mercredi 10 juin 2009

Le voile à l’école : récit de cette époque (partie 1).

Le président Obama a relancé la polémique autour du voile islamique. J'avais déjà testé ce sujet-là, sans vraiment le vouloir, avec ce billet, qui ne parlait pourtant pas de cela, et les commentaires qui s'en étaient suivis, avec de nombreux billets derrière qui avaient causé une belle pagaille chez les libéraux. Ce qui est discuté aujourd'hui est la loi de 2004 sur la laïcité et l'interdiction des signes religieux ostentatoires dans les établissements scolaires.

Lorsque j'ai débuté dans l'enseignement, j'ai eu l'occasion de parcourir des établissements où se trouvaient des jeunes filles voilées. En effet, au début des années 1990, lorsque les premières affaires de voiles avaient eu lieu, le ministre de l'époque, Lionel Jospin, s'était bien gardé de faire quoi que ce soit, laissant les établissements se débrouiller. Ceux-ci réagirent souvent en interdisant les symboles religieux, du fait du sentiment laïc fort chez les enseignants. Or, le conseil d'État cassa tous les règlements intérieurs interdisant les voiles, et ce dès 1989. Globalement, les établissements se soumirent à cette jurisprudence, mais il y eu régulièrement des affaires de voiles islamiques.

Personnellement, j'ai pu suivre, à l'époque, les débats qui se produisaient dans ces bahuts. Les arguments étaient de plusieurs ordres :

  • Les enseignants qui soutenaient les jeunes filles se basaient sur le principe de liberté de religion sous-tendue par les articles 10 et 11 de la déclaration des droits de l'homme et du citoyen. Pour eux, l'école ne pouvait se permettre d'appliquer aussi strictement aux élèves ce qu'elle appliquait aux fonctionnaires, soumis à la laïcité la plus absolue. Il y avait plusieurs types d'arguments :
    • Certains, très libéraux, considéraient que l'interdiction du voile était une entorse à la liberté de chacun, et qu'elle faisait, en plus, le jeu des militants qui pourraient ainsi se considérer comme victimes.
    • D'autres pensaient que l'on pouvait convaincre ces jeunes, par la raison, de se dévoiler, en cassant la religion par le savoir et la raison.
    • Enfin, certains s'inquiétaient de l'avenir de ces jeunes filles qui risquaient de se retrouver dans une école coranique ou renvoyées dans le pays d'origine, alors qu'au moins, on les avait, même avec des voiles, dans l'école républicaine.
  • Les opposants se répartissaient en trois camps :
    • Souvent, des enseignantes femmes parlaient de la condition des femmes et du fait que l'école devait participer, de manière militante, à l'émancipation de ces jeunes filles, soumises à une autorité familiale terrible. J'admets, même si cela va énerver les féministes, que les hommes se souciaient moins de ces arguments-là, et que le machisme ressortait vite dans les AG.
    • D'autres, femmes et hommes, s'appuyaient plutôt sur les perturbations que provoquaient ces jeunes filles dans l'établissement du fait de l'affichage de leur foi, et de la remise en cause permanente que produisait la religion au savoir rationnel dispensé par l'école.
    • Enfin, il y avait les laïcards les plus militants, qui voulaient combattre les religions où qu'elles soient. Ceux-là étaient finalement assez peu nombreux.

Ces perturbations étaient-elles réelles ? Personnellement, je n'ai jamais eu la malchance d'avoir dans mes cours une jeune femme voilée. Je sais cependant que ces jeunes filles essayaient d'échapper aux cours de sport, se mettaient en retrait dans les cours de SVT et de physique-chimie, du fait de la présence du bec bunsen, celui-ci risquant d'enflammer les foulards. De plus, dans un établissement où j'ai travaillé, une élève a essayé d'accuser un professeur de l'avoir mal noté parce qu'elle était voilée, jouant sur l'idée de discrimination. Les accusations ont existé dans l'autre sens aussi, insinuant que les filles voilées faisaient exprès de se voiler pour travailler moins. Certains profs un peu xénophobes en rajoutant… Sur ce point, la paix civile n'était pas vraiment assurée…

D'ailleurs, les vrais problèmes surgissaient plutôt entre enseignants militants et élèves voilées. Personnellement (heureusement, je n'ai jamais eu directement le cas), j'avais considéré que je refuserais une fille voilée se présentant à ma porte, en sachant que je me mettais en opposition avec les arrêts du Conseil d'État. Certains collègues le faisaient, provoquant la venue des parents et des discussions très longues avec l'établissement. Parfois, la famille transigeait et finissait par accepter le compromis, avec des discours d'ailleurs variés : certains parents étaient compréhensifs et d'autres très militants. Dans certains cas, les jeunes filles elles-mêmes s'opposaient frontalement à leurs propres parents leur demandant d'ôter le foulard. D'autres familles le refusaient et menaçaient de saisir le tribunal administratif, sachant qu'ils gagneraient sans doute vue la jurisprudence. Dans ce cas, les proviseurs obligeaient les collègues à céder, ne voulant pas donner une nouvelle belle victoire aux islamistes profitant de ces affaires.

