jeudi 24 septembre 2009

Réflexions sur l'accompagnement éducatif : "Bachelier ou remboursé".

Si tu es, cher lecteur, un heureux habitant de la région parisienne, tu n'as pas pu louper la nouvelle campagne de publicité lancée par le numéro un du soutien scolaire privé, Acadomia. Le slogan est fort et barre le métro parisien : « Bachelier ou remboursé, Acadomia s'engage. »

Cette publicité peut nous permettre de rebondir sur la discussion sur l'accompagnement éducatif que nous avions engagé au début du mois. Comme tu peux le remarquer, cette publicité s'appuie sur les valeurs classiques du libéralisme. En clair, si tu es parent d'élève, tu investis dans un organisme qui va te fournir une prestation. Si tu n'es pas satisfait, l'organisme devra te rembourser de ton paiement. On tente donc de rassurer le client : ne t'inquiètes pas, cher lecteur, si ton gamin échoue quand même, tu pourras récupérer ton argent. Le client repart rassuré, puisqu'il est sûr qu'Acadomia ne prendra pas le risque de perdre son bénéfice et fera tout pour que le chérubin l'emporte, ce qui n'est pas le cas dans le service public, puisque mon gosse échoue mais qu'on ne me rembourse pas mes impôts.

Comme le soutien à l'école, cette logique s'appuie sur l'idée de performance de l'individu. L'élève, de plus en plus, est mis sous pression de l'ensemble des acteurs du système éducatif. S'il échoue, c'est de sa faute. Or, comme on ne peut pas nier que de nombreux élèves échouent malgré les cours classiques et un travail personnel réel (le vrai cancre qui échoue parce qu'il ne travaille pas est une rareté, et généralement, il finit par obtenir son bac), on met en place des aides. Cependant, rien ne dit que ces aides vont réussir.

Cette logique de l'aide ne permet de recouvrir que des réalités très imparfaites, et ce sur plusieurs points :

  • Elle ne peut traiter que des problèmes de compréhension simples, que des enseignants pourraient surmonter en cours s'ils n'avaient pas 35 élèves par classe. En soi, dans ce cas précis, les soutiens (publics ou privés) ne font que suppléer au refus de notre pays d'investir dans une éducation de qualité pour tous, et la charge financière n'est supportée que par les parents des élèves en difficulté, souvent les plus pauvres (encore un beau transfert de charge).

  • Cependant, dès que la difficulté devient plus forte, les soutiens ne peuvent rien. Si vous êtes face à un dysorthographique, s'il n'est pas pris en charge par un spécialiste, vous pourrez toujours vous escrimer. De même, les gamins rencontrant des problèmes graves de compréhension (inclusion, équivalences, spatialisation...) ne seront pas traités par des soutiens qui n'ont aucune formation sur ces sujets.

  • Enfin, l'individualisation de l'aide ignore toute une série de questions :

    • Elle occulte le poids de la famille dans la réussite ou l'échec. Les parents sont parfois eux-mêmes, sans s'en rendre compte, un facteur lourd de la réussite de l'enfant. Là, on est dans la psychanalyse quasiment, et il ne faudrait pas que les profs deviennent des psychologues de bas-étage. Par contre, on pourrait parfois renvoyer les parents à leurs responsabilités, ce que nous faisons de moins en moins.

    • Elle occulte le poids des déterminismes sociaux aussi, et considère que chaque individu peut être traité séparément en ignorant son histoire sociale. C'est une illusion qui est mis en échec dès qu'on analyse les grands nombres de l'Éducation nationale. Encore aujourd'hui, les pauvres échouent davantage que les riches, les classes moyennes étant dans l'entre-deux.

C'est bien là que je ne comprends pas les positionnements de la gauche et des autres enseignants. En soutenant l'individualisation de l'aide, nous entretenons les valeurs libérales. Nous ne cessons de dire à l'élève : « si tu échoues ou si tu réussis, tu en es le seul responsable ! » Plus tard, ce gamin devenu adulte dira qu'il est contre les impôts (je dois profiter des fruits de mon travail) et qu'il se fout du collectif.

Faut-il pour autant jeter aux orties les soutiens et aides diverses ? Non, certainement pas. Dans certains cas individuels, cela a un effet réel sur les gamins. Cependant, y voir l'unique solution à tout est un non-sens pédagogique et intellectuel, surtout lorsque tes idées politiques penchent à gauche.

