vendredi 5 juin 2009

La France doit-elle emmener 50% d’une classe d’âge à la licence ?

Hier soir, lors du pot de Vendredi, Nicolas me reprocha de faire des billets trop longs… Bon, je sais, cher lecteur, qu'il est difficile d'être concis quand on essaie d'exprimer une pensée. Je crains qu'avec ce billet, Nicolas ne soit encore plus énervé, malgré ses conseils que je sais avisés.

En lisant le rapport Descoings, j'ai tiqué sur les pages 20 à 23 qui parlent de la situation actuelle de l'ouverture du lycée et pose la question de savoir si l'on veut que tous les jeunes accèdent au lycée.

Ici, un petit rappel historique s'impose. Dans les années 1960, le lycée est une institution fermée et réservée à une élite. A peine 25% des élèves accèdent au baccalauréat dans les années 1970. Cependant, en parallèle de la réforme Haby du collège, s'est progressivement imposée l'idée que nous devions augmenter l'accès au baccalauréat. Dans la loi Jospin de 1989, l'État s'est fixé l'ambitieux objectif de 80% d'une classe d'âge au bac. Depuis, la loi Fillon a encore accrue le défi en mettant la barre à 50% d'une classe d'âge à BAC+3. Elle répondait aussi aux objectifs de la conférence de Lisbonne de 2000 qui visait à faire de l'Europe une économie de la recherche et de la connaissance.

Or, Descoings a marqué un point : il rappelle une petite évidence historique qui va à l'encontre des habituels discours déclinistes des mal-pensants. Actuellement, 65% des élèves obtiennent le bac. A priori, c'est mieux que dans les années 1970, ce qui n'empêche pas nos déclinologues distingués de parler d'un effondrement du niveau. Or, la part de bacheliers généraux (ES, L, S) n'a pas tant augmenté que cela : aujourd'hui, 35% d'une classe d'âge obtient un bac général, contre 25% dans les années 1970. Par contre, la vraie démocratisation s'est faite par les bacs techniques et professionnels, dont on oublie souvent de parler (pour une fois que Chevènement a un impact positif sur notre histoire, c'est tout de même à noter…). Ces bacs, et particulièrement le bac professionnel, ont permis une véritable élévation de ce qu'on pouvait attendre de ces salariés. Je pense qu'une grande démocratie ne peut que se satisfaire de voir les métiers les moins qualifiés (et valorisés) élever leurs niveaux de qualification.

Cependant, cette structure est un vrai problème pour répondre aux objectifs de la loi Fillon. D'abord, l'Éducation nationale n'est jamais parvenue à briser la vision élitiste des Français. Pour beaucoup, les bacs non-généraux restent des bacs de second rang, où on ne souhaite pas que ses enfants aillent. Les profs entretiennent souvent ce discours par ailleurs. De plus, on constate que les bacheliers techniques et professionnels connaissent un taux d'échec bien plus fort que les bacheliers généraux dans le supérieur, sauf dans les BTS et IUT. L'université est une boucherie pour eux, encore bien plus que pour les bacheliers généraux. Et il est inutile de parler d'un accès aux grandes écoles.

Richard Descoings ne propose rien pour répondre à cette contradiction (quelques mesurettes sans vrai rapport avec la question), et je vais donc l'aider en posant plusieurs hypothèses :

  • Soit on choisit de laisser tomber l'objectif des 50% d'une classe d'âge à la licence, en sachant qu'on renonce ainsi à répondre à une évolution nette de notre économie qui demande de plus en plus de qualifications. Je pense que de nombreux Français considèrent toujours que cette hiérarchie est saine et qu'il vaut mieux la laisser ainsi.
  • Soit on décide de répondre à cet axe, mais dans ce cas, il y a deux solutions possibles :
    • Dans un premier cas, on peut tenter de travailler sur des passerelles entre les bacs techniques et professionnels vers le supérieur. Cela demande des moyens, des personnels, de nouvelles pédagogies, mais aurait l'avantage de valoriser ces filières.
    • Dans un second cas, on décide d'ouvrir un peu plus les bacs généraux, mais il y a le risque que l'on soit obligé d'en baisser le niveau, ce qui ne changerait rien au problème. Dans ce cas, il faut trouver le moyen d'amener bien plus d'élèves au niveau d'un bac général tel qu'il est maintenant. Et là, je peux te dire que cela va demander du travail. Par contre, ce serait un vrai défi passionnant pour nous, et, personnellement, j'admets que la perspective m'excite assez professionnellement.
  • Il faudrait aussi que l'université modifie largement ses méthodes de formation et de pédagogie, mais là, il y a encore bien plus de travail.

Cependant, pour faire tout cela, il faut que les Français tranchent la question suivante : le lycée doit-il rester un système élitiste de sélection (dit républicain, ce dont je doute chaque jour un peu plus) ou doit-il être plus ouvert ? Grosse question que les Français se sont peu posés jusqu'à maintenant.

