lundi 13 avril 2009

Pour répondre à la question turque, répondons à la question du sens de la construction européenne.

Suite à mon dernier billet sur la Turquie, quelques commentaires m'ont amené à réfléchir un peu sur ce terme d'Europe qu'on emploie pour qualifier l'Union Européenne. En effet, tout l'argumentaire de refus de la Turquie s'appuie sur l'absence d'européanité de la Turquie.

La fondation de la Communauté Économique Européenne (CEE) répondait à un contexte tout à fait particulier. Il s'agissait de redonner aux pays d'Europe de l'Ouest une place dans un monde où ils n'existaient plus en tant que grandes puissances individuelles. N'ayant pu parvenir à s'entendre sur les projets politiques, avec l'échec cuisant de la Communauté Européenne de Défense en 1954, les dirigeants de l'époque ont lancé un projet appuyé sur la croissance économique, le libre-échange, le développement nucléaire (EURATOM) et ils ont développé un pilier fort : la Politique Agricole Commune, qui a permis à la CEE de redevenir autosuffisante au plan alimentaire. Ce choix représentait un pis-aller, devant les divisions des différents dirigeants de l'époque sur les objectifs à donner à cette communauté. Progressivement, la CEE a grossi, passant de 6 en 1957 à 12 en 1986, et a étendu ses domaines d'intervention économique. Tant qu'on en était là, les choses ne posaient finalement pas tant de problème. Certes, les fondateurs voyaient dans la CEE une version particulière de l'Europe : n'oublions pas que le drapeau, originellement celui du Conseil de l'Europe, représente aussi une symbolique religieuse, puisque le bleu rappelle la vierge Marie, mais on est resté finalement assez flou là-dessus. Le général de Gaulle pèse dès 1958, mettant en avant son Europe des peuples.

Le projet européen a profondément basculé avec la disparition du bloc de l'Est et les transformations de l'Europe du début des années 1990. Les négociations de Maastricht étendent largement les pouvoirs de la CEE, qui devient Union Européenne (UE), inventent l'idée de citoyenneté européenne, mettent en place le concept de monnaie unique, institutionnalise le principe de subsidiarité… En clair, on change de système et on essaie de faire avancer le projet politique de construction d'un grand espace politique démocratique européen. Cependant, je crains que ce changement n'ait pas été vraiment perçu par le peuple. La construction d'une Europe politique imposait que nous puissions, nous, citoyens lambdas, nous approprier ce projet et essayer de l'investir pour en faire quelque chose qui nous permettent de rêver à un avenir meilleur. A l'évidence, cela n'est pas réalisé aujourd'hui, et la démarche de nos dirigeants a été invalidée par les échecs successifs aux référendums français et néerlandais en 2005, et irlandais en 2008.

Quand on construit un tel espace politique, il est bien évident qu'on doit se poser une question fondamentale : avec qui ? Après tout, il serait assez cohérent que nous puissions dire avec quels pays nous estimons devoir nous associer. Jusqu'à ce jour, à part les Irlandais qui le font constitutionnellement à chaque fois, les dirigeants ont géré leur tambouille et ont intégré les pays qui les intéressaient, augmentant considérablement le nombre de membres (en 2014, nous serons 28 avec l'entrée de la Croatie). On ne s'est pas posé la question de savoir ce que les populations pensaient de ces intégrations. Nous sentons-nous proches d'un Finlandais, d'un Espagnol, d'un Tchèque ou d'un Slovène ? Jusqu'à maintenant, on a laissé cela de côté mais l'éventualité de l'entrée de la Turquie repose le problème.

Pour répondre à ce problème, il faut se demander ce qu'est l'UE en elle-même. Si on estime qu'il s'agit d'une association regroupant des pays de culture commune, il faut se poser la question de ce qu'est la culture européenne. Répondre à cette question est d'une complexité extrême, et je ne vois pas bien comment y répondre simplement. Les géographes écrivent des kilos de pages là-dessus et s'écharpent régulièrement là-dessus.

