jeudi 3 septembre 2009

La crise du syndicalisme enseignant vient aussi de la crise de la gauche dans son ensemble.

Ce matin, Luc Cédelle s'est lancé, dans le journal le Monde, dans une analyse de la crise que connaît actuellement le syndicalisme enseignant, crise d'ailleurs relativisée par la constatation que le nombre de votants aux dernières élections professionnelles était en hausse. Globalement, cependant, l'article me paraît assez juste dans une constatation simple : les syndicats ont actuellement du mal à structurer des actions alors que l'Éducation nationale ne cesse de se dégrader, sous les coups des réformes menées depuis 2002 et des réductions drastiques de moyens que nous subissons. Allant plus loin que les déclarations de Nicolas Sarkozy, l'Éducation, lors du dernier concours, n'a remplacé qu'un enseignant sur trois partant à la retraite. A Créteil, près de 2 000 contractuels ont déjà été embauchés pour boucher les trous dès la rentrée et, à l'exception des lettres modernes et de la philosophie, il n'y a plus aucun titulaire disponible en remplacement. On se demande ce qui se passera dans le courant de l'année lorsque des collègues partiront en arrêt-maladie (je ne parle pas de la grippe A mais de vraies maladies).

Dans ce contexte, et je n'évoque pas les salaires bloqués ou la masterisation, il devrait y avoir un soulèvement généralisé des enseignants. Or, depuis juin 2003, rien de tel, à part quelques flambées vite éteintes. Les bahuts ne se mettent en mouvement que localement, lorsqu'un collègue est obligé de quitter l'établissement suite à la suppression de son poste, lorsqu'on impose trop d'heures supplémentaires ou lorsqu'on ferme illégitimement des classes. En cette rentrée, les réactions sont brutales en collège, puisque, contrairement à ce qu'avait prévu le ministère, le nombre d'élèves, suite au baby-boom des années 1990, recommence à augmenter en 6ème. Or, l'administration continue à fermer les classes et les postes, entraînant une hausse mécanique du nombre d'élèves par classe et une dégradation des conditions d'enseignement.

Luc Cédelle explique que les syndicats, FSU en tête, ont du mal à structurer une action cohérente. Pour une fois, je vais citer un ancien billet que j'avais rédigé le 16 mai 2008, suite à la déclaration de Sarkozy sur le droit de grève des profs :

« Une scène m'a d'ailleurs saisie: l'interview dans la soirée de G. Aschieri, secrétaire général de la FSU, premier syndicat chez les profs. Aschieri semblait presque sonné par la vague sarkozyenne. Il faut dire, cher lecteur, qu'à sa place, je l'aurai été aussi : avoir réussi à mettre dans la rue 300 000 personnes (alors qu'il y a 800 000 profs), à mettre en grève 67% de la profession, se dire qu'on a enfin réussi à créer un vrai rapport de force, et se faire balayer de cette manière, c'est quand même rageant. Je peux pourtant tenter une explication, qui me semble cohérente. Depuis 1981, les syndicats ont mis en place avec le pouvoir une mécanique bien rodée. Quand un problème surgit, on commence par râler un peu. Si le gouvernement reste ferme, on fait quelques manifs, quelques grèves, voire une grève reconductible. Là, le gouvernement ouvre des négociations et on s'arrange, en faisant des échanges de bons procédés. Mais, depuis 2003, tout a changé: plus question de négocier; on passe en force sur tous les sujets. Sous le deuxième mandat Chirac, le gouvernement n'a vraiment reculé que sur le CPE, après un mouvement très large et sans doute parce que Villepin n'était pas soutenu par sa propre majorité.

La période Sarkozy n'a pas changé cette logique. En 2007, les transports se sont heurtés à cela, et c'est aujourd'hui à l'éducation de s'épuiser sur le même mur. Sarkozy peut d'autant plus jouer les gros bras que les profs votent majoritairement à gauche, qu'il n'y a personne de crédible à gauche pour le réfréner et que les mouvements de profs réunissent toujours la droite, alors qu'elle vient de rejeter le projet de loi constitutionnelle (voir la une du Figaro sur "Darcos veut remettre les profs au travail"). Les syndicats mettent du temps à s'adapter, conformément à leurs habitudes social-démocrates. »


Ce constat reste pertinent. Lorsqu'un syndicaliste annonce dans une assemblée qu'il ne fera rien, il est accusé d'attentisme et d'inutilité. S'il propose la grève reconductible, les collègues l'informent fermement qu'ils ne le suivront pas car les leçons de 2003 restent imprimées dans leurs esprits. S'il annonce une journée de grève, on retrouve les deux arguments précédents : cela coûte cher et ne sert à rien, mais ce n'est pas non plus suffisant.

Plus encore qu'en 2008, Luc Cédelle oublie de dire que c'est l'absence d'alternative politique crédible qui décourage les profs. Nous sommes tous conscients qu'un retour de la gauche au pouvoir ne changerait sans doute pas grand-chose. Après tout, c'est bien le PS qui voulait « dégraisser le mammouth » et a lancé la première grosse offensive de l'histoire récente contre l'éducation. Cet épisode reste dans nos mémoires, même si l'auteur de la formule a depuis longtemps sombré. Alors que la France a été profondément marquée par son lien avec l'école, les enseignants se désespèrent de voir l'ensemble du monde politique reléguer l'éducation dans les bas-fonds des plaquettes électorales.

Le syndicalisme n'est donc pas, à mon sens, le seul responsable de sa débâcle actuel. Même si le rapport de force est mis en place, Sarkozy, Fillon et Chatel sont tranquilles : il n'y a pas d'alternative. Alors, pourquoi s'user encore pour changer pour la même chose ?