Tiens, j'aimerai bien avoir l'avis de quelques blogueurs sur ce sujet, mais je ne lance pas une chaîne, donc, ne vous sentez pas obligé de répondre, car je sais que le thème n'est pas simple, mais il recoupe vraiment la vision politique de chacun. Alors, Rubin, le Faucon, Jon, Cycee, Manuel, l'Hérétique (qui nous a taclé, Hypos et moi, assez injustement je trouve), Didier Goux, Hypos et Le Coucou, qu'en pensez-vous ?

Edit : voici les différents billets ayant répondu à cette question :

La question des 50% d'une classe d'âge.

17 commentaires:

  1. J'aurais voulu être des votres hier T___T

    Je suis totalement de ton avis sur le fait qu'il est idiot de vouloir n'avoir que des licenciés (avec, des gens avec Licences). Bêtement, il parait qu'on manque de soudeurs, de plombiers, de peintres...
    J'ai toujours pensé que plutôt que le RMI pour les jeunes sans emploi, pourquoi l'état ne prendrait il pas intégralement pas en charge une formation diplomante ? Mais pour avoir un métier : je n'ai jamais trouvé choquant que "l'école" (primaire, secondaire, tertiaire) forme aussi à un métier plus tard. Forme des citoyens bien sur, mais aussi des travailleurs au final...

    Et dans ce sens là, ce système élitiste qui fabrique des pros en sociologie ou en histoire de l'art indien, mais sans emploi et difficilement employable par l'entreprise qui crée de la richesse et du boulot, arrive peut être en bout de course.

    Plus que 50% d'une classe d'age au niveau d'une licence, ce serait bien qu'on est 100% d'une classe d'age en mesure d'avoir un travail, et d'être "autonome". Et cela peut se faire sans pervertir l'idée première de l'école, celle de construire des futurs citoyens.

    Enfin, un avis comme ça, à compléter sur un billet tiens, bonne idée. Bonne fin de journée à toi

    (et malgré ce que dit l'excellent Nico, des fois plus c'est long plus c'est bon ^^)

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  2. J'ai le droit de faire un billet pour répondre ? Même si suis pas invité ?

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  3. Vu le billet que je viens de pondre... je ne peux rien te critiquer...

    N.B. : Ce n'est pas un reproche. Ni même un conseil. Si, un conseil, mais uniquement de "Wikioteur".

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  4. Salut le privilégié :-)

    Ma réponse est en préparation dans un cadre plus large. Et désolé, je pense que tu fais le jeu de Descoings. A fortiori hypos, mais là, ça ne m'étonne pas de sa part. De la tienne, c'est plus surprenant.
    Pour ma part, j'ai bien l'intention d'allumer Descoings et sa réforme à la noix.
    S'il m'avait invité (pas de risques, tu me diras) ç'aurait été un "non" clair et net. Pas question de cautionner sous une quelconque forme sa pseudo-démarche. Comme c'est un gars qui a bâffré à tous les rateliers du pouvoir, il sait aussi parler aux gens de gauche. Et parce que les gens de gauche ne sont pas clairs non plus, tu tombes dans le panneau de ses beaux discours. Rassure-toi, je développe cela dans mon billet où je te cite ainsi que ton analyse spécifiquement.

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  5. @ Faucon : j'attends donc ton billet avec impatience.

    @ Seb : ben oui, chacun est libre sur la blogosphère.

    @ Nicolas : c'est clair, il est long celui-là !

    @ L'Hérétique : ok, j'attends ton billet. Cependant, je ne me suis pas encore exprimé sur le fond du rapport, que je traîne à lire, et que j'ai régulièrement critiqué la commission par le passé (à voir ici). Pour le personnage, j'admets qu'il ne m'intéresse que moyennement. Ce qui compte pour moi, c'est le débat d'idées, et rien que lui. Pour le déjeuner, c'était une expérience que je ne regrette pas. Je ne suis pas sûr de refaire ce genre de trucs cependant.

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  6. "Je pense que de nombreux Français considèrent toujours que cette hiérarchie est saine et qu'il vaut mieux la laisser ainsi."
    J'imagine bien la tête d'un sondage sur le sujet.
    Pensez-vous qu'il faut conserver une hiérarchie des diplômes ? Oui à 70%
    Pensez-vous que votre enfant aura une licence ? Oui à 80%

    "Dans ce cas, il faut trouver le moyen d'amener bien plus d'élèves au niveau d'un bac général tel qu'il est maintenant"
    Est-ce que cette vision d'un bac "tel qu'il est" n'est pas un leurre ?
    Entre les changements de programme et les consignes de notation, le bac est en évolution permanente.
    Si l'option retenue est d'amener plus d'élèves à un bac général sans le modifier, le premier problème ce n'est pas d'amener les élèves mais de faire en sorte que le bac ne soit pas modifié.

