dimanche 29 mars 2009

Je suis un enseignant converti.

Souvent, lorsqu'on s'intéresse un peu aux raisons qui ont poussé les gens à devenir enseignant, il ressort, dans la population, deux raisons fondamentales : la vocation et le statut de fonctionnaires. Il est extrêmement rare que des enseignants reconnaissent effectivement qu'ils sont là pour la deuxième raison. J'en ai certes connu quelques-uns, souvent issus du secteur privé, et qui avait préféré renoncer à des salaires bien plus élevés pour avoir une vie moins trépidante, plus sécurisée, mais surtout, avec davantage de vacances et de temps libre ! Chez les anciens salariés du privé, l'argument du temps libre, mais aussi de l'absence d'une hiérarchie trop pesante, revient souvent. La vocation est davantage évoquée : je suis toujours aussi surpris du nombre de collègues qui affirment avoir pensé au métier d'enseignant depuis leur plus tendre enfance, sans vraiment réfléchir, d'ailleurs, à ce qu'ils allaient enseigner. La proportion dans le primaire est encore plus forte.

Personnellement, je n'avais jamais imaginé être prof du secondaire. Je dirais même plus que je suis prof par hasard. Le choix de mes études fut fait sans aucune considération professionnelle : j'aimais l'histoire depuis très longtemps, et j'avais simplement envie de l'étudier à plein temps. En cela, mes années d'étudiant ont été un vrai plaisir, quels que soient les sujets abordés. Et puis, j'ai obtenu une maîtrise, j'ai commencé à vieillir, à avoir envie de quitter le foyer familial, et il fallait penser à manger. A l'époque, je me voyais pourtant faire une grande thèse et être, un jour, un vague professeur d'université très savant et perdu dans les archives, en train de rédiger des articles que seules 20 personnes liraient et que 3 seraient capables de contredire.

Mon directeur de recherche, avec qui j'avais un entretien suite à la soutenance de ma maîtrise, m'avait alors dit, péremptoire : « il faut passer l'agrégation d'histoire si vous voulez avoir une grande carrière ». A ce moment-là, je ne savais de l'agrégation que sa réputation de grande difficulté, et je n'avais pas vraiment imaginé que je me retrouverai dans le secondaire. Je me suis à travailler comme un damné, en moyenne une treizaine d'heures par jour, avec une demi-journée de repos par semaine. Comme je n'ai pas réussi la première année, il a fallu recommencer une seconde fois, et finalement, après deux ans de labeur, la délivrance de l'agrégation, avec un assez bon classement de surcroît.

Me voilà donc engagé par le Ministère de l'Education nationale, avec le meilleur statut possible, et placé en stage sur l'académie de Créteil. Au tout début, j'étais persuadé que je resterai là un an ou deux, pas plus, le temps d'avancer ma thèse. J'en ai décidé autrement, à cause d'un choc primordial : les premières heures de cours. Je sais, cher lecteur, que si la transmission ne t'intéresse pas, tu dois avoir du mal à saisir, mais pour moi, le fait de raconter des choses à des élèves et de les voir comprendre et apprendre me procure beaucoup de plaisir. Très vite, l'idée de la thèse et de la recherche a disparu : j'avais trouvé mon bonheur.

Je ne suis donc qu'un converti. Sans doute cela changera-t-il un jour (on se lasse de tout), mais je ne regretterai jamais ce choix.

Le fait que je râle souvent, sur les conditions du métier en particulier, ne signifie en rien une désaffection ou une souffrance. Au contraire, c'est une preuve d'amour profond pour ce job, à la fois enrichissant personnellement et utile à la société. Je pense que beaucoup de mes collègues comprendraient parfaitement mon sentiment.

Bien sûr, comme tout le monde, je défends mon bout de gras, mais j'ai aussi cette contradiction de défendre aussi une mission de la République et un métier de service public.

Cela donne régulièrement à ce blog un aspect assez schizophrène. J'espère avoir réussi à clarifier un peu cet état de fait…

15 commentaires:

  1. Bonsoir Mathieu, et merci pour le lien.

    Il ne fait aucun doute pour moi que tu fais partie de ceux qui ont choisi ce métier par vocation. J'aimerais simplement qu'il existe moins d'incitations de le faire pour la seconde raison : l'Éducation nationale a besoin de plus de vocations.

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  2. Très intéressant, et puis tiens, tiens, un billet un peu plus perso :)
    Je ne suis pas d'accord avec l'opposition vocation/confort du fonctionnariat. Je vais vous expliquer pourquoi.
    J'ai toujours enseigné dans divers contextes. J'ai toujours pensé n'être bonne qu'à ça. C'est assez curieux mais bon. J'ai enseigné les arts plastiques en collège et en prison, j'ai enseigné le français langue étrangère en France et à l'étranger, à l'université et en alliance française, l'alphabétisation en centre social... Et oui, un jour j'ai choisi de passer le concours d'instit pour le statut de fonctionnaire. Il se trouve qu'à Paris, je ne pouvais vivre de ce dernier métier que j'adorais (prof de FLE). Alors que faire ? Non, je ne suis pas institutrice par vocation, et alors ? Est-ce pour cela que je fais mal mon métier ?
    Sortons un peu des schémas simplistes. Et arrêtons de compter sur la vocation des gens, on ne vit pas d'amour et d'eau fraîche. Si tel était le cas, je serais restée prof de FLE, heureuse et chômeuse intermittente. A Paris, les boîtes de FLE n'offrent bien souvent que des CDD à temps partiel ; mes collègues étaient condamnés à alterner chômage et travail, faute de pouvoir renouveler leur CDD.
    Moins heureuse en tant qu'instit ? Oui. Voir tous les jours des enfants à l'abandon (de parents aisés ou en difficulté, peu importe), à qui je n'apporte pas grand-chose - compte tenu du statut bancal que j'ai cette année (quatre quarts de temps), du manque de moyens etc. - ne m'enchante pas. L'enseignement reste une chose passionnante.
    Voilà ! Encore désolée de raconter ma vie mais les visions romantiques de vocation et d'eau fraîche me font grincer les dents !

