mardi 4 novembre 2008

Faut-il toujours tout préserver ? L'exemple de l'abbaye de Cluny.

Je dois te dire, cher lecteur, que je suis ce soir en pleine attente du résultat de l'élection américaine. Certes, la blogosphère a d'ores et déjà annoncé la victoire du candidat démocrate, malgré l'agacement de certains blogueurs. Heureusement, McCain a reçu le soutien inespéré de Ivan Rioufol, ce qui devrait à l'évidence faire pencher la balance...

En attendant le résultat de cette élection primordiale, je vais un peu me projeter en arrière dans le temps, et te parler de mes vacances, puisqu'en tant que privilégié, j'en ai pléthore...

Comme je te l'avais indiqué, cher lecteur, je me suis rendu pour la première fois dans l'une des deux régions d'origine de ma conjointe. Elle est originaire de Saône-et-Loire, et nous avons eu le temps de visiter quelques endroits intéressants, malgré les trombes d'eau qui nous sont tombées dessus.


Parmi ceux-ci, je voudrai te parler aujourd'hui de l'abbaye de Cluny. Je ne suis pas sûr que la plupart des Français ait connaissance de ce lieu. Aujourd'hui, Cluny est une petite ville de 4 800 habitants, située dans un triangle entre Montceau-les Mines, Chalon-sur-Saône et Lyon. La ville est certes assez jolie, et vaut le détour en elle-même, mais rien ne justifie l'important afflux de touristes à première vue. Pourtant, au loin, un clocher et une tourelle se dressent. C'est pour ce petit bâtiment que se déplace des milliers de touristes chaque année.

Cet ensemble est tout ce qui reste de l'abbaye de Cluny. Au milieu du Moyen-Âge, cette abbaye rayonne à travers l'ensemble de l'Europe par sa culture, l'ensemble de ses domaines et l'influence de ses théologiens. Les moines ordonnent la construction d'une église qui devient la plus grande de la chrétienté, jusqu'à la construction de Saint-Pierre de Rome. A partir du XIVe siècle, l'ordre décline complètement, mais l'église subsiste, et elle est même rénovée au XVIIIe siècle. Mais, en 1791, les moines sont chassés, et, à partir de 1798, l'ensemble est vendu comme bien national et commence à être démoli. Progressivement, l'ensemble de l'église est démantelé, jusqu'en 1823 où l'on se rend compte qu'il ne reste plus grand-chose.


Aujourd'hui, à part la partie sud du chœur, il ne reste absolument rien de l'édifice. La route traverse même l'ouest du transept. La visite de la structure que tu peux voir ici prend globalement 5 mn. Or, les touristes se passionnent toujours pour ce lieu, et viennent.

Les autorités ont donc dû réagir pour contenter le touriste français ou étranger qui rêve de dépenser ses euros dans cette petite partie de la Bourgogne. Alors, on a mis en place un musée dans l'ancien palais de l'abbé, on a réalisé un film en 3D pour reproduire la grandeur de l'église, et on fait visiter au touriste les constructions qui ont été faites avec les pierres de l'église.

Cet ensemble d'attractions me pose de vraies questions politiques, car les autorités sont derrière tout cela. Certes, les bénéfices du tourisme sont primordiaux pour une région comme la Bourgogne, peu habitée et où les entreprises ont du mal à rebondir. Cependant, elles insistent beaucoup, durant l'ensemble de la visite, sur un sentiment nostalgique très discutable. En effet, derrière la destruction du bâtiment se cache la Révolution française et tous les troubles de l'époque autour de la religion. A Cluny, on est triste que les révolutionnaires aient permis la démolition d'un édifice qui aurait, aujourd'hui, ramené beaucoup d'euros à la région. Je crains que la dimension religieuse du problème soit lointaine...

Pourtant, en tant que professeur d'histoire-géographie, je peux te dire, cher lecteur, qu'on n'était pas aussi accroché qu'aujourd'hui aux traces du passé avant le début du XIXe siècle. En 1789, une abbaye comme Cluny est surtout la trace du pouvoir de l'Église, et démolir l'église est une manière d'en finir avec lui. Dans de nombreuses églises de l'époque, on dégrade, on mutile les statues, on gratte les peintures. C'est un épisode historique important de notre histoire. La disparition de Cluny est un symbole de cette période.

Aujourd'hui, nous sommes attachés à un passé révolu, et nous visitons souvent les vieilles pierres et les monuments. C'est notre tendance de société. Les autorités de notre pays encouragent ces mouvements car elles en tirent des bénéfices. Maintenant, si cela entraîne la glorification d'un temps ancien et un noircissement de la Révolution, qui a déjà bien des casseroles à se traîner, la méthode est discutable. On aurait pu aussi s'intéresser aux causes de la destruction d'un si formidable bâtiment, mais rien de tout cela : la Révolution est lointaine et négative, un torrent qui détruit le beau sans rien construire de mieux...