9 commentaires:

  1. Ce billet est d'un réalisme très pessimiste, ce qui lui donne une teinte assez bizarre. Agréable à lire, mais on le termine avec une sorte de tristesse assez spéciale à décrire...

    Je ne suis pas fanatique, tu le sais très bien, de ce syndicalisme qui appelle à un certains immobilisme, et qui prone la grève à tout va. Pour autant, le tableau que tu nous décris est loin des caricatures que l'on peut voir ici et là, et en ce sens aussi il est vraiment bien, ce billet.
    Par exemple, je n'avais pas intégré aussi fermement que 2003 a été difficile pour les professeurs. De même, dans cette absence d'alternative pour vous, je ne réalise pas encore les dégats d'Allègre à l'éducation.

    Mais la fin du billet, le "pourquoi s'user à changer les choses", il fait mal comme un coup de couteau dans la sous fesse.
    Que l'on soit de droite, de gauche, libéral, communiste, extreme d'un coté ou de l'autre, normalement, on a envie de se battre pour changer les choses "à son image". Normalement, car ce renoncement, qui m'étreint assez souvent en ce moment, est tellement de plus en plus fréquent...

    Enfin, même si on est pas toujours d'accord sur la méthode, sur les moyens, sur les buts aussi, envie de te souhaiter bon courage. Ne baissons pas les bras.

    Bonne rentrée à toi (et encore bravo pour ce beau billet, vraiment)

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  2. Je rejoins Falconhill dans sa perception du billet, et à travers tes mots je réalise que cette sensation se retrouve aussi dans mon travail: nous sommes une entreprise privée de droit public, et les appels à la grève, s'ils sont demandés, sont rarement soutenus. Ce sont les patrons qui rigolent: les moutons se plaignent mais continuent de brouter.
    L'excès de grève fait perdre la crédibilité. A quoi bon se battre pour "si peu"? Et la vie qui coute cher...

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  3. @ Faucon et Homer : attention, cela ne signifie pas que je le pense comme cela. J'essayais juste de faire percevoir une ambiance de ce que je ressens en salle des profs et avec les quelques collègues que je connais par ailleurs.

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  4. Je retrouve dans ce billet un peu de l'ambiance de la salle des profs de mon lycée.. Les réunions syndicales rassemblent du monde certes mais 1) peu d'idées d'action qui ne soit de suite critiquées 2) un découragement, une lassitude devant l'évolution, ressentie comme inexorable, des choses dans notre boulot.

    Pourtant les sujets de dysfonctionnements concrets ne manquent pas : surveillance des élèves assurée quasi uniquement par des gens sous contrat précaire et donc avec un turn-over important, moins de profs pour autant d'élèves (enfin pour mon lycée :) )

    Le travail de sape de nos gouvernants concernant la non-prise en compte des journées des journées de grève sauf au niveau financier doit commencer à porter ses fruits...


    Sinon pour @falconHill en 2003, je le rappelle, pour les enseignants, y'avait double-mouvement : contre la réforme des retraites et contre la décentralisation de l'E.N. comme voulue et mise en place par l'équipe de Ferry dans laquelle se trouvait Darcos. Et les plus actifs dans le mouvement ( ceux en grève plus ou moins continue de mars à début juin ) l'ont payé cher au sens propre du terme. Et ça a laissé des traces.

    Moule à gaufres, syndiqué depuis... fin 2003.

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  5. @ Moule à gaufres : je suis d'accord, mais ce n'est pas pour cela qu'il faut se décourager. Certes, en ce moment, le contexte est défavorable, mais les mouvements sociaux peuvent changer très rapidement.

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  6. Mathieu écrit : " Même si le rapport de force est mis en place, Sarkozy, Fillon et Chatel sont tranquilles : il n'y a pas d'alternative. Alors, pourquoi s'user encore pour changer pour la même chose ? "

    Haut les coeurs, les gars !

    On est en France, ici !

    On n'est pas en Angleterre à l'époque de Thatcher !

    Margaret Thatcher était surnommée TINA par les Anglais. Pourquoi TINA ? Quand elle était au pouvoir, Margaret Thatcher répétait toujours cette phrase : " There Is No Alternative. "

    Si même ici, les profs adoptent les phrases de l'ennemi, on est mal barrés. La première chose à faire est de ne pas utiliser les slogans de l'ennemi.

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  7. @ BA : je répète ce que j'ai déjà dit plus haut. Ce billet ne reflète pas mon opinion, mais le discours dominant chez mes collègues actuellement. Je suis d'accord avec toi sur le fond.

    J'ajoute tout de même qu'il ne faut pas attendre que les profs pour changer la société. Je veux bien que l'école soit un secteur très particulier de notre pays, mais arrêtons de faire peser sur le dos des enseignants l'avenir de la révolution prolétarienne.

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  8. @Moule, je me souviens de la greve, des causes et conséquences. Simplement, n'étant pas prof, je n'ai pas la perception des séquelles en découlant.

    Et à la lecture des commentaires en découlant, et de la discussion, je persiste à trouver ce billet très bon :)

    J'ai mieux compris, en tous cas, le caractère général de ce billet. Et suis rassuré que notre petit (grand, il est grand en fait... ^^) privilégié préféré n'en est pas pessimiste comme la conclusion me l'a laissé croire.

    Bon weekend en tous cas :)

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  9. @ Faucon : tu sais bien que le pessimisme est une valeur de droite, camarade ! ;)

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Laissez-moi vos doléances, et je verrai.

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