Il y a une manière très simple de contrer ces questions. Pour moi, on pourrait tout simplement se dire que le projet politique de l'UE vise à construire un espace démocratique, qui exprime une culture commune par la reconnaissance de la démocratie, des droits de l'homme, de la laïcité et du développement accessible à tous. Cette vision à l'avantage, en plus, de laisser les peuples, lors des élections, définir quel sens ils souhaitent donner à cette construction : libre-échangiste ou protectionniste, libérale ou dirigée, capitaliste ou socialiste, ouverte aux migrations ou fermée. Dans ce cadre, tout pays qui serait une véritable démocratie pourrait très bien intégrer à terme l'organisation qui ne serait plus connectée à la question culturelle. Pour pouvoir faire cela, il suffirait de le demander, une bonne fois pour toute, aux peuples déjà membres de l'Union. Si nos concitoyens estiment que cette garantie ne suffit pas, nous en rediscuterons. Ainsi, la question de la Turquie se pose différemment. Les Turcs souhaitent réellement entrer dans l'UE. Ils font des efforts pour cela. Si on se limite à la définition politique du problème, on peut clairement fixer des conditions aux Turcs qui sont claires et qui évitent le rejet culturel.

Dans les commentaires de ce billet, le Chafouin me disait qu'on pourrait, dans ce cas, intégrer le Canada et le Mexique. J'estime que cela pourrait être possible. Cependant, la question ne se pose pas puisque ces deux pays, jusqu'à preuve du contraire, ne souhaitent pas entrer dans l'UE. De plus, l'état de la démocratie mexicaine risquerait bien d'entraîner un rejet d'une candidature de ce pays.

C'est le cas de la Turquie, et nous ne pouvons pas ignorer ce désir, exprimé par tout un peuple, qui sait qu'il a tout à y gagner. Le jour où la démocratie turque sera solide, il n'y aura plus de raison de refuser cette entrée.

7 commentaires:

  1. J'aime ta façon d'aborder le problème. Tu as raison aussi de demander en quoi nous nous sentons proches d'un pays comme la Finlande qui, culturellement, nous est bien plus éloigné qu'un pays comme la Turquie.

    Nous pourrions aussi nous demander si certains pays de L'UE, déjà intégré, ont une vraie volonté de faire avancer cette grande idée qu'est; selon moi, l'Europe. Le Royaume Uni ou la Pologne sont à mon sens déjà les grands alliés objectifs des Etats-Unis au sein de l'Union. J'ai peut-être la naïveté de penser la Turquie bien plus désireuse de faire avancer cette cause.

    Tu as on ne peut plus raison de dire que l'idée européenne, étant une idée, ne peut pas être limité par des contingences aussi idiotes que la géographie stricto sensu.

    Cela dit, je ne vois pas bien le rapport entre le Mexique, le Canada et la Turquie.

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  2. « Le jour où la démocratie turque sera solide, il n'y aura plus de raison de refuser cette entrée.»

    Si, justement, il y en aura encore. Dites que vous considérez ces raisons comme non-pertinentes, c'est votre droit le plus strict (et c'est du reste l'opinion qui prévaudra in fine), mais ne dites pas qu'elles n'existent pas.

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  3. @ Dorham : les noms de ces pays répondent au Chafouin. Rien de plus. Merci pour le reste.

    @ Didier : je sais pertinemment que d'autres pensent différemment, et si j'affirme cette sentence ici, elle est le reflet de mon opinion.

    Dire que c'est ce qui se passera au final me semble une conclusion bien rapide. Comme je l'ai déjà dit, je ne ferai pas de divination.

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  4. Je reste persuadé que la Turquie entrera dans l'Europe, malgré que j'en aie. Parce que c'est malheureusement la pente actuelle de la dite Europe. A moins que ce pays ne devienne trop visiblement islamiste, et encore...

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  5. @ Didier : on parie une tournée ?

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  6. Il faudrait aussi remmettre l'iadhésion de la T dans la perspective du temps : la question n'est pas de savoir si la T peut ou pas faire partie de l'UE aujourd'hui mais si on peut ou pas poursuivre le processus qui comprend un certain nombre de porte. La réponse du président confisque cette vision à long terme (15 ans) et traite un problème dans le sens immédiat du poil des électeurs.
    Qui saurait faire fait le pari de l'état de la Turquie dans 15 ans. Comment étaient la Grèce en 75, le Portugal ? l'Espagne ?

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  7. @ Stéphane : c'est bien pour cela qu'il faut plutôt poser des conditions, et laisser du temps aux Turcs.

    Le président ne sera plus là à ce moment-là, et il surfe sur les craintes de nos concitoyens. C'est bien dommage...

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