samedi 10 avril 2010

Histoire de violences scolaires : première partie.

Cher lecteur, je suis désolé de cette période de relative absence, mais je dois bien admettre que j'ai eu beaucoup de mal à me mettre au blogage cette semaine, pris dans d'autres choses mais surtout manquant d'inspiration.

Mardi, je t'avais conseillé la lecture de cette tribune du Monde concernant l'épineux problème de la violence à l'école. Dès la première phrase, une gène m'a saisi :

"On recommence à parler aujourd'hui, après des années d'occultation, de la violence à l'école. Sans doute, ce problème est-il devenu trop évident pour qu'on continue à l'éluder et à faire comme si tout était "pour le mieux dans le meilleur des mondes" au sein de nos écoles."

Cette phrase est en soi drôle à plusieurs niveaux. Personnellement, j'ai fait toutes mes études en Seine-Saint-Denis, de l'école maternelle à l'université, et j'ai fini par y décrocher mon agrégation pour enseigner maintenant dans l'un des lycées dit difficiles du coin. Dès que je suis arrivé au collège, la question de la violence nous a sauté aux visages. Je me souviens très bien d'une scène qui arriva dans ma classe de 6ème. Notre prof de lettres était une jeune prof et nous étions une classe assez pénible. Un jour, la prof a explosé et s'est mis à copieusement nous disputer. A priori, cela aurait dû s'arrêter là. Mais dans cette classe, il y avait un gamin déjà très dur.

Je le connaissais bien. Ayant été élu délégué de classe, je passais mon temps à l'emmener de notre salle de classe jusqu'au bureau du CPE. Durant ces trajets, nous discutions beaucoup, échanges assez improbables entre le délégué plutôt bon élève et le futur petit caïd du collège. J'appris ainsi que ce camarade avait un père alcoolique qui le tabassait régulièrement, en fait dès que le collège téléphonait chez lui, ce qui arrivait tous les jours. Chaque jour, sa haine à l'égard des profs et du système gonflait. Évidemment, il aurait pu se dire qu'il lui aurait suffi d'arrêter de créer des problèmes en classe, mais il était tellement rempli d'agressivité qu'il en était incapable : c'était hors de ses moyens. Ce jour-là, alors que la prof de lettres hurlante s'approchait de lui, il décocha une incroyable baffe, en plein sur le visage.

La prof ne tendit pas l'autre joue. Elle fut prostrée un bon moment, le temps que j'aille chercher un responsable de l'établissement. Le principal débarqua et emmena le délinquant. Il eut quelques jours plus tard un conseil de discipline.

Ce gamin resta encore un an et demi dans le collège, puis fut orienté vers une 4ème techno où il poursuivit son chaotique parcours. Ce que je me suis toujours demandé, c'est si le collège avait conscience de la réalité de la vie de ce môme. Sans doute, car il n'avait pas été exclu définitivement.

Le problème est que, dans cette histoire, se sont confrontés deux phénomènes entièrement différents. D'un côté, une prof tente de faire cours (et elle y réussissait, j'en ai de bons souvenirs) et essaie d'affirmer son autorité sur des gamins pénibles. De l'autre, un individu, en grande souffrance, assimile l'autorité de l'enseignant à celle de son père, et dans ce cas précis, sans doute à celle de sa mère qui avait l'habitude de se faire tabasser par le père. Une simple reproduction...

A l'époque, je connaissais tout ça, toute cette histoire horrible transmise par un camarade le long des longs couloirs du collège. Aurais-je dû en parler ? Aurais-je dû aller voir ma prof et essayer de lui expliquer que ce copain était un pauvre malheureux, et qu'à chaque fois que je marchais dans les couloirs avec lui, je bénissais la vie de m'avoir fait naître dans une famille où les parents ne maltraitaient pas leurs enfants ? Je décidais que non, et que ces secrets devaient rester entre lui et moi. Aujourd'hui, en tant qu'enseignant, je conseillerais pourtant à mes élèves de dire ce qui peut être dit, pas forcément tout, mais au moins ce qui permet aux adultes de comprendre.

Pour moi, à l'époque, mon camarade ne fut pas suffisamment sanctionné. Il revint après sa période d'exclusion et la prof de lettres l'admît à nouveau, sûrement au prix d'un effort surhumain. Les enseignants avaient dû faire l'effort d'aller comprendre ce qui se passait chez ce gosse, et pourquoi il pouvait brusquement être violent. Les deux devraient être faits : on ne peut pas traiter la violence des enfants autrement qu'en faisant ce double-travail de sanction juste mais sévère, et en même temps de compréhension et de bienveillance. Tant qu'un enfant est un enfant, il doit bénéficier de l'aide des adultes. Une fois la majorité atteinte, qu'il assume ses actes.

Mon camarade fut-il aidé par cette sanction et ce dénouement ? Je ne sais pas. En cinquième, son père mourut et je crois qu'il fut bien plus soulagé par ça que par toutes les sanctions du monde...

7 commentaires:

  1. Un pincement en lisant ce billet, le souvenir des gamins en grande souffrance, à la vie chaotique, croisés ici et là. Des gosses, que même quand on connait le drame, on ne sait comment aider.Des sourires, des mots, une main tendue, un peu d'affection, de l'écoute. Et un immense et douloureux sentiment d'impuissance, des doutes, des dilemmes(entre sanction et compréhension).

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  2. Bel article...
    ... qui semble raconter la future vie toute tracée d'un de mes élèves, qui n'a encore frappé aucun adulte. Je devrais peut-être discuter un peu avec la déléguée.

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  3. Terrible, ton "histoire"...
    Je pense à cet autre père, d'un élève très agité, qui se vantait de "bien soccuper" de son fils avec un argument en béton : "je le frappe tous les jours !" (à chaque fois qu'il le "mérite").
    "Qui aime bien châtie bien", c'est une belle connerie populaire !

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  4. Tellement commune, cette terrible histoire...Tellement partagée par des tas de gosses qu'on a dans toutes nos classes chaque année...

    Des cours pour nous apprendre à gérer ça, pourquoi pas...? Mais il faudrait vraiment un très bon formateur...

    Bises

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  5. Je connais peu d'endroits ou la violence trouverait une reponse plus adequate que celle du conseil de discipline.

    J'ai connu un etablissement ou le fait de savoir que le gamin allait recevoir des raclees n'entrainait pas plus de reactions que cela chez les CPE.

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  6. Un gamin ne sait probablement pas ce qui permet à un adulte de comprendre.
    C'est un boulot difficile que vous faites là, il vous faut une formation psychologique solide pour pouvoir faire face à ce genre de problèmes et faire un diagnostic rapide.
    L'avez-vous, cette formation?

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  7. @ Lnk : la sanction et la bienveillance sont indissociables.

    @ June : rien ne dit qu'elle te dira quoi que ce soit. Je ne l'aurais pas fait à l'époque.

    @ Thierry D. : totalement d'accord.

    @ CC : pour le moment, il n'y a rien, à part le "bon sens" des enseignants.

    @ Gilles Pradeau : là encore, cela dépend du hasard des affectations. Qui a-t-on en face de soi ?

    @ Manuel : non, jusqu'à maintenant, quelques heures par ci par là.

    Et à partir de l'an prochain, la formation professionnelle des enseignants est supprimée.

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Laissez-moi vos doléances, et je verrai.

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