mercredi 17 septembre 2008

Vive l'usure : les cartes de crédit de la grande distribution.

Je ne sais pas si tu as vu passer une information qui est primordiale, cher lecteur. Je sais, tu es en ce moment totalement obnubilé par la disparition potentielle de ton portefeuille d'actions et par l'effondrement du système financier mondial. Rassure-toi, cher lecteur pessimiste, les États paieront pour permettre aux citoyens d'être sécurisés. En fait, cela ne devrait pas tellement te rassurer car si l'État paie, cela veut dire que nous payons. Le capitalisme reste donc marqué par la collectivisation des risques, et c'est bien dommage.

L'information dont je te parlais plus haut tient à la publicité récente de quelques grandes marques de grande distribution, et particulièrement d'
Intermarché. L'idée est la suivante : voici une carte de crédit au nom d'un magasin qui te permettra, cher lecteur, de payer tes courses quotidiennes et hebdomadaires. Traditionnellement, en France, le crédit est plutôt réservé à de gros achats, à des vacances exceptionnelles, à un événement important ou à une situation de crise particulière. Là, la carte de crédit te permet de payer de toutes petites sommes que tu rembourses par de toutes petites mensualités.

Pour le consommateur, l'avantage apparent de ce système est de compenser la baisse nette de pouvoir d'achat de ces dernières années. Nous vivons dans une société, cher lecteur, où les appels à la consommation à outrance sont permanents. Or, depuis le début des années 1980, les salaires augmentent lentement, plus lentement que l'inflation. Depuis trois ans, la nouvelle hausse des prix n'a pas été compensée par des hausses de salaire, car les capitalistes souhaitent préserver la rente de leurs investissements, dont la part n'a cessé de croître dans la répartition du PIB, alors que les salaires et les impositions de l'État ont baissé. En France, dans nos élites, les termes même de "hausse de salaire" sont totalement tabous.
Intermarché, comme d'autres comme Carrefour, espère ainsi faire d'une pierre trois coups :
  1. Il s'agit d'abord d'aider les petits salaires à consommer plus, en permettant d'abattre l'hésitation du client, pour faire monter les bénéfices de l'enseigne.
  2. Il s'agit de fidéliser des clients dotés de la carte de crédit.
  3. Il s'agit enfin de compenser la hausse de l'inflation par un endettement sur l'avenir pour le client.

Ce type de système existe déjà à grande échelle aux États-Unis. Dans les grandes enseignes, tu peux, cher lecteur, payer n'importe quel achat avec une carte de crédit. Les supermarchés y trouvent leur compte, et les consommateurs aussi, dans un pays où les salaires n'ont pas variés depuis l'arrivée de Reagan au pouvoir.

A priori, les banques y gagnent aussi. Il faut voir le taux de ce crédit : entre 14% et 19% !!! C'est quasiment de l'usure. Si un consommateur se lâche un peu trop, rapidement, il ne rembourse plus que les intérêts de son crédit, et devient quasiment à la merci des établissements bancaires. Il peut certes faire faillite personnelle, mais il perdra alors tous ses biens et risque une mise sous tutelle sociale ! Un processus bien douloureux dont il faut user avec modération...

Voilà donc un beau système : comme les consommateurs ne peuvent pas espérer de hausses massives de revenus alors que les prix augmentent, on leur offre des crédits hors de prix pour leur permettre de continuer à consommer tout en s'endettant et en enrichissant un peu plus les capitalistes.

Ce processus est économiquement dangereux. Il construit une croissance sur du vide, c'est-à-dire les revenus supposés à venir de la majorité de la population. Il fait miroiter des bénéfices aux banques, tout en ne sachant pas si ces bénéfices viendront réellement. Et que se passe-t-il en cas de krach général ? Si on découvre brusquement que la majorité de ces crédits ne seront pas recouvrés alors que les prix continuent de grimper ?

C'est là la vraie différence entre la dette publique et la dette privée. Lorsque l'État s'endette, c'est ennuyeux mais on sait qu'il pourra toujours se refaire dans le futur grâce à l'impôt. Par contre, lorsque un particulier s'endette, lorsqu'il ne peut plus payer, le capital est perdu pour tout le monde, y compris pour les capitalistes. A ce moment-là, c'est l'État qui refinancera les banques, et nous paierons donc tous l'inconséquence de ces politiques de crédit.