Pour le public, une seule vraie utilité au soutien de masse : permettre à des gamins de faire leurs devoirs avec des profs et dans un cadre où la famille ne joue pas : pas de petits frères qui font du bruit, de parents pesants et de distractions. Cependant, inutile d'y voir une solution à tous les problèmes. Beaucoup se joue en cours, là où cela coûte le plus cher...

Pour le privé, le soutien n'a, à mon sens, qu'un intérêt très marginal, à part enfoncer l'Éducation nationale un peu plus (ce que nos camarades réactionnaires font d'ailleurs sur cette question). En tout cas, on pourrait largement supprimer la déduction fiscale qui permet à ces entreprises de vivre et financer un vrai service public du soutien scolaire, tout en ne disant pas que cela va tout régler. Ce n'est qu'une aide, rien qu'une aide. Si c'était aussi simple, on le saurait depuis longtemps...

24 commentaires:

  1. Belle analyse.
    Mais de tout temps, l'individu qui le voulait pouvait faire appel à un prof à domicile. Désormais, c'est institutionnalisé :-)

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  2. Etant vieux (bouuuuuh) et n'ayant pas de mômes, les sujets sur l'éducation me touchent de loin seulement. Néanmoins... Je prends le métro !

    Quand j'ai vu cette pub, j'ai été révolté : ça signe la fin de l'Education Nationale, de l'égalité des chances, ... D'un côté, le personnel de l'EN est réduit et de l'autre, les plus aisés peuvent s'en sortir en confiant leur mômes à des boites privées.

    Les cours particulier ont toujours existé mais avec des machins comme Academia ça industrialise et institutionnalise la démarche. Quand ils font de la pub dans le métro (du moins celle-là, comme n'importe quelle grande surface : satisfait ou remboursé), ça l'institutionnalise.

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  3. Ma première pensée était que l'élève n'était finalement pas important. L'intelligence du gosse n'importe que peu étant donné que ce sont les cours qui permettront à tous d'obtenir le sésame. On peut tout acheter, cela me rappelle les US et aussi le fait que tous ne peuvent pas acheter.

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  4. Les cours particuliers rendent les élèves libéraux... tu n'as pas l'impression d'aller un peu trop loin dans la volonté de trouver une réponse estampillée "de gauche" à chaque question ?
    On dirait un dévot qui cherche la réponse à tout dans les textes sacrés...

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  5. En 2009, le bac général avait atteint son plus haut taux de réussite avec 88,8%.
    Cette entreprise ne prend pas de grands risques. Elle table sur l'angoisse des parents, pour qui l'échec était davantage une éventualité.

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  6. Camarades réactionnaires ? Libéraux-réactionnaires alors. Nous insistons beaucoup sur le libre choix de l'éducation, et il n'y a donc pas de raison d'accabler Acadomia. Ils se contentent de proposer une offre. Si elle marche, c'est que la réponse doit se trouver du côté de l'Éducation nationale...

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  7. @ Homer : cette possibilité existe toujours. J'ai encore vu une annonce dans la boulangerie de mon quartier aujourd'hui. Le soutien scolaire n'existe pas dans tous les lycées.

    @ Nicolas : entièrement d'accord avec toi.

    @ Manuel : le problème est exactement celui-là. On fait croire aux gens qu'une seule méthode permet la réussite. Dans tous les cas, c'est d'une stupidité sans borne.

    @ Paul : venant d'un libéral, je bois du petit lait.

    @ Suzanne : tout à fait, mais 12% des élèves présents en terminale, c'est déjà un marché potentiel. De plus, beaucoup de familles, dont les gamins n'ont pas vraiment besoin du soutien, les y envoient quand même.

    @ SOS Education : pour moi, les mots libéraux et réactionnaires sont antinomiques. Votre site n'arrête pas de faire référence à une école du passé qui n'avait rien de libéral. Je vous classe donc comme réactionnaire, puisque vous entretenez une nostalgie d'un passé révolu. Vous n'êtes libéral que pour libéraliser l'éducation, parce que vous considérez que l'école est dominée par la gauche, et qu'il va bien falloir trouver un moyen de convaincre la population de faire sauter ce que vous considérez comme un danger pour vos valeurs. Selon moi, le libéralisme que vous professez n'est qu'un moyen pour briser l'Education nationale. Pour le reste, rien de libéral.