Il serait quand même une bonne chose que notre société apprenne à faire le deuil de son passé. Allez voir Cluny, cher lecteur, c'est beau, et contempler ce bras de l'ancienne église permet de se rendre compte de ce que fut ce lieu. Mais ne tombez pas dans la nostalgie du temps ancien. L'histoire s'est déroulée, c'est ainsi, et il faut l'accepter. La route passe maintenant au milieu de l'église, beau symbole du temps et de l'évolution de l'histoire de notre pays.

P.S. : photographies réalisées par la conjointe de l'auteur, tous droits réservés.

8 commentaires:

  1. Il n'y a pas que des motifs économiques derrière ce légitime regret, mais aussi religieux pour beaucoup de catholiques, et culturels pour des passionnés d'histoire, dont je fais partie.

    Je ne pense pas non plus qu'il faille blâmer la Révolution que je continue, tel Clemenceau, à considérer comme un « bloc », mais plutôt regretter la vénalité de l'acheteur du bien national, qui a décidé de faire de Cluny une carrière de pierres. Quel que fût la considération pour les bâtiments en pierre à l'époque, on peut à bon droit, et sans complexe, regretter, a posteriori, la destruction d'un tel édifice. Comme on peut déplorer celle de la Bastille à la même époque, où l'incendie des Tuileries au siècle suivant. Car on n'est alors plus dans l'histoire mais bien dans la mémoire...

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  2. Erratum : « Quelle que fût » et non « Quel que fût »

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  3. @ Criticus : je ne doute pas du tout des regrets des catholiques. J'évoquais ici la position des autorités, qui sont dans des aspects plus matériels. Je me demandais juste quelle était le rôle politique des édiles locaux et nationaux dans ce type d'endroits.

    On est bien dans la mémoire ici, invention récente, mais l'histoire est là, bien réelle aussi...

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  4. Bonsoir Mathieu
    Je ne pense pas que la plupart des gens aient une vision négative de la Révolution Française. C'est un évènement fondateur et extrèmement symbolique, mais justement : beaucoup n'ont que ces images en tête. On oublie souvent qu'avec tout le positif de cette Révolution sacralisée, il y a aussi eu des choses moins glorieuses...

    Je ne vois pas ce qu'il y a de mal à regretter que des morceaux de notre patrimoine aient disparus. Cela ne remet pas en cause la Révolution.
    Tu as raison de dire que la dimension religieuse est loin : ce n'est plus de cela qu'il s'agit, mais d'art, de culture, d'architecture. C'est un fait que nombre d'oeuvres de l'époque ont été initiées ou inspirées par l'Eglise. Mais ce que l'on regrette c'est la destruction d'un patrimoine culturel, pas religieux.

    De la même manière, on peut exprimer ses regrets que de nombreux bâtiments admirables aient été détruits, en France et en Allemagne, par les bombardements Alliés... Ce n'est pas une condamnation de ceux-ci.

    Et accessoirement, mais ce n'est peut-être que moi qui trouve cela important, cela rappelle qu'une révolution ce n'est pas tout le monde il est beau tout le monde il est gentil. Qu'elle soit utile ou non, indispensable ou non, cela a un coût et des conséquences.

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  5. Elyas : tu es mûr pour ton blog ! ;-)

    Mathieu : l'histoire est présente, oui. Il faut d'ailleurs faire un effort de lecture pour imaginer que ce qui n'est plus qu'une ruine rayonnait alors sur toute l'Europe...

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  6. @ Criticus et Elyas : je crois qu'il faut que je refasse mon billet parce que je crois que je ne suis pas clair.

    Je comprends tout à fait qu'on regrette de ne plus voir l'abbaye. Moi-même, en y étant, je me suis bien dit que j'aurai bien aimé la contempler dans sa splendeur.

    Ce qui me gène, c'est le discours construit autour du monument par la visite. Par exemple, dans la bibliothèque, on dénonce, même si c'est de manière indirecte, la Révolution qui a vendu la plus grande partie du fond, et qui a emmené le reste à Paris.

    En tant qu'historien, j'aurai aimé comprendre cet épisode de la démolition, et pas seulement regretter que les révolutionnaires aient fait le choix de vendre.

    J'espère avoir bien clarifié les choses.

    Merci pour vos longs commentaires.

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  7. Oui, je pense voir : que les regrets concernant cette destruction n'empêchent pas de re-situer celle-ci dans son contexte historique. Là, n'ayant pas vu la visite, je ne peux pas savoir si la présentation était partiale/incomplète ou pas... Je te fais confiance !

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  8. @ Elyas : oh, là, non, ne me fais pas confiance. Je te conseille plutôt de visiter Cluny, cela vaut le déplacement.

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Laissez-moi vos doléances, et je verrai.

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