lundi 12 janvier 2009

Sarkozy présente ses voeux à l'Education : proposition d'analyse (Partie I).

Enfin, cher lecteur, la tension est tombée dans l’éducation. Le président de la République s’est exprimé aujourd’hui sur l’Éducation nationale, nous adressant ses bons vœux. Tu pourras regarder ce discours en entier ici, si le cœur t’en dit.

Je sais cependant que tu n’en as pas le temps, vu que cela dure plus de 40 mn. Heureusement, en tant que bon privilégié que je suis, et comme j’ai beaucoup de temps libre, puisque je suis un fainéant qui ne fiche rien, je l’ai regardé et vais t’en communiquer la substantifique moelle, en deux parties.

Je dois te dire que j’ai été assez surpris par les réactions des autres blogueurs : tous se concentrent sur la nomination de Martin Hirsch à la tête d’un haut-commissariat à la jeunesse. Quand on analyse le discours, on se rend bien compte que le nouveau haut-commissaire n’a pas de mission bien claire. Pour le créateur du RSA, cette promotion ressemble bien à une mise au placard, et à une mesure visant à calmer les lycéens encore en mouvement.

Pour commencer une analyse un peu plus solide, parlons de la vision de l’éducation du président. Une phrase pour moi résume l’ensemble :
« On va refaire de l’école le lieu, où selon son travail et son mérite, les destins vont pouvoir se dessiner. »
Cette phrase est passionnante en elle-même. Elle s’appuie sur les vieilles valeurs qui ont fondée notre système éducatif à l’époque des lois Ferry. Voulant consolider la République, ces lois visaient à construire un système où tous les citoyens travailleurs pourraient accéder aux plus hautes fonctions de notre société. L’objectif était noble, mais il n’a jamais été réalisé : depuis sa fondation, l’école publique française n’a jamais pu briser la sélection des élites et l’a même entretenue, par le système des classes préparatoires et des grandes écoles. Ainsi, l’école française sélectionne toujours les dirigeants parmi les mêmes 10% de sa population, aujourd’hui comme en 1900.

Pourtant, depuis 40 ans et les lois Haby et Jospin, l’école a connu une réelle ouverture. Aujourd’hui, près de 65% des enfants d’une classe d’âge obtiennent le bac, contre à peine 30% au début des années 1980. L’école a atteint un seuil à la fin des années 1990, permettant une élévation générale des connaissances des citoyens. Cette évolution est un vrai succès, et elle est autant due aux efforts des gamins, aux volontés de progrès social des familles qu’aux évolutions du système.

Pourtant, l’école ne parvient pas à dépasser ces seuils. Ce chiffre de 65% n’évolue plus, on a toujours 100 000 gamins qui sortent de l’école sans diplôme, alors que cette donnée n’avait cessé de diminuer durant la période précédente, et 15% des gamins sortant du primaire ne savent pas lire correctement. Ces seuils, apparus avec la massification, nous posent, à nous enseignants, de véritables problèmes car l’école telle qu’elle est ne peut les surmonter, d’où la nécessité de réformes.

Cependant, le président de la République inverse l’histoire pour nous mettre en place une crise de l’école. Niant le passé du système éducatif, il affirme que l’école arrivait autrefois à permettre aux élèves travailleurs de réussir, ce qui est faux. En suivant ce raisonnement, contrairement à la crise de seuil que nous vivons, le voici qui met en place l’idée d’une dégradation, qui nécessite donc une réforme. D’ailleurs, il cite la période des « 40 dernières années » comme début de cette dégradation, soit l’époque de la massification de l’enseignement secondaire.

De plus, le président semble considérer que l’école est seule responsable de cette dégradation, rejetant toutes les responsabilités extérieures. Une fois de plus, c’est l’idée d’une école hors de la société, hors du monde, mais qui peut, seule, corriger les difficultés extérieures, ce qui ne manque pas de piquant.

A la logique d’une réforme positive visant à améliorer le système, Sarkozy avance l’idée d’une réforme visant à corriger des dysfonctionnements, ce que je trouve politiquement déplorable et dangereux socialement.

Demain, cher lecteur, je te parlerai des propositions du président pour sortir de cette « crise » de l’école.

12 commentaires:

  1. Tu as raison, cette phrase dit beaucoup de choses. C'est drôle, j'aurais, pour ma part, creusé tout de suite la notion de "mérite". Mais je trouve ton développement pertinent et surtout, je te copie colle ici car on ne le dira jamais assez :

    "De plus, le président semble considérer que l’école est seule responsable de cette dégradation, rejetant toutes les responsabilités extérieures."

    Lorsqu'on parle de l'école, c'est toujours comme d'un lieu magique, hors du temps et de la société. Des enfants y entrent et oublient aussi sec la démission parentale, le poids de l'avenir noir qu'on leur dépeint, le lavage de cerveau télévisuel... Un certain nombre d'enfants débarquent à l'école sans être prêts à apprendre mais c'est l'école qui n'est bien sûr pas à la hauteur...

