jeudi 10 septembre 2009

Luc Chatel expose une vision déterministe de l’orientation scolaire.

Ce matin, grâce au Café Pédagogique, j'ai pu découvrir une dépêche AFP dans laquelle Luc Chatel, notre ministre qui le vaut bien de l'Éducation, s'exprimait sur l'orientation. Pour te résumer ce qui se passe à ce sujet dans notre administration, cher lecteur, la politique initiée depuis 2003 vise à supprimer progressivement le service public d'orientation, avec des personnels formés et compétents, pour faire assumer l'orientation par les enseignants, souvent non-compétents sur ces questions. Les profs, s'ils connaissent le système dans son ensemble, sont souvent assez peu cultivés sur des questions très précises. Cette année, sur Créteil, il manque une cinquantaine de conseillers d'orientation, alors que cinq collèges vont expérimenter la nouvelle fonction de « chargé d'études », qui vont suivre des élèves pour construire un projet d'orientation. Ces chargés d'études seront des enseignants, payés sur leurs services ou en heures supplémentaires.

Dans cette dépêche, une phrase de Luc Chatel m'a frappé. Je te la livre de suite :

« Aujourd'hui, avec le système que nous avons en France, à 14 ans, on vous oriente pour la vie sans que vous ayez la possibilité de revenir en arrière, et sans que les jeunes ne soient véritablement acteurs de leur projet d'orientation »

Cette phrase est étonnante à plus d'un titre. Tout d'abord, il y a cet âge de 14 ans, très mystérieux en lui-même. En effet, la première orientation se produit bien à la fin de la 3ème, mais elle n'est pas encore totalement définitive. C'est à la fin de la seconde que le véritable coupe-gorge du système éducatif secondaire se situe, soit à 16-17 ans en fonction du parcours du gamin.

Il y a ensuite une approche très déterministe qui est fausse. Dire que c'est le système qui empêche les jeunes d'être acteurs de leurs choix est une contre-vérité. Certes, les enseignants tentent d'influer sur les choix des gamins, autant positivement que négativement, mais, d'expérience, nous jouons à la marge et sur des gamins déjà prêts à nous écouter.

Il y a de nombreux facteurs qui jouent en réalité sur le choix de gamins qui n'ont souvent pas de vision réelle de leur avenir et qui manquent de maturité. Les parents ont tout d'abord un poids considérable, quel que soit le milieu social étudié. La famille n'est pas en reste : les études réussies (ou catastrophiques) du grand frère ont un impact sur les autres. Il ne faut pas non plus oublier le milieu social, et enfin les grandes idées dominantes dans la société (« il faut faire S, c'est la seule voie pour réussir »).

Cette tendance de la droite à considérer que l'éducation fonctionne en dehors du monde et par elle-même est à la fois la preuve d'un aveuglement, sans doute idéologique, mais aussi l'assurance que les politiques menées par la majorité seront des échecs. On peut toujours modifier l'école, mais si la société ne change pas, quel intérêt ?

12 commentaires:

  1. Quid des passerelles entre les différentes voies de formation dont on annonce partout l'équivalente honorabilité?
    (l'enseignement professionnel voie d'excellence, l'enseignement technologique voie d'accès au BTS, la licence pro ouverte à tous tout ça tout ça)

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  2. Mais l'éducation DEVRAIT fonctionner en dehors du monde ! C'est du reste ce qu'elle faisait lorsqu'elle éduquait encore.

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  3. @ Ferocias : non, ces passerelles n'existent pas. On est même en train de fermer les premières d'adaptation qui permettaient de passer du pro au général.

    @ Didier : l'éducation n'a jamais fonctionné en dehors du monde. Comment serait-ce possible ? On dirait certains de mes élèves qui pensent qu'on range les profs dans une armoire le soir, après la journée de cours...

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  4. Je trouve dommage, personnellement que les profs ne soient pas plus formés à l'orientation. J'ai eu à le faire, je trouve ça intéressant mais trouver les infos sur les formations, c'est difficile. Casser les idées reçues, c'est très dur aussi, surtout pour des élèves en difficultés qui se jugent eux mêmes si négativement qu'ils considèrent qu'ils ne sont bons à rien. Je pense en effet que ce n'est pas le système, mais l'idée que l'on se fait des études et des formations qui influent sur les élèves. Un élève médiocre qui a reçu des images négatives sur lui durant sa scolarité se juge durement et se met en case "raté", alors que les enseignants sont souvent plus positifs sur son avenir. En gros, sorti d'une idéale "voie royale", il n'y a rien.