    Après, sur l'éventuelle excitation professionnelle, je serais curieux de connaitre la marge de manoeuvre qu'un prof peut avoir en 3 ans de lycée face à un élève qui a déjà au moins une douzaine d'années de système éducatif derrière lui.
    Le problème du lycée est qu'il y a des fondamentaux que les jeunes de 15 ou 16 ans ne rattrapent que difficilement.

    Bon... Je vais finir par m'auto-inviter pour faire une réponse complète...

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  7. @ Oaz : mais invite-toi. Comme je le disais à Seb, mes liens n'ont rien de contraignant.

    Sur le sondage, je modifierai ta seconde question en disant plutôt "espérez-vous que votre enfant aura une licence ?"

    Certes, le bac change régulièrement, mais depuis 8 ans que je l'évalue, je n'ai pas eu le sentiment que ses fondamentaux en étaient modifiés.

    Sur ton dernier paragraphe, je veux bien, mais on a toujours ce discours en lycée : "mais qu'est-ce qu'ils ont fichu au collège ?" Et au collège "mais qu'est-ce qu'ils ont fichu en primaire ?" Et en élémentaire "mais qu'est-ce qu'ils ont fichu en maternelle ?" Et en maternelle "mais qu'est-ce que fichent les parents ?"

    On pourrait, à un moment, se dire qu'on a aussi un petit impact, même mineur...

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  8. Je me souviens qu'en collège, on se moquait des classes de transition, ces lieux réservés aux mauvais élèves, incapables de comprendre toute la subtilité d'un raisonnement euclidien ou la finesse d'analyse d'un Zola sur la classe ouvrière.
    Aujourd'hui, je galère avec des salaires de misère à bac+2 et les gars qui ont été alors condamnés au CAP puis au BEP roulent en Mercedes le week end. Ils ont leur garage automobile ou leur entreprise de plomberie et croulent sous les commandes…
    :-))

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  9. @ M. Poireau : les classes de transition n'existent plus.

    Cependant, tu as raison sur une partie de l'analyse seulement. Toutes les classes techniques ne mènent pas à des salaires mirobolants non plus...

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  10. Mathieu L. : bien sûr ! Je ne sais si une étude a été faite sur du long terme à propos d'une classe d'âge complète. Ce serait sociologiquement intéressant !
    :-))

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  11. @ M. Poireau : je n'en sais rien. Je vais regarder si je trouve quelque chose.

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  12. Un petit retrolien manuel : http://barrejadis.azeau.com/post/2009/06/13/Si-on-apprend-tous-la-m%C3%AAme-chose%2C-c-est-qu-on-n-apprend-plus-rien

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  13. Et voilà mon avis, et je te préviens, une deuxième volée de bois vert :-)
    (cliquer sur le lien en signature)

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  14. @ L'Hérétique : où était la première ?

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  15. Bonjour,

    Statistiquement, plus le niveau de diplôme est élevé plus la chance de trouver un travail est importante et plus la chance de le garder en situation de crise l'est. (voir les nombreuses analyses du CEREQ). Concernant certaines personnes qui ont des salaires élevés avec peu de qualification, ils ne sont pas la majorité mais heureusement que parfois le salaire n'est pas corrélé avec le nombre d'étude. Et, puis aussi, pour être complet, il faudrait comparer le taux horaires car une personne qui fait 80 h par semaine, il est normal qu'il soit payé plus que le smic, sinon, on se rapproche un peu de l'esclavage ou des salaires de nos amis asiatiques..

    Ensuite, pour réagir sur l'article, c'est essentiellement les bacs professionnels qui ont contribué à l'augmentation de la classe d'âge au bac. Actuellement près de 25% de nos jeunes le possèdent. Mais, même si le bac pro est avant tout professionnel, il permet maintenant une poursuite d'étude pour les élèves qui ont su se réconcilier avec les savoirs. Cependant, les BTS sont les sections où ils pourront réussir. Pour info (étude du CEREQ de 2011), sur 20% des élèves de Bac pro qui rentraient en BTS seuls 40% réussissait, à savoir que les 20% correspondaient en fait à des mention B ou TB. La question à se poser est aussi celle de savoir comment le système éducatif va se transformer pour permettre à ces jeunes de réussir. Je pense notamment non pas à la baisse du niveau mais bien à une pédagogie différente.
    Et, je finirai par cette remarque. Il y a quelques années, en voiture, j'écoutais le 7-9 de France Inter. Le thème de la matinale était l'école. Sur les 7h45, avant une chronique, il mis à l'antenne, une interview d'un ministre en 68, Debré il me semble qui dévalorisait les bacheliers de l'époque, selon l'argument que le bac de la fin des années 60 ne valait rien...
    R.B.

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    1. @R.B. : merci de ces éléments, même s'ils ne me semblent pas en contradiction avec l'article.

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