mardi 27 avril 2010

Dimanche soir sur Arte : "La Chute", d'Oliver Hirschbiegel.

Dimanche soir, alors que la Privilégiée était sortie et que j'étais seul chez moi, je me suis demandé quoi faire. Après avoir achevé quelques tâches ménagères en souffrance (il y avait une petite vaisselle qui traînait dans l'évier), je me suis attaqué, très consciencieusement, à un zapping télévisé, délaissant pour une fois la blogosphère.

Après avoir traîné sur M6 et le toujours amusant "Capital", j'ai fait l'erreur de faire l'enseignant et d'aller voir ce qui se tramait sur Arte. Et là, j'ai pris en cours "La Chute", le film d'Oliver Hirschbiegel, arrivé sur les écrans en 2004. Je suis, sur la question des films historiques qui font l'actualité, toujours ambigu. En général, je ne vais pas les voir au cinéma, alors que mon métier m'y obligerait, rien que pour pouvoir répondre aux éventuelles interrogations des élèves. Je sais, c'est mal, mais j'ai un mal fou à me mettre dans les comportements des masses et de m'obliger à voir une œuvre à un moment où je n'en ai pas le désir. En plus, un film sur les derniers jours d'Hitler n'était pas fait pour m'exciter particulièrement : il y a des sujets plus passionnants dans l'histoire que celui-là.

Là, j'ai décidé de m'accrocher. Le film avait débuté depuis une vingtaine de minutes, et j'ai dû le prendre en cours. Le réalisateur a volontairement mis un effet dramatique dans le film, visant à accrocher le spectateur. Nous montrant l'humanité d'Hitler, le film ne cherche pas à le montrer comme faible et minable, mais plutôt comme un malade rempli de contradiction, assumant la disparition des juifs mais refusant d'en répondre devant ses ennemis. Ainsi, le Führer se contorsionne, espère encore un renversement de la guerre jusqu'au dernier moment, condamne les traîtres qui ont fui Berlin, méprise son peuple qui, après tout, l'a élu et doit donc assumer, et espère que l'Allemagne ne survivra pas à la guerre: "plutôt mourir que de revivre un nouveau traité de Versailles !" Finalement, s'il assume la disparition des juifs, il refuse d'assumer la défaite de l'Allemagne et l'impute à des généraux incapables de lui obéir. Par contre, les hommes entourant le dictateur semblent beaucoup plus caricaturaux.

D'un côté, on trouve des généraux conscients de la défaite (comment ne pas l'être ?), comme Keitel et Jodl, mais refusant de le dire au dictateur, de peur d'en subir les conséquences, et des soldats hagards ou alcooliques qui attendent tranquillement l'arrivée des Soviétiques, alors que leurs camarades et les miliciens du Volkssturm se font massacrer à un kilomètre. Quelques illuminés fanatiques croient toujours au Führer et continuent à attendre de lui la victoire, comme les Goebbels, le réalisateur nous infligeant l'assassinat des six enfants de la famille par la femme de l'éphémère successeur d'Hitler au poste de chancelier du Reich. Et puis, des personnages semblent se réveiller progressivement, comme la secrétaire personnelle du dictateur, qui comprend l'horreur dans laquelle elle vit et qui se détache du tyran pour parvenir à survivre à la prise de Berlin.

On ressort du film complètement lessivé et avec une question simple : pourquoi ce film, finalement ? On pourrait très bien le considérer comme une œuvre dramatique sur la fin de vie d'un monstre finalement très humain et dont on ne peut s'exclure nous-mêmes, mais on ressort de ce film avec de drôles de questions. Tout d'abord, à l'évidence, le peuple allemand apparaît ici uniquement comme une victime des nazis, dirigeants d'un pays tyrannisé, ce qui laisse penser que les Allemands ont subi la dictature, alors que les historiens sont d'accord aujourd'hui pour souligner l'adhésion des Allemands au nazisme, au moins jusqu'en 1944. Ensuite, les personnages entourant le Führer deviennent sympathiques car ils semblent subir le tout, à l'exception notable de Goebbels et de sa femme. D'ailleurs, plusieurs protagonistes tentent de convaincre Magda Goebbels de ne pas mettre à mort ses enfants, alors qu'elle refuse que ces petits aryens vivent dans un monde postérieur au national-socialisme. Ainsi, des criminels de guerre condamnés à Nuremberg comme Göring, Jodl et Keitel ont l'air de vouloir s'opposer à la folie finale du chef. De même, toute une scène se déroule avec Albert Speer, venu dire en face à Hitler qu'il ne lui obéissait plus depuis deux ans mais qu'il continuait à l'admirer, scène que Speer évoque dans ses mémoires et qui est reprise littéralement. Si cela semble avéré, on oublie que Speer s'occupa avec efficacité de la production d'armes du Reich en utilisant des travailleurs forcés.

Ce film n'aurait pu être qu'une simple œuvre cinématographique, de fiction, s'inspirant certes de faits réels mais sans portée supplémentaire. Il est difficile, lorsqu'on parle du nazisme, de faire un exercice de ce type, mais après tout, pourquoi pas. Cependant, dans les dernières secondes du film, on change de braquet. On voit apparaître à l'image la secrétaire particulière du dictateur, Traudl Junge, auteure du roman dont le film s'inspire, qui explique alors qu'elle découvrît après, lors de l'instruction du procès de Nuremberg, les crimes de la Shoah. Or, même si la présomption d'innocence existe et qu'Hitler a tout fait pour qu'on ne lie pas ces crimes à ses actes, on ne peut que difficilement imaginer qu'une femme qui a passé deux ans de sa vie à plein temps auprès de lui ait pu ignorer ça.

Le réalisateur a-t-il cherché à absoudre les Allemands et l'ensemble des Européens du massacre des juifs d'Europe, en faisant porter l'ensemble de la responsabilité au dictateur et à un tout petit groupe de criminels ? Peut-être pas, mais c'est quand même le sentiment qui domine à l'issue de la projection.

Je n'utiliserai donc pas ce film avec des élèves, sans une énorme préparation et avec un cadrage très strict. Pour appréhender cette œuvre, il faut déjà un bagage historique important, que peu de gens détiennent, et certainement pas une grande majorité de lycéens.

2 commentaires:

  1. Je l'ai vu à l'époque de sa sortie, j'ai trouvé que c'était un bon film. Pourquoi chercher l'intention secrète de l'idéologie masquée du réalisateur ?

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  2. @ Paul : je n'ai pas écrit que le film était mauvais.

    Elle m'a sautée aux yeux, mais je peux entièrement me tromper par ailleurs.

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Laissez-moi vos doléances, et je verrai.

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