    Bien sûr, pour les enfants paumés ou vraiment pas en état de travailler, c'est de notre faute : on n'est pas nés éducateurs alors qu'on devrait (au lieu de demander des formations onéreuses).

    Je n'arrive pas à reprocher des choses à l'école autant que je peux en reprocher à tout le reste (notre gouvernement, notre démocratie, la télé, les médias les plus en vue, etc.). Je trouve au contraire que l'école est un des derniers lieux où l'on respire un peu, où l'on peut lire, parler d'autres choses que de consommation, apprendre le collectif...

    Mais c'est vrai : les enfants ne savent plus ce qu'est une stère de bois, c'est vraiment affreux... Vite, une réforme ! (pensent les électeurs de notre président)
    Les pauvres n'ont pas besoin de gros moyens éducatifs car il faut bien des chômeurs pour que le système tourne, pense Sarkozy. Vite, des économies sur le dos des élèves de l'école publique !

    J'attends encore qu'on me prouve qu'il y a une politique éducative - même contestable, même réac - qui émane des actuels projets de reforme, au-delà d'une simple rationalisation budgétaire.

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  2. @ MGP : je te rassure, il n'y a rien, mais j'en parlerai demain.

    Par contre, même si l'école est encore un lieu important et où on pense différemment qu'ailleurs dans notre belle société, elle est forcément aussi partie prenante du problème.

    Nous, enseignants, devons aussi balayer devant notre porte. Il est vrai que le gouvernement actuel ne nous en laisse pas vraiment l'opportunité...

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  3. "Je dois te dire que j’ai été assez surpris par les réactions des autres blogueurs : tous se concentrent sur la nomination de Martin Hirsch à la tête d’un haut-commissariat à la jeunesse. "

    Il n'y a pas à être surpris : c'est bien l'information qui fait la une de la presse et qu'il faut critiquer aujourd'hui.

    Par ailleurs, je ne suis peut-être pas le mieux placé pour parler de l'Education Nationale, ayant quitté le système depuis plus de 20 ans et n'ayant pas de gamin.

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  4. @ Nicolas : ce n'était pas vraiment un reproche, juste une surprise. Et c'est vrai que la presse insiste beaucoup sur Hirsch. Maintenant, dans mon billet de ce soir, tu pourras lire que le discours était assez vide.

    Je ne vois pas pourquoi tu ne pourrais pas dire des choses sur l'éducation globalement. Peut-être pas sur les aspects techniques, mais sur les valeurs ?

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  5. Sur les valeurs, je peux ! Mais je ne suis pas prof : je n'ai pas le temps d'écouter les discours de Sarko, je bosse, moi !

    ;-)

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  6. C'est fabuleux tu as mis les mots qu'attendaient mes pensées ... cette phrase lancée comme un slogan de campagne a été pour moi aussi un uppercut en plein visage.

    Mon père prof et moi étant toujours un peu ado, j'ai facilement pris l'habitude de réagir à "vos" mouvements sociaux, critiquant souvent non pas votre manque de cohésion mais plutot votre facheuse habitude a défiler lorsqu'on touche a vos salaires ou à votre statut et constatant votre religieuse absence lors des défilés étudiants.

    Plus tard étant devenu jeune adulte je m'amusais de vous entendre nous expliquer la vie, la citoyenneté, l'économie de marché, les inégalités, le pouvoir d'achat.
    En mon fort interieur je me demandais si vous étiez soumis ou inconscients de proner ainsi, aveuglement, un système qui vous dépasse.

    Et puis adulte confirmé je me suis assagi et j'ai décidé de me dire que l'ecole était comme un réacteur nucléaire, une bonne chose tant qu'on avait pas trouvé mieux.

    Pour ce qui est du discours en son global, je fais partie de cette génération perdue qui assommée sous les coups n'a plus la force ou les moyens de se battre.

    Alors oui lachement, je viens aujourd'hui vers toi le prof d'histoire géo du 93 et petitement je te le demande comme à confesse.

    Continues à me faire croire qu'une contestation est possible, continues à me faire rêver que demain ne sera pas forcément pire et surtout confirme moi qu'aprés le nucléaire il y a mieux.


    Slaine

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  7. Très intéressant, ce billet. Je ne résiste pas au plaisir de te retourner le commentaire que tu m'as formulé sur le juge d'instruction : "tu ne crois quand même pas qu'il faut faire évoluer les choses ?"

    Merci en tout cas pour tes réflexions.

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  8. @ Nicolas : c'est bien pour cela que je travaille pour vous, cher lecteur.

    @ Slaine : merci des compliments, même si je ne suis pas sûr d'être capable de répondre à ton attente.

    @ Rubin : ce n'est pas ce que j'ai fait, là ?

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  9. J'ai bien dit que je ne résistais pas à ce plaisir ;-)

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  10. Pour Sarko, l'Ecole ne sert à rien qu'à faire lire la Princesse de Clèves alors qu'on en a même pas besoin pour se faire de belles nanas et avoir les médias à sa botte, alors hein.

    Je souscris, le billet est très intéressant, ainsi que les commentaires, vivement la suite !

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