samedi 24 avril 2010

Le classement annuel des lycées, une vaste fumisterie.

Chaque année, les journaux publient le classement des lycées. Lorsque j'étais gamin, ces classements reflétaient les résultats bruts au bac, ce qui n'avait pas réellement de sens. L'Éducation nationale n'a cessé d'essayer de préciser ces statistiques pour obtenir quelque chose de performant, dans le but d'une rationalisation du système éducatif et pour détecter des établissements qui dysfonctionnent et ceux qui parviennent à élever les élèves. En soi, le principe est bon.

Actuellement, les statistiques de 2009 sont composées de trois éléments :
  • Tout d'abord, on prend toujours en compte les résultats bruts au baccalauréat.
  • Ensuite, on estime ce que l'on appelle un taux attendu par rapport aux élèves présents cette année-là au moment de l'épreuve, et particulièrement les niveaux au brevet, les milieux sociaux d'origine, les situations des communes...
  • Enfin, on ajoute le taux d'accès de la seconde au bac, ce qui vise à éliminer les établissements qui préfèrent se débarrasser des élèves faibles plutôt que de tenter de les faire progresser. Cela devait permettre d'éviter de prendre en compte les établissements centraux privés et publics qui trouvaient plus faciles de virer les faibles pour cartonner dans la statistique de première catégorie.

Malheureusement, cette stratégie est un échec. A la lecture des classements, on constate deux choses : le privé occupe le haut de même que les établissements publics déjà réputés lorsque j'étais gamin. On pourrait me dire : "tu vois, Privilégié, le privé cartonne ! Toi et ta corporation, vous ne méritez pas notre plus petite attention..."

Essayons un peu de rationaliser, et intéressons-nous au premier du classement de Seine-Saint-Denis. Celui-ci est occupé par un établissement privé, le lycée Saint-Louis Sainte-Clotilde, localisé sur la petite commune du Raincy, qui est l'une des communes les plus riches de France (et dont je vous reparlerai prochainement car je me prépare à m'y installer...). Sur 111 élèves menés au bac l'an dernier, 97 % l'ont décroché, soit une valeur ajoutée de 7 points par rapport aux attentes du ministère vu les élèves présents. De plus, il parvient à mener 80 % de ses élèves de seconde au bac alors que l'académie n'en attendait que 72 %. Si je le compare au lycée Charles Péguy, un autre privé qui occupe la seconde place et qui parvient pourtant à mener 100 % de ses terminales au bac, la différence se joue sur les élèves de seconde, puisque seulement 80 % d'entre eux sont arrivés au bac alors que le ministère attendait un succès de 87 %. Apparemment, Charles Péguy évacue un peu trop ses élèves.

Comparer ces deux établissements est tout à fait cohérent. Ces deux privés, très réputés dans la bourgeoisie du département, ont le choix de leurs élèves. Ils peuvent donc prendre les meilleurs et l'on peut alors considérer que sur cette base élitiste, la comparaison a un sens. Par contre, on oublie totalement la logique de sélection et on compare ces deux bahuts aux autres lycées qui ne peuvent pas sélectionner, soit parce que leur image est mauvaise, soit parce que l'établissement dispose d'un bassin de recrutement de milieux sociaux ayant des résultats scolaires moins positifs.

Ainsi, si je prends les derniers du classement en Seine-Saint-Denis, que vois-je ? En avant-dernière position se trouve le lycée Léonard de Vinci de Tremblay-en-France. A l'évidence, ce lycée est déjà difficile car l'académie prévoit que seuls 58 % des élèves de seconde pouvaient aller au bac et l'obtenir. Or, 55 % y sont parvenus et finalement, les résultats au bac sont 9 points en-dessous des attentes. Évidemment, ce lycée est beaucoup moins bon que celui du Raincy précité, mais peut-on émettre une quelconque comparaison entre deux lycées si différents ? On pourrait tout à fait, par contre, comparer ce lycée avec ceux qui subissent le même évitement des familles et qui ont des élèves en difficulté au départ.

Pour construire une véritable évaluation des établissements, on peut conserver les mêmes statistiques qu'au départ, mais il faudrait :
  • Ajouter la possibilité pour ces bahuts de pratiquer une sélection au départ, qu'ils soient privés ou publics. Rien de plus simple : il suffit de regarder le secteur géographique de provenance des élèves. On verra par exemple que les élèves d'Henri IV à Paris ne viennent pas tous du Ve arrondissement mais que ceux du lycée de Pantin viennent en très grande majorité de Pantin.
  • Ajouter d'autres statistiques comme les demandes effectués par les élèves en troisième par rapport à chaque lycée, ce qui permettrait d'en mesurer l'image et de voir si l'établissement a un handicap de départ ou pas. Cela devrait parfaitement pouvoir se faire, puisque tout cela est informatisé. Ainsi, un lycée qui n'est jamais demandé peut être considéré comme plus en difficulté qu'un lycée qui est choisi en premier choix.
  • Il faudrait aussi trouver un moyen de prendre en compte les moyens de sélection de chaque établissement. On ne peut pas imaginer que Charles Péguy, localisé à Bobigny, a accès aux mêmes gamins que le lycée Sainte-Marie de Neuilly-sur-Seine. A l'évidence, les réseaux, les milieux, les modes de sélection ne sont pas les mêmes. Il faut aussi intégrer la localisation des établissements. Comment peut-on, de manière cohérente, comparer un lycée public situé à Barcelonnette, premier du classement national, et un lycée privé de Beaune, deuxième ? Comparons des bassins de recrutement semblables.
  • Certains proposent aussi d'évaluer ce que deviennent ensuite les élèves. Cette idée serait bonne puisque l'on verrait alors si un établissement est parvenu à faire sortir un gamin de son milieu social, mais en tempérant cette statistique par le milieu d'origine, car un gamin ne dispose pas des mêmes réseaux et des mêmes codes culturels au départ.
Au final, il faudrait aboutir à différents classements, avec une comparaison des lycées faisant de la sélection et une autre des lycées n'ayant pas les moyens de se la permettre. Certes, pour aboutir à cela, il faudrait reconnaître deux choses que notre gouvernement ne fera pas. Tout d'abord, il faudrait admettre que ce ne sont pas les élèves qui choisissent leurs lycées mais les lycées qui choisissent leurs élèves. Ensuite, il faudrait que nous admettions tous que, sur les grands nombres, la performance d'un établissement se mesure sur des chiffres très réduits, à deux-trois points près, ce qui correspond à quelques élèves par an.