La seule voie saine de croissance est le basculement d'une partie du PIB des revenus du capital vers les salaires. Le crédit à grande échelle ne produit que des risques et construit une croissance malsaine. Tant que l'on aura pas admis ces logiques économiques, on connaîtra toujours des crises régulières du système financier (tous les quinze-vingt ans environ) qui se propageront à l'économie réelle.

11 commentaires:

  1. C'est ce que l'on appelle un crédit revolving, non? L'utilisateur-trice met du fric dans le barillet, et ça tourne, il y a toujours une balle dans le canon… Ce genre de "produit financier" attire malheureusement en priorité les personnes les plus fragiles, c'est une porte ouverte au surendettement, une invention… diabolique.
    Merci du lien Mathieu !

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  2. Bonjour Mathieu,
    Il y a peut être quelque chose qui m'échappe, mais ce type de carte existe depuis belle lurette ?
    Le crédit revolving est un des mécanismes qui conduisent vers le sur endettement.
    Souvent, les consommateurs ont plusieurs cartes de magasins qui parfois sont quasiment collés (ainsi à une des sorties de Montpellier, Auchan et Carrefour sont distants de 500 mètres). Donc quand ils commencent à être coincés avec un des magasins, ils se rabattent sur l'autre, jusqu'à ce que la "cavalerie" entre ces crédits, ceux de Cetelem et ceux d'éventuels autres organismes que la "vraie" banque - pour la voiture par exemple - les étrangle complètement.
    Les cartes de magasin comme Carrefour ou Auchan (ce sont les 2 que je connais ...) t'attribuent automatiquement une réserve d'argent avec laquelle on te tente d'ailleurs régulièrement. En général, c'est à l'occasion d'un achat un peu plus couteux (appareil électroménager, meuble ou maintenant, vaisselle en plastique surtaxée) qu'on va te proposer d'une part de payer en 3 fois sans frais si tu as la carte du magasin, d'autre part, peut être une réduc avec cette même carte. Après, pour chaque achat que tu fais avec la carte du magasin, il t'es proposé de payer "comptant" ou "crédit" (de plus, le comptant peut être un regroupement de tes débits à une date fixe du mois, ce qui donne la fausse illusion d'avoir une "marge" en terme d'approvisionnement de ton compte en cas de gêne). Si tu choisis "crédit", effectivement, tu paies tes courses alimentaires avec un taux de crédit d'usure.
    En plus, Carrefour par exemple, te fait une réduc sur ses produits de marque Carrefour, quand tu paies avec sa carte et il y a un système de carte de fidèlité qu'il faut avoir en plus (je ne connais pas très bien, je refuse d'être fidèle ...).
    Autre chose : les frais de dossier et surtout l'assurance qu'ils essaient de te fourguer à chaque opération de "crédit" renchérit considérablement les coûts.
    Enfin, si le consommateur veut, lors d'une rentrée d'argent exceptionnelle, la consacrer à rembourser une partie de ses dettes, il ne peut pas, il faut soit solder tout, soit augmenter la mensualité, mais on ne peut "mettre au pot" comme on veut.

    Je trouve qu'il faudrait purement et simplement supprimer le crédit révolving, en tout cas pour des produits qui perdent leur valeur à peine on les a sorti de leur rayon.

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  3. @ LCC : diabolique, n'abusons pas, même si l'Eglise condamnait le crédit. Vicieux, oui, sans doute.

    @ Audine : oui, cela existait déjà. Cependant, la situation actuelle peut laisser penser que les pauvres vont être davantage tentés par ces systèmes. En plus, les enseignes relancent en ce moment en lançant de nouvelles cartes. Il est évident qu'il est délirant d'utiliser des crédits pour acheter du consommable, et pas pour investir. Interdire, je ne sais pas, mais réglementer est une nécessité.

    A bientôt et merci pour vos commentaires.