Régulièrement, des AG se tenaient dans les établissements suite à ce type de pressions. Je n'ai jamais connu de grèves déclenchées suite à cela, mais je sais qu'il y en eu, comme à au lycée de Tremblay-en-France en 2002. En tout cas, cela pourrissait les salles des profs de manière terrible, montrant les clivages qui pouvaient exister entre nous, et les débats tournaient aux conflits politiques, ou aux conflits féministes-autres, sans que l'on n'aboutisse à rien.

En fait, on trouva une solution, toute bête en elle-même : on interdit dans les règlements intérieurs tous les couvre-chefs. Cela existait avant, mais simplement implicitement du fait de la courtoisie. Or, en l'inscrivant ainsi, on visait clairement les voiles mais on évitait le risque de l'arrêt du Conseil d'État, d'autant plus que les gamines doivent signer le règlement dès le début de l'année. En clair, on essayait, avec grande difficulté, de s'assurer la paix dans nos établissements et dans nos classes.

Et puis, vint la loi en 2004, mais je vous raconterai cela dans un prochain épisode…

13 commentaires:

  1. Le voile n'apporte qu'une chose, partout, d'une manière où d'une autre: la discorde, la division, en un mot: la zizanie.

    RépondreSupprimer
  2. Excellente synthèse de tout ce que j'ai pu suivre à cette époque,étant d'une famille d'enseignants sans être enseignante moi-même.
    Ma position, c'est que le voile est un symbole de soumission de la femme à l'homme : je me cache pour ne pas être une tentatrice pour ces malheureux hommes, si faibles, les pauvres !!!
    Mais c'est vrai que le risque (éventuel) de renvoyer à une école coranique,s'il n'est pas vraiment actuel,existe quand même bel et bien...

    RépondreSupprimer
  3. @ Floréal : soit, mais j'aime bien les affirmations argumentées quand même...

    @ Estelle92 : merci ! Oui, ce furent des composantes des débats de l'époque.

    RépondreSupprimer
  4. Des arguments? Mais vous les donnez-vous meme, il ne reste qu'à faire le constat, qui est d'ailleurs le meme dans tous les domaines.

    RépondreSupprimer
  5. @ Floréal : ok, je n'avais pas compris le sens du commentaire.

    RépondreSupprimer
  6. Bonjour Mathieu

    Billet très intéressant sur ce sujet sensible (encore qu'un peu trop médiatisé à mon goût, par rapport à d'autres sujets d'éducation qui le mériteraient). Il me semble que l'interdiction des couvre-chefs est (était) effectivement la solution la plus simple tant du point de vue de l'apprentissage du respect que de celui du bon sens.

    J'attends la suite avec intérêt.

    RépondreSupprimer
  7. @ Evan : merci. Je pense faire la suite ce week-end.

    Tu as raison sur les priorités. Cependant, je ne faisais que réagir aux polémiques autour de Barack...

    RépondreSupprimer
  8. Oui : très intéressant, j'attends aussi la suite avec impatience...!
    à bientôt

    RépondreSupprimer
  9. Matthieu : pour les arguments tu peux en trouver dans le billet que j'ai fait sur le sujet ( je n'arrive pas à coller le lien !?)

    Sur ce sujet il ne faut pas oublier le symbole que constitue le voile...

    RépondreSupprimer
  10. @ Polluxe : ces questions-là sont pour mon deuxième billet.

    RépondreSupprimer
  11. J'attends de voir alors ;-)

    Sinon pourquoi on n'arrive pas à coller des liens dans les commentaires ?

    RépondreSupprimer
  12. @ Polluxe : ça vient.

    Pour les liens, il faut utiliser le langage html, et normalement, cela marche.

    RépondreSupprimer

Laissez-moi vos doléances, et je verrai.

La modération des commentaires est activée 14 jours après la publication du billet, pour éviter les SPAM de plus en plus fréquents sur Blogger.