mardi 27 octobre 2009

La réforme du lycée de Nicolas Sarkozy : haro sur les maths ?

Je n'ai pas encore eu l'énergie, cher lecteur, de me lancer sur ce blog dans une analyse profonde et construite de la réforme des lycées, présentée par notre président. Elle n'a pas suscitée de réactions profondes, sauf des considérations sur le peu d'ambition de l'ensemble. Malgré tout, il y a des choses dans cette réforme, et j'y reviendrai.

Depuis le discours, les premiers éléments concrets commencent à sortir. Depuis 2007, le pouvoir a pris l'habitude, lorsqu'il parle d'éducation, de faire des annonces très vagues sur lesquelles on ne peut réellement réagir. Cette stratégie avait d'ailleurs plombé le projet Darcos de l'an dernier, puisque la partie technique n'avait pas été réellement réfléchie au départ. Tous les opposants, de toute nature, s'étaient engouffrés dans la brèche, entraînant le report du projet. Depuis le 13 octobre, Luc Chatel rencontre les différentes organisations représentatives de l'éducation. Le SNES a été le premier à être reçu, avec le SNEP, et les autres se succèdent depuis. Ce matin, c'était le SE-UNSA qui diffusait ses informations. Le ministre laisse s'exprimer chaque organisation, sans doute pour mesurer les positions de chacun et voir avec qui il sera possible, à terme, de signer des accords.

L'architecture de la nouvelle première générale, en particulier, commence à se dessiner. Elle serait beaucoup moins spécialisée que les premières actuelles, avec 3/5e d'enseignement commun et 2/5e d'enseignement spécialisé, permettant ainsi aux élèves de changer plus facilement d'orientation. Le pouvoir s'éloigne ainsi des positions du syndicat enseignant de droite, le SNALC-CSEN, qui cherche plutôt à faire passer l'idée d'une différenciation plus précoce des parcours des élèves, dès la fin de la cinquième. Dans cette première, quelques matières ont été d'ores et déjà définies comme devant être faites par tous les élèves, avec des horaires importants : le français, l'histoire-géographie, les langues vivantes 1 et 2, l'EPS et l'éducation civique. Et là, les collègues ont été réellement surpris.

En effet, les mathématiques ne sont pas présentes dans ce groupe. Pourtant, depuis la fondation de l'école publique, avec le français et l'histoire-géographie, les mathématiques ont été un des piliers du système éducatif français. N'oublions pas qu'il s'agit encore d'une des rares épreuves que les collégiens affrontent en fin de troisième au brevet. De même, l'horaire de mathématiques reste important dans la seconde actuelle. Elle est enfin réellement une matière de sélection, dans un ordre très déterminé.

Le système actuel s'appuie en effet sur deux matières pour trier les élèves en fin de seconde. D'abord, se pose la question du français. Si un gamin présente des difficultés importantes dans cette discipline, il est quasiment assuré de ne pas pouvoir passer en première générale, et d'avoir du mal à se trouver une place dans les sections technologiques. Si le français passe, les mathématiques permettent de faire un second tri, en envoyant les bons élèves en maths vers la première S, les moyens vers la ES et les faibles en maths vers la L. Certes, les profs reconnaîtront rarement publiquement l'existence de ce tri, mais il est bien réel.

Depuis plusieurs années, les syndicats enseignants réclamaient une évolution de ce système très sélectif, soit en supprimant les filières et en créant un enseignement modulaire (comme le SGEN-CFDT), soit en proposant un rééquilibrage des filières (comme le SNES) soit même en créant un cycle unifié jusqu'au bac. Finalement, Sarkozy a suivi cette demande en se calquant sur la position du SNES, alors que Darcos était plutôt CFDT l'an dernier.

Or, l'exclusion des maths du tronc commun pose question. Les syndicats enseignants ne se sont jamais positionnés là-dessus mais les fédérations de parents ont souvent réclamé un rééquilibrage des matières. Il s'agit donc bien là d'un choix de Sarkozy lui-même, et ce n'est pas la première fois. En mai dernier, lorsque Descoings menait ses travaux, le président, dans un lycée, s'était déjà lancé dans une tirade contre les maths, en affirmant qu'un étudiant en médecine n'avait pas besoin d'avoir un bagage considérable dans cette discipline.