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  3. Beau billet, bravo ! Malgré la connotation religieuse du titre... ;-)

    JR

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  4. Tiens, pourquoi ne parle-t-on de vocation que pour ce métier là ? Et pourquoi préfère-t-on que les gens le fasse par vocation ? N'y a-t-il pas des ingénieurs ou des avocats par vocation ?

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  5. @ Rubin : c'est un tout. Pour supprimer ce problème, on a qu'à nous payer au SMIC, comme ça, on sera là par vocation. ;)

    @ MGP : attention, je disais bien que c'était ce que pense la majorité des gens.

    @ Rosselin : on a toujours un passif judéo-chrétien.

    @ Polluxe : il s'agit du reste des "hussards noirs" je pense.

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  6. @Polluxe : mais la vocation est importante dans tous les métiers. Elle doit l'être plus encore en matière d'éducation et dans le service public. Enfin, c'est mon avis.

    @Mathieu : tu sais bien que ce n'est pas ce que je voulais dire.

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  7. @ Rubin : non, mais ta phrase pouvait prêter à confusion, ce que je n'ai pas manqué d'exploiter, avec mon esprit tordu...

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  8. Joli billet Mathieu, je découvre ton cheminement personnel professionnel.

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  9. Marrant, je pourrais signer ce billet, à deux infimes différences prêt : le choix de l'Histoire-Géo s'est décidé en prépa littéraire, après un bac D. Et la thèse, je viens de l'abandonner :-)

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  10. Ma vocation me poussait vers le statut de grand patron (golden parachutiste en vrai), mais bon que voulez-vous avec un statut si précaire... j'ai préféré devenir prof!

    Plus sérieusement: beaucoup de profs ont ce parcours. Excellent billet!

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  11. @ Manuel : on a beau être de vieux amants, on se découvre encore.

    @ Cloran : tu abandonnes ta thèse ??? Damned.

    @ Ferocias : oui, mais les profs ne le disent pas. La vocation, cela fait mieux.

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  12. Oui, encore une fois j'ai mal explicité (mais mes coms sont déjà trop longs :D), je ne disais pas que tu caricaturais le clivage vocation/confort de la situation de fonctionnaire. Je ne l'ai pas ressenti en te lisant, et je trouve que ton billet est un témoignage personnel très intéressant. Je rebondissais plutôt sur le commentaire de Rubin, qui met en valeur la vocation. Je trouvais que trop compter sur la vocation peut-être dangereux. Et je suis d'accord avec Polluxe. Voilà !

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  13. @ MGP : ok, c'est plus clair comme cela.

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  14. Bonjour,

    un très joli billet, auquel j'ai été particulièrement sensible. Je suis prof, moi aussi mais avec un parcours différent du votre: je suis prof de maths, dans l'enseignement supérieur privé (école d'ingénieur). J'avais envie d'enseigner dans le secondaire, mais aussi des ambitions en maths. Alors j'ai fait un doctorat, tout en gardant un goût de plus en plus important pour l'enseignement. Lorsqu'un poste s'est présenté dans une école d'ingénieur, privée, pour y enseigner à temps plein, je me suis lancée et je ne le regrette pas. Car, tout comme vous, je me suis découvert une véritable passion pour l'enseignement.

    Quant au débat sur l'éventuelle opposition "vocation/confort", il me semble qu'il est naturel de rechercher à avoir un confort dans l'exercice de son métier, n'importe qui le dirait. L'exemple de @MGP illustre il me semble la situation où il n'y aucune contradiction entre la vocation et le confort. Vous avez cherché une situation plus stable pour continuer à faire le travail que vous aimez faire. Ce qui est dommageable, c'est de choisir de faire un travail uniquement à cause d'un certain confort de statut, et sans avoir un goût pour le métier. Dans le cas de @MGP, il serait triste de devoir renoncer à l'enseignement pour avoir un travail qui ne vous intéresserait pas, mais qui vous donnerait un statut stable. Car, il me semble que ce doit être une réelle souffrance de ne pas aimer ce qu'on fait. On passe quand même une part non négligeable de notre vie au travail.

    Enfin, je profite de ce commentaire pour vous dire que vous pouvez compter un nouveau lecteur dans vos statistiques ;-)

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  15. @ Anya : merci de vos compliments. Pour le reste, je laisse à MGP la joie de vous répondre.

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Laissez-moi vos doléances, et je verrai.

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