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  4. N'importe quel financier d'entreprise sait que l'endettement bancaire ne doit pas servir à financer les achats courants mais les investissements. Dés qu'on sort de ce cadre, on se trouve dans un contexte de levier (avec des risques qui augmentent) ou de spirale infernale.
    Ce devrait être la même chose pour les particuliers. La notion même de crédit à la consommation est mauvaise. Comme son nom l'indique, elle vise à favoriser la consommation.
    Pour moi, la voiture est la limite qu'il n'aurait pas fallu franchir. Financer son logement et sa voiture avec des crédits, cela correspond à l'étalement d'un achat dont on "doit" disposer à court terme et qui ne peut être auto-financé. Le reste devrait trouver sa place dans les revenus dont on dispose.
    Après, est-ce que ça doit passer par la loi ? non, mais la surveillance devrait être renforcée, en particulier sur le cumul des crédits. A l'heure actuelle, les organismes de crédit laissent à peu près n'importe qui obtenir une réserve, sans vérifier ce qu'on a déjà obtenu par ailleurs. Et ils ne vérifient pas non plus les crédits déjà remboursés (en s'abritant derrière le secret bancaire j'imagine).
    En ce qui concerne les crises financières, ce ne sont pas les particuliers qui en sont directement responsables car elles sont le résultat des spéculations sur les différents marchés. C'est une régulation différente de celle de l'endettement des ménages qu'il faudrait mettre en place^^

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  5. @ CC : je te suis sur le début de ton raisonnement, mais pas sur la fin. La crise actuelle est issue de l'endettement largement trop élevé des ménages américains. Après tout, les banques ont proposé des crédits délirants et les citoyens américains les ont acceptés, alors qu'ils sont déjà plein de crédits à la consommation et revolving. C'est donc bien la dette des ménages qui est en cause.

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  6. L'endettement des ménages est un effet. En ce qui concerne l'immobilier, il est provoqué par la spéculation. Si tu paies ta maison deux fois trop cher, tu es deux fois trop endetté. La spéculation n'est majoritairement pas le fait des particuliers, elle est principalement le fait d'entreprises qui ont tout intérêt à fluidifier le marché et donc à favoriser les transactions. Et la spéculation favorise la vente, donc l'achat (puisqu'on vend bien, on peut acheter sans crainte).

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  7. @ CC : ok, on est d'accord sur ce point.

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  8. Complètement d'accord sur la perversité de ces systèmes, certes pas nouveaux, mais que certains tentent de faciliter...
    Je trouve extrèmement dangereux ce genre de système, qui effectivement va surtout concerner les ménages les plus en situation délicate, en les encourageant à vivre "au-dessus de leurs moyens"...
    L'effet "pouvoir d'achat" joue certes un rôle, mais ce type de crédit marche aussi en période d'euphorie économique. Dans le premier cas c'est pour pouvoir conserver son pouvoir d'achat voire se donner l'impression qu'il augmente un peu malgré tout. Dans le deuxième cas, c'est parce que l'avenir semble rose et qu'on pense qu'on pourra sans peine payer les mensualités, donc autant en profiter...Jusqu'à la situation se retourne; c'est d'ailleurs exactement ce qui s'est passé avec les subprimes.

    Concernant le principe des crises cycliques, je ne suis pas sûr qu'on puisse les éviter, ni même qu'il le faille. C'est un mécanisme "normal", en tout cas intrinsèque au modèle capitaliste, qui s'en remet toujours pour repartir de plus belle. Ce que Schumpeter appellait la "destruction créatrice". Une petite différence étant peut-être qu'ici la crise est une crise "virtuelle", basée uniquement sur du vent, de la spéculation. Ce genre de crise doit sûrement pouvoir être sinon empêchée, du moins atténuée. Mais elle a le mérite de faire un peu de nettoyage, et de détruire les châteaux de cartes de certains. Comme le dit l'investisseur Warren Buffet "c'est quand la mer se retire qu'on se rend compte de qui nageait sans maillot". L'économie s'en retrouve alors assainie.

    Non, le problème c'est plutôt de savoir protéger les gens qui souffrent de ces crises, surtout les plus fragiles, pas forcément d'empêcher la crise.

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  9. @ Elyas : d'accord sur le fond. Il faut en tout cas tout faire pour empêcher que ces crises touchent trop violemment l'économie réelle et soit en plus financées par la collectivité qui renfloue les banques trop aventurières. Après tout, je suis sûr que les spéculateurs se tirent très bien de tout cela...

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  10. Les spéculateurs en tant que banques/fonds spéculatifs, pas forcément tant que ça, mais cela ne me fait ni chaud ni froid, c'est le "jeu".
    En revanche les spéculateurs en tant que personne, je pense que tout ira bien pour eux : les plus jeunes iront sur les places asiatiques ou aux Emirats Arabes, les plus vieux joueront au golf un ou deux ans le temps que la situation revienne à la normale...

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  11. @ Elyas : oui, ni chaud ni froid, même pas tiède...

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