C'est un travail complet, difficile, long mais qui est indispensable pour qu'une équité réelle existe. C'est aussi une reconnaissance indispensable de l'inégalité qui caractérise nos établissements scolaires. Sans ce travail, ces classements continueront à n'être qu'une vaste fumisterie, tout juste bons à faire vendre quelques journaux et à maintenir le mythe de la performance d'établissements qui ne peuvent pas échouer et de la nullité d'autres qui ne peuvent que difficilement réussir.

8 commentaires:

  1. Je suis assez sceptique sur les arguments avancés pour une "véritable" évaluation.
    - la sélection à l'entrée en 2nde : l'impact de celle-ci n'est-il pas déjà pris en compte dans les "résultats attendus" ? Si ce n'est pas le cas, les indicateurs du ministère ont un sérieux problème méthodologique. Les résultats attendus se basent-ils sur de vagues données concernant le secteur géographique du lycée ou sur la réalité des élèves qui y sont effectivement entrés ?
    - l'image de l'établissement comme handicap : là encore, si les indicateurs sont bien faits, l'écart entre l'attendu et le réalisé est indépendant des choix des élèves.
    - comparaison entre des lycées de secteurs géographiques très éloignés : honnêtement, quelle famille est intéressée par cela ? Hormis sur Paris et banlieue proche, le choix d'un lycée est généralement limité. En province le premier critère de choix est bien souvent la proximité.
    - évaluer ce que deviennent les élèves : c'est la seule proposition qui me semble pertinente dans cette liste mais de là à trouver un indicateur pertinent...

    RépondreSupprimer
  2. @ Oaz : essayons de diminuer tes doutes.

    Sur le premier point, les statistiques se basent vraiment sur les élèves, mais je trouve qu'ajouter le choix et la volonté des familles est important, car on mesure l'état d'esprit de l'établissement. Dans une dynamique de travail, c'est tout à fait primordial. De plus, il n'est pas pareil de faire passer un taux attendu de 87 % à 93 % que de le faire passer de 53 % à 60 %, car les classes ne sont pas du tout les mêmes. L'image a aussi un lourd poids là-dedans.

    Sur le point 3, j'attaquais plutôt les journaux qui ont publié le classement national et en ont fait des gorges chaudes.

    Sur le point 4, tout à fait d'accord, mais je crois surtout que cela n'intéressera personne, car on aurait les résultats six à sept ans après, et les familles cherchent une information immédiate.

    RépondreSupprimer
  3. Je ne savais même pas que les classements avaient évolué. J'en étais resté au classement brut d'il y a 20 ans.

    RépondreSupprimer
  4. @ Julien : il a changé une première fois à la fin des années 1990 puis en 2007-2008. L'EN tente d'affiner ses indicateurs, mais c'est loin d'être évident, et je le reconnais.

    RépondreSupprimer
  5. J'imagine que ça doit au moins servir aux parents qui veulent savoir dans quels établissements il NE FAUT PAS mettre le pied de son enfant...

    RépondreSupprimer
  6. @ Didier : dans une ville, les familles aisées et des classes moyennes connaissent toutes les ficelles et les réputations. Quant aux autres, elles ne pourront de toute façon pas choisir.

    RépondreSupprimer
  7. Je suis désolé, mais le taux de réussite de passage au bac par rapport au taux d'entrée en seconde n'a strictement aucun sens. Nos élèves zappent d'un établissement à l'autre, du privé au public ou dans le public ou dans le privé. Cela se voyait déjà en fin de seconde, mais cela va se vérifier encore plus en fin de première puisque l'on pourra changer de programme. J'ai une foule d'exemples d'élèves qui ont même alterné les deux formes d'enseignement durant la même année ! Parfois trois ou quatre sortes de formations différentes durant la même année ! Je me demande alors ce que veulent dire les statistiques dans de tels cas. Je m'appuie sur ce que j'observe dans plusieurs établissements vus récemment. Et je me dis qu'il faudrait un peu se pencher sur ce genre d'élèves décrocheurs (sans l'être complètement).

    RépondreSupprimer
  8. @ Dominique : normalement, ces parcours chaotiques sont pris en compte dans les statistiques. En effet, même si un gamin change deux fois de section, s'il finit par avoir le bac, il est dedans. Cependant, je suis totalement d'accord sur la nécessité de travailler ces statistiques.

    RépondreSupprimer

Laissez-moi vos doléances, et je verrai.

La modération des commentaires est activée 14 jours après la publication du billet, pour éviter les SPAM de plus en plus fréquents sur Blogger.