mardi 11 novembre 2008

Tiens, les historiens sont encore mêlés à des questions politiques : la commission Kaspi.

Tu as peut-être entendu, cher lecteur, qu'un rapport va être remis mercredi au président de la République par André Kaspi, concernant les commémorations nationales. Actuellement, douze cérémonies nationales se déroulent et couvrent des thèmes divers (abolition de l'esclavage, déportation des juifs, fin des guerres mondiales...) mais seulement trois sont fériées : le 11 novembre, le 8 mai et le 14 juillet. Le rapport, apparemment, préconise qu'on ne maintienne que trois cérémonies nationales (les trois précédemment citées) et de faire des cérémonies de moins grande ampleur pour les autres.

Bizarrement, c'est à des historiens qu'on demande de se positionner pour dire ce qu'ils en pensent. Ce matin, sur France Inter, Pierre Nora a d'ailleurs sorti une énormité, disant qu'à part ces trois cérémonies, les autres concernent plutôt des portions de la communauté nationale. J'étais révolté : dire que la fin de la guerre d'Algérie, l'abolition de l'esclavage ou le Vel. d'hiv. sont des événements qui ne concernent que les groupes qui les ont directement vécus relève du grand n'importe quoi ! En fait, ce matin, les historiens entendus sur les différentes radios avaient une lourde tendance à dire des bêtises.

La raison en est simple : cette question ne concerne pas les historiens. Ceux-ci travaillent sur des sources et se posent des problématiques, ce qui leur permet d'analyser des faits historiques et de les mettre en perspective. Évidemment, les questions que se posent les historiens sont marquées par leur temps, mais cela ne signifie pas qu'elles ne soient pas justifiées. En ce 11 novembre, le retour de la première guerre mondiale dans l'actualité des recherches historiques en est la preuve.

Les commémorations s'appuient sur la mémoire, ce qui est très différent, car on est là dans le subjectif. La mémoire est d'abord nationale, et est entretenu par l'État, mais elle appartient aussi à des groupes, des entreprises, des organisations, des individus. Il est souvent difficile à l'historien de dégager les faits de la mémoire des acteurs, forcément déformée par le temps, les actes des inconscients individuels et collectifs, les améliorations à la réalité apportées par les acteurs... Finalement, c'est au pouvoir politique de se positionner, de consulter les citoyens et de savoir si ces cérémonies ont un sens et quelles sont celles qui restent primordiales.

D'ailleurs, André Kaspi a, d'une certaine façon, botté en touche. En sélectionnant les trois cérémonies qui ne posent pas de vrais débats importants entre les différents courants politiques français, il a tout simplement dit : "le président me demande de faire des choix, je vais prendre le plus simple et éviter de faire des vagues." Je le comprends complètement, et à sa place, si j'avais été nommé en tant qu'historien à la tête de cette commission, j'aurais fait pareil. Maintenant, c'est aux hommes politiques de faire des choix. J'aimerais bien qu'ils aient un peu de courage politique.

Par contre, je dois te dire que je regrette que les historiens se mêlent de ces débats. Nous passons notre temps à demander que les politiques ne prennent pas possession des recherches historiques pour faire des lois mémorielles, et voilà que les meilleurs d'entre nous se collent à ce type d'exercice. Les historiens restent-ils crédibles par ce type de comportement ?

4 commentaires:

  1. Je suis d'accord, il ne faut pas confondre histoire et mémoire. La première est entre les mains des historiens, alors que la seconde est avant tout l'affaire de tous, les élites politiques et médiatiques en premier lieu.

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  2. @ Titophe : merci de ton soutien. Il y a encore un vrai travail à faire là-dessus pour que la sphère médiatique arrête de raconter n'importe quoi.

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  3. J'ai d'ailleurs cru comprendre que ce mélange des genres était particulièrement accentué en France, par rapport aux autres pays européens par exemple ?

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  4. @ Pat : la République a une vieille tendance à l'intervention dans l'histoire. A quoi penses-tu exactement ?

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Laissez-moi vos doléances, et je verrai.

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