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  8. Vous êtes contre le libre choix comme moyen et comme fin. Nous sommes partagés entre ceux qui n'y voient qu'un moyen et ceux qui y voient un moyen et une fin. Ce qui fait qu'à tout prendre, le moins libéral entre vous et nous, c'est vous...

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  9. @ SOS Education : je suis contre le libre-choix parce qu'il ne met pas en place un libre-choix des usagers de l'école, mais un libre-choix de ses usagers par l'école.

    Quant au label de "libéralisme", je ne le suis pas, c'est évident. Par contre, sur le fait de savoir si vous êtes plus libéral que moi, je dis non. Les valeurs que vous diffusez ne sont pas des valeurs libérales, sauf sur la position de l'État dans l'éducation. Pour le reste, vous avez bien souvent des positions réactionnaires (récompense, punition, discipline, pédagogie, tenue...).

    Un jour, je ferai un billet là-dessus et on en discutera, car je ne souhaite pas développer cela dans un commentaire.

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  10. Bonjour,

    C'est une très bonne analyse que je me suis permis de citer sur mon blog. Dans ce débat, je ne suis pas d'accord avec SOS Education qui semble focaliser son attention sur une seule des cases multiples de l'explosion du marche de soutien scolaire. Il ne faut pas a mon avis négliger la moutonnisation grandissante des rapports a l'école avec une forte dominante de consumérisme. Et quand il s'agit du bac on frôle la psychose nationnale!

    Cette industrialisation du soutien scolaire a poutant des effets pervers et le plus grave est dans le mot lui même soutien. C'est comme si en voyant notre voisin revenir des skis avec des béquilles on se mettait tous a en porter. Par précaution. Résultat des courses: on fabrique a la chaîne de jeunes adultes qui, a 18 ans, le bac en poche, sont incapables de prendre en mains leur formation, ne savent pas et ne veulent pas apprendre. Il veulent passer des examens pour avoir les diplômes

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  11. Votre erreur, c'est de croire que libéralisme et conservation (ou réaction) sont antinomiques. Ce qui est vrai, c'est qu'ils sont différents. Mais ils peuvent tout à fait être associés...

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  12. @ Anya : merci de m'avoir cité. Je suis par ailleurs totalement en accord avec votre commentaire. La responsabilisation des gamins devrait se faire autrement.

    @ SOS Education : eh bien, je vivrai dans l'erreur.

    Pour moi, les libéraux, même si je suis très rarement en accord avec eux à cause de leur vision de la démocratie, sont une force progressiste. Or, les réactionnaires visent à revenir à un passé mythique meilleur que le présent et toujours bien meilleur que le futur. Pour moi, votre association ne peut donc défendre les deux à la fois. C'est totalement antinomique.

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  13. Vous négligez un paramètre : la nouveauté n'est pas forcément synonyme de progrès. Revenir à l'école de Jules Ferry (ce qui n'est pas notre but, puisque, contrairement à Jules Ferry et à vous, nous sommes pour la liberté scolaire...) ne serait pas une régression, mais un retour avant le déclin actuel (une école qui coûte de plus en plus cher, emploie de plus en plus de monde, et dont les résultats stagnent, voire régressent).

    C'est un peu comme si vous alliez dans un cul-de-sac. Vous seriez bien obligé de reculer pour reprendre votre marche en avant, non ?

    Le cul-de-sac, c'est la Révolution pédagogique.

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  14. @ SOS Education : je ne sais pas ce que vous appelez la révolution pédagogique, ni la liberté scolaire (drôle de concept). Quant au terme de déclin, je ne vois pas bien à quoi il correspond sous votre plume.

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  15. « la liberté scolaire (drôle de concept) »

    Tout est dit.

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  16. @ SOS Education : à ce que je vois, vous défendez aussi l'idée des concepts innés.

    Désolé, mais n'étant pas habitué aux concepts réactionnaires sur l'éducation, je ne peux tout saisir. Je suppose que cela ressortira bien dans l'un de vos futurs billets.

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  17. Assumez simplement que, par égalitarisme, vous êtes contre la liberté, au lieu de scruter la sincérité de l'amour de la liberté des autres. Ce qui compte, ce ne sont pas les intentions, ce sont les propos.

    Vous êtes contre le chèque-éducation. Nous sommes pour.Difficile de nous donner des leçons ès liberté.