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  5. @ Livia : le problème, c'est que le ministère ne formera pas les enseignants en ce moment. En effet, c'est un vrai métier, qui demande du temps et nécessite une véritable formation. Cela impliquerait une nette revalorisation salariale ou une baisse du temps d'enseignement pour compenser la charge. Or, le but actuel est de baisser les dépenses. Donc, on va donner les missions des COP aux profs sans les former pour autant, et surtout sans les augmenter.

    Les élèves y gagneront-ils ? Il y a de grandes chances qu'on retourne plutôt dans les préjugés voire dans l'amateurisme. Belle réforme encore...

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  6. C'est vraiment une question difficile, et je ne pense pas que quiconque ait eu une approche saine de la chose. On peut renvoyer dos à dos tout le monde : conseillers d'orientation dont la compétence n'est pas toujours prouvée, profs qui encouragent un système cruel d'écrémage sans retour, et politiques qui disent et/ou font ce qu'il faut pour que ça ne s'arrange pas. J'ai l'impression qu'il y a un cadre psychologique général complètement pessimiste qui considère qu'à l'école, il y a des gagnants et des perdants. Et comme tout le monde y croit, tout le monde fait en sorte que ça soit vrai. On est loin du système finlandais ("nous ne sommes pas assez nombreux pour nous permettre de perdre un élève"). Le reste de la Scandinavie a cette même approche, l'école n'est pas un entonnoir ou une passoire, chacun doit en sortir avec quelque chose entre les mains, il n'y a pas une voie royale ("tu ne veux rien faire en sciences mais fais S car ça t'ouvrira toutes les portes..."). Quitte à y passer des heures assis, autant en sortir en sachant lire (les scandinaves qui commencent la lecture à 7 ans, sont plus et mieux alphabétisés que nos enfants "précoces" qu'on embête avec l'écriture dès la maternelle). Là-bas encore, les lycées ne sont pas généralistes ou techniques, tout ça est indifférencié, il n'y a pas les récompensés et les punis, et ça n'est pas une honte de travailler avec ses mains, pas plus d'ailleurs que d'être thésard en sciences humaines. Résultat ? Les profs sont considérés et appréciés.
    Apparemment, ça ne concerne pas que la Scandinavie. Le collège de mon fils a accueilli des petits britanniques et des petits allemands, ils sont effarés par le collège français qu'ils trouvent triste et vraiment dur.
    Je pense que ça n'est la faute de personne : le système actuel est l'héritier de plusieurs époques (le collège-prison des pères jésuites, le lycée de l'élite républicaine napoléonienne), il est temps à mon avis pour une prise de conscience générale, pour qu'on se dise que l'école est là pour autre chose que pour dresser des enfants à devenir employés de bureau, au pire, et élèves de grandes écoles au mieux.
    Je ne nie pas que la politique du gouvernement soit assez délétère en matière d'éducation (et avec cette façon puante de déprécier l'école et le savoir), mais à mon avis la question va bien au delà du débat droite-gauche : tous coupables !

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  7. @ Jean-No : tu touches là aux fondements de l'éducation. L'élitisme fait partie intégrante du système français, même si certains ne cessent de dire que c'est de moins en moins le cas. C'est bien le problème des modèles scandinaves : ce système est-il adapté à notre culture scolaire ? Il faudrait une volonté politique énorme pour parvenir à créer un tel système en France, et je ne suis pas sûr que nos concitoyens le soutiendrait...

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  8. Mathieu : oui, je vois très bien ce que tu veux dire. Les infos à chercher seuls, au petit bonheur, ça prend du temps, on a une responsabilité énorme, mais en effet on n'est pas payé plus et pris en otage par un sentiment de culpabilité (comme je l'ai dit déjà, je ne suis plus prof, je me sens à la fois soulagée et coupable).

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  9. @ Livia : pourquoi coupable ? Une fois que tu en es sortie, quelle culpabilité ???

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  10. Je suis partie, bon, parce que je quittais le pays dans lequel je travaillais, mais aussi soulagée de ne plus avoir à faire ce travail ingrat. Je me sens dégonflée. Cela dit, je recommencerai sûrement. Mais en plus, j'enseignais à l'étranger, à des populations très privilégiées, et je sais que je n'aurai jamais le courage de faire ça en France, or, s'il y a bien un métier utile, à part soigner les gens, c'est enseignant.

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  11. Oui donc je me sens coupable de me dégonfler.

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  12. @ Livia : ah, de la culpabilité de ne plus faire... Si cette culpabilité t'empêche d'avancer, elle n'a plus aucun intérêt...

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