Pourquoi ce choix, alors que la France est reconnue pour ses succès dans cette discipline et la spécificité de son enseignement ? Comme pour la lettre de Guy Môquet, le président semble bien affirmer ses goûts personnels et imposer à l'ensemble du système éducatif sa propre vision d'une bonne éducation. Mes collègues de mathématiques risquent bien d'en faire les frais…

En tout cas, les salles des profs vont bientôt être animées de ce type de débat que seuls les profs apprécient : « les maths dans le tronc commun ou pas ? » Quoique l'école, c'est comme pour l'équipe de France, tout le monde a un avis dessus…

Si cela t'intéresse, cher lecteur, n'hésite pas à te lancer ici…

13 commentaires:

  1. Ha ha tant mieux s'ils zappent les maths au lycée. Vivent les matières littéraires ! Les maths sont une souffrance infligée à des élèves qui pour la plupart n'en ont rien à cirer, et n'utiliseront jamais dans leur vie la moindre formule apprise dès la seconde. J'ai des amis qui ont beaucoup souffert d'être nuls en science (particulièrement en maths), on les oblige à faire S, ils redoublent deux fois, spirale de l'échec, dépression etc... C'est n'importe quoi. Qu'on supprime les maths aux lycée pour ceux qui n'ont pas envie d'en faire leur métier. Ceux qui veulent vraiment bosser cette matière y gagneront en plus, parce que le niveau sera plus élevé.

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  2. Et puis, l'école sert à former des citoyens non ? Tu préfères un gars qui fait des logarithmes népériens les yeux fermés ou un gars qui connaît l'histoire, la littérature, les courants philosophiques et politiques ?

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  3. Si le système de l'enseignement secondaire se dirige dans cette voie, la conséquence sera mécanique et plus que prévisible : les classes qui auront les maths en option seront les classes d'"élite" et les autres seront ce qui reste...

    Voilà une énième façon de mettre en place un semblant d'équité tout en favorisant certains élèves.
    Mais bon... Tout le monde commence à en avoir l'habitude, non ?

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  4. @ Paul : non, je ne préfère ni l'un ni l'autre. Je ne suis pas sûr que l'on devienne meilleur citoyen en faisant des lettres ou des maths. Pour moi, toutes les matières sont intéressantes pour les gamins, mais il faut faire des choix. Je n'ai pas vraiment de position sur la situation des maths.

    Les élèves souffrent tous dans certaines matières. Le problème des maths est que cette matière participe au processus de sélection, démultipliant la souffrance de l'échec.

    @ Oaz : donc, pour toi, il est impossible de briser l'hégémonie des maths ? J'admets avoir vraiment du mal à saisir cet attachement des Français à cette discipline.

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  5. Ce qu'il faut supprimer en réalité, c'est la sélection, le redoublement et tutti quanti. Le but de l'éducation ne me semble pas être de préparer au marché de l'emploi (ou à la défense nationale dans le pire des cas), mais de permettre à chacun de devenir un homme libre.
    Les humanités participent de cette vision, quand les maths ne sont qu'une matière technique et sans aucune prétention éducative.
    D'ailleurs, les filières littéraires se passent très bien des maths alors que les classes scientifiques ne font pas l'économie des lettres.
    Si les maths sont si importants en France dans le processus de sélection, c'est parce que les humanités étaient considérées comme de la culture "bourgeoise". Les maths ont l'avantage d'être moins liés au terreau social des élèves. Cette perspective égalitariste est selon moi basée sur un constat faux : la culture littéraire et philosophique est éminemment populaire, lorsqu'elle n'est pas trustée par une élite auto-reproductrice (du genre ENA et Sciences po). D'où l'intérêt d'enseigner un maximum de culture générale au collège/lycée : si l'on se concentre sur les maths, seuls les enfants de riches auront accès à la culture classique/bourgeoise/humaniste que leurs parents leur transmettent, mais dont les parents issus du bled n'ont jamais entendu parler.
    Car au final, on sait très bien que le véritable processus de sélection, particulièrement dans la fonction publique, est cette culture générale. Dans les concours administratifs, les enfants d'immigrés n'ont quasiment aucune chance face aux enfants de fonctionnaires.