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  18. @ SOS Education : je suis simplement réaliste sur ce point. La liberté de choix d'une école ne peut exister pour l'usager, pour une question de structure. La liberté que vous prônez aboutira à la liberté pour les personnes ayant les bons réseaux, et au non-choix pour les autres, alors que la carte scolaire imposait un choix géographique. On aura un choix social à la place, pas sûr que cela soit meilleur.

    Je suis contre le chèque-éducation, exactement pour la même raison, et parce que cela coûtera plus cher.

    Enfin, ne jouez pas sur les mots. Je vous ai parlé de libéralisme et pas de liberté. Personnellement, je m'affiche de gauche, étatiste et égalitariste. Vous, vous vous dites libéral alors que vous prônez des idées majoritairement réactionnaires. Je n'aime peut-être pas la liberté, mais j'apprécie l'honnêteté.

    Enfin, je donne des leçons à que je veux, tant que je ne vous diffame pas, ce qui est ici le cas. Personne ne vous oblige à lire ce blog et à le commenter, ni à répondre aux liens que je fais vers vous. A ce que je sache, réactionnaire n'est pas une insulte.

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  19. « Je suis contre le chèque-éducation [...] parce que cela coûtera plus cher. »

    Qu'en savez-vous ?

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  20. @ SOS Education : j'en ai déjà parlé avec un de vos rédacteurs. Vous pouvez vous diriger ici.

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  21. C'est marrant cet article parce que sur le sujet de l'échec scolaire, la réponse des enseignants est toujours le manque de moyens, alors que si on compare le nombre d'enseignant par élève en France vs autres pays européens, c'est nous qui avons le plus de moyens...
    Quant aux cours de soutiens, plein d'enseignants en poste sont bien contents aussi de les trouver pour arrondir leurs fins de mois...
    D'ailleurs où sont-ils les enfants des enseignants : oh ? dans le privé ??? (beaucoup, pas tous, certes)
    C'est joli de critiquer l'individualisation, mais ça gomme le droit à la différence... mais si, nous le sommes, différents, nous comprenons les choses à notre rythme, et ce qui est bon pour Paul ne l'est pas forcément pour Pierre... Les meilleurs enseignants sont ceux qui ont pris leurs distances avec les dogmes et font face à la réalité (le monde tel qu'il est, pas tel qu'on le souhaite).

    Mais finalement, pourquoi donc améliorer un système (meilleure organisation par exemple) alors que finalement tout le monde y trouve son compte ou presque(sauf les élèves, mais on s'en fiche, ils n'ont pas la voix au chapitre).

    Signé: une maman de 3 enfants ayant eu ces 2 dernières années 2 excellentes expériences avec des enseignants (très investis dans leurs classes) et dont l'époux doit tout à l'ascenseur social qu'est (était ?) l'école - donc pas du tout anti-enseignante - mais qu'un discours aussi manichéen et engagé ne rassure pas quant à l'avenir de l'école.

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  22. @ Une maman : je ne comprends pas bien votre argumentaire. Vous commencez par dire que nous avons de nombreux moyens, pour ensuite dire que les profs s'ajoutent un revenu avec le soutien, pour revenir en disant que nous pouvons nous payer des écoles privées...

    En fait, une bonne partie des enseignants détournent plutôt la carte scolaire, ou vivent à proximité des établissements considérés comme bons.

    Je vous ferais remarquer ensuite que je ne critique pas le droit à la différence des élèves. Je signale juste qu'une réponse uniforme aux difficultés est un leurre, et là-dessus, je suis d'accord avec vous. Il faut prendre en compte l'histoire des enfants, leurs personnalités, leurs difficultés. Or, la manière dont le ministère instrumentalise l'accompagnement aujourd'hui est un leurre. De même pour Acadomia et consorts.

    Enfin, je crois qu'il est tout à fait possible de voir la réalité, et de s'y adapter dans son enseignement, tout en restant attaché à des valeurs fortes. C'est mon cas, mais rassurez-vous, contrairement aux apparences, mon discours est aujourd'hui minoritaire chez les enseignants. Tous les enfants n'ont pas face à eux un crypto-marxiste conservateur anti-élève.

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  23. je ne comprends pas bien votre argumentaire. Vous commencez par dire que nous avons de nombreux moyens, pour ensuite dire que les profs s'ajoutent un revenu avec le soutien, pour revenir en disant que nous pouvons nous payer des écoles privées...
    Hum... dois-je préciser que je parlais de l'Education Nationale dans le début de mon commentaire à propos des moyens (en nombre d'enseignants par élève) ?

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