (1983) et par le statut des enseignants de 1950, mais se prononce aussi sur des aspects assez subjectifs comme l'autorité sur les élèves par exemple. Il note chaque agent une fois par an et doit pouvoir justifier de sa note. Si un enseignant la conteste, il peut d'abord faire un recours auprès du chef, et si cela ne passe pas, s'adresser au recteur. En cas de rejet, il restera toujours le tribunal administratif.
Reste que le proviseur ne peut pas évaluer une part importante du travail de l'enseignant : la qualité des cours. Si le proviseur est un ancien prof lui-même, il a enseigné une discipline en particulier, et ne peut donc aller voir si un cours d'une autre matière correspond à ce qu'il faut faire. En plus, il est débordé et n'a pas le temps de s'actualiser au niveau disciplinaire. L'Education nationale a donc institué un autre corps d'évaluateurs, les inspecteurs, qui eux ont en charge de vérifier la qualité pédagogique de notre travail. Ils viennent normalement assez régulièrement assister à une leçon. Nous sommes prévenus de leurs venues au moins quelques jours à l'avance.
Ainsi, l'enseignant est noté sur 100 points : 40 sont attribués par le proviseur (ou le principal en collège) et 60 par l'inspecteur de la discipline. Cependant, la note est contingentée en fonction de l'ancienneté des profs, pour éviter l'arbitraire et empêcher que les profs très bons mais anciens aient le même salaire que les très bons mais tout jeune, vu que les salaires ne sont pas librement fixés par l'employeur, pour éviter l'arbitraire du politique. Un enseignant très bien noté fera l'ensemble de la grille salariale en 20 ans, un mal noté en 30 (ce qui correspond, en bout de course, à un différentiel tout de même assez notable).
Ce système assez complexe vise à protéger les profs de l'arbitraire du politique, à garantir que nous soyons principalement évalués sur nos aspects pédagogiques et à mettre en place un système d'ancienneté qui est finalement le seul qui reste totalement imparable politiquement.
Ce système ne satisfait pas grand-monde pourtant. Il frustre les collègues qui bossent beaucoup et qui aimeraient progresser plus vite, il dysfonctionne beaucoup car les inspecteurs sont peu nombreux et passent rarement voir les profs, nous laissant durant de longues périodes sans aucun conseil et risquant de nous faire stagner professionnellement alors qu'on bosse convenablement. Cependant, on a toujours pas trouvé mieux dans une fonction non-productive comme la nôtre mais où le politique a une influence non-négligeable...
Je sais que j'ai été très didactique, cher lecteur, mais je voulais que tu comprennes bien le système. Je te laisse maintenant la possibilité de m'interroger pour compléter et de faire toutes les remarques que tu souhaites.
Super billet. Tu expliques vraiment super bien... Tu serais pas prof par hasard ? ;)
RépondreSupprimerQue penserais-tu d'un système qui donne plus de liberté à chaque établissement dans la sélection de ses professeurs, comme dans le supérieur ? (Je pose la question sans aucun a priori : c'est simplement ce qui m'est venu à l'esprit.)
J'approuve la question de Rubin, et souhaite bien avoir une réponse de ta part.
RépondreSupprimerJe prolonge par une autre question: l'évaluation des profs apparaît quelque peu limitée aux professionnels du genre; vous, professeurs, vous rendez-vous compte de l'avis que peuvent porter sur vous les parents des élèves, qui, sur la base de ce que leur rapportent leurs enfants et des entrevues qu'ils peuvent avoir avec vous, ont aussi droit à une appréciation légitime, tout aussi valables que vos collègues inspecteurs.
Quel parent n'a jamais discuté avec un autre, en parlant des qualités de tel ou tel prof?
Il n'y a pas de mystère: les bons profs sont connus et repérés; les médiocres aussi: pas besoin d'inspecteur.
Les notations des profs ont-elles un effet sur leur évolution de carrière ou de salaire? Tout le monde n'a-t-il pas 19,5 sur 20 après quelques années?
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RépondreSupprimer@Penthièvre : ta réflexion sur les parents d'élèves est intéressante ; peut-être faudrait-il instaurer un mécanisme permettant leur consultation. Mais j'ai très souvent vu les parents d'élève se tromper lourdement, notamment en prenant certains profs "exigeants" pour des tortionnaires. Leur avis sur un prof est fortement conditionné par les récits de leur enfant.
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RépondreSupprimer@ Rubin : je voudrai une précision avant de répondre à ta question : quand tu parles de sélection, tu parles du recrutement direct de personnes sur CV, comme dans des entreprises, ou tu parles de recrutement sur une liste pré-établie ?
RépondreSupprimer@ Penthièvre : je me suis permis de supprimer les répétitions de commentaires, dont je ne comprends pas la cause.
Pour te répondre simplement :
- Pour les parents d'élèves, je crois que la réponse de Rubin colle avec ce que je voulais te dire. Les parents sont souvent très subjectifs car engagés. De plus, ils s'appuient sur les paroles de leurs enfants, elles aussi subjectives. Enfin, les parents ne peuvent évaluer, dans la plupart des cas, la pédagogie. Ils se retrouveraient donc à évaluer ce qu'évalue déjà les proviseurs (retards, obligations de service...). Maintenant, on peut toujours imaginer une consultation des parents à certains moments.
- Les inspecteurs restent nécessaires pour mesurer la valeur disciplinaire des cours.
- Pour les notes, elles sont contingentées, c'est-à-dire qu'elles doivent être situées, en fonction de l'ancienneté, entre une valeur basse (x) et une valeur haute (y). Si l'enseignant est jeune et mauvais, son x sera bas. Par contre, un mauvais vieux aura forcément une note plus haute qu'un jeune mauvais, mais une note parfois plus basse qu'un jeune bon. Enfin, un bon finit toujours par atteindre la limite haute, et ne peut plus monter au bout d'un moment.
Tiens c'est drôle, dans le primaire c'est l'inspecteur qui est le seul évaluateur des enseignants.
RépondreSupprimerLes parents ont un avis qu'il est utile et intéressant d'entendre mais comme tu disais, ils ne peuvent guère apprécier les qualités de pédagogue de l'enseignant. Chez nous, la plupart des remarques des parents concernent les devoirs à la maison (ils sont très demandeurs alors qu'officiellement nous ne sommes pas censés en donner) et la discipline (demande d'être plus ou moins sévère avec leur enfant). Leurs remarques ne peuvent qu'être corrélées avec la personnalité de leur enfant.
Voilà pour ce que j'en vois !
@ MGP : entièrement d'accord avec toi !!! Une fois n'est pas coutume... En tout cas, la manif avait vraiment de la gueule. Attendons maintenant la suite.
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