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  6. @ Paul : la limitation des redoublements fait partie du projet Sarkozy. J'en reparlerai sans doute dans un autre billet.

    Je suis entièrement d'accord avec toi sur l'importance de la culture, que j'appellerais plutôt "classique" que générale, dans les processus de sélection des élites.

    Maintenant, je ne vais pas défendre les maths ici (je ne suis pas prof de cette discipline) mais je sais qu'on peut aussi y trouver des vertus civiques. D'autre part, elles servent à de nombreuses disciplines non-scientifiques tout de même.

    Je trouve que tu fais un peu du Sarkozy, là. Tu exprimes davantage tes goûts qu'autre chose, si je peux me permettre.

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  7. Je trouve les commentaires précédents un peu stupides: l'enseignement secondaire devrait servir à fabriquer des citoyens capables de raisonner, ayant un esprit critique vis à vis de ce qu'ils voient, entendent et lisent (encore un peu!)
    Il me semble absolument indispensable aue nos élèves aient un minimum de culture littéraire, historique, scientifique et en particulier mathématique. Ne me dites pas "mais à quoi cela va leur servir" car là autant fermer colléges et lycées!! Mais si je peux rassurer ceux qui trouvent les maths "trop difficiles", on va bientôt les arranger comme leurs consoeurs la physique et la SVT: ils auront bientôt tous 14 de moyennes!

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  8. Je me suis un peu emporté, certes. Je n'ai rien contre les maths, au contraire, c'était une de mes matières préférées et dans laquelle j'excellais.
    Mais le programme de maths en lycée est à revoir. Les "S", qui pour la plupart ne se destinent pas à une carrière scientifique, savent manipuler les nombres imaginaires mais ne savent même pas ce qu'est une constitution. C'est du délire, le bac "S" est un énorme gâchis.

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  9. @ Anonyme : je souscris assez à votre raisonnement concernant les maths, mais j'ajouterais que toute discipline permet de raisonner. Il y a sans doute d'autres arguments pour défendre cette discipline.

    @ Paul : on pourrait te rétorquer qu'un scientifique aura davantage besoin de maths que de sciences politiques. Maintenant, je suis d'accord avec toi sur le fait que le secondaire sert à former des citoyens et pas des professionnels.

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  10. @Mathieu L.,
    Oh... Je ne pense pas que les français soit tellement attachés aux maths.
    A mon avis, ils (du moins une bonne partie d'entre eux) sont bien plus attachés aux filières élitistes et aux "bonnes classes", quelel que soit la réalité qu'ils mettent derrière ces termes.
    Et là, le moyen pour faire perdurer le système est servi sur un plateau.

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  11. @ Oaz : de toute façon, l'école française a toujours été conçue comme quelque chose de sélectif. Je ne vois pas Sarkozy faire évoluer ce système.

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  12. A la lecture de ces commentaires, je vois qu'en effet, l'école, tout le monde a un avis dessus. Les math aussi. Les profs de math qui sont scandalisés par la disparition des vecteurs en 3e et les autres citoyens qui établissent une hiérarchie entre les disciplines (math en tête ou culture générale d'abord) me mettent toujours un peu mal à l'aise. Comme les journalistes qui font le sujet de philo en cinq minutes le premier jour du bac. C'est un peu oublier le travail des chercheurs en sciences de l'éducation, en pédagogie et en didactique, qui ont une plus grande légitimité pour répondre à ces questions, non ?
    J'apprécie beaucoup cet article qui ne se permet pas de répondre...

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  13. @ June : chacun y colle ses expériences personnelles et son ressenti. Le président ne fait pas autre chose.

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Laissez-moi vos doléances, et je verrai.

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