Nous avions, avec mes deux camarades des Gueules, été confrontés à l'argument bienpensant lors de la polémique avec les occidentalistes et il est régulièrement revenu. Cependant, même si le billet est intéressant, il faut s'intéresser aux commentaires. Dorham me fit une réponse que voici, dans laquelle je souligne les passages qui m'intéressent :
« Mathieu,
[…] Par ailleurs, je ne suis pas d'accord, les réacs débattent et c'est exactement ce que je leur reproche, tout comme à leurs adversaires. En réalité, plus exactement, ce que je leur reproche, c'est de faire croire que leurs velléités de débat manifestent un amour de la libre-expression. Le débat est une sorte de sclérose démocratique (j'insiste là-dessus), qui prétend vouloir défendre la liberté et le respect des opinions, c'est évidemment tout le contraire.
Qui débat et prétend ne pas vouloir l'emporter, ne serait-ce que moralement ou sous forme de traits d'esprit, est un menteur. Qui débat veut le silence. Nier cela, c'est nier l'évidence. »
Dorham fait ici une erreur fondamentale. Il est incontestable que le but d'un débat est de l'emporter sur l'autre, mais vous aurez remarqué que cela n'arrive jamais en démocratie. Parfois, un groupe parvient à imposer ses idées aux autres, gagne des élections et gouverne. Cependant, comme le débat se poursuit, ce groupe perd le pouvoir quelques temps plus tard.
Le débat ne permet pas aux participants d'échanger, mais il leur permet d'éviter d'utiliser la violence pour s'imposer aux autres. Certes, si j'écoutais mon inconscient, j'aimerais bien que de nombreux courants politiques que je n'apprécie pas se taisent (les réactionnaires, les libéraux qui n'en sont pas, les socialistes totalitaires, les islamistes …). En clair, dans un monde idéal, j'aimerais que personne ne puisse l'ouvrir, à l'exception de ma petite personne, à part pour dire : « oui, privilégié, tu es formidable ! » Et les autres, hop, au goulag !
Or, malgré ce désir profond qui se loge en chacun de nous, nous ne pouvons assouvir notre penchant destructeur. Nous sommes forcés de nous contenter du débat et de l'élection, en sachant que nos adversaires politiques sont toujours là, prêts à en découdre. Nous sommes bien obligés, aussi, de nous rendre compte que nos adversaires politiques sont membres de la même communauté que nous. Enfin, l'existence d'opposants nous permet de nous améliorer, en éliminant les arguments les moins percutants, en problématisant autrement et en faisant évoluer nos propositions.
Lorsqu'une démocratie ne permet pas cela, elle échoue. Le meilleur exemple historique que nous avons de ce phénomène reste la tentative de la IIème République espagnole. Fondée en 1931, elle connut deux alternances. Immédiatement, elle dysfonctionna parce que les deux principaux camps (droite et gauche) ne tolérèrent pas que l'autre puisse appliquer son programme : l'arrivée au pouvoir de l'adversaire signifiait une menace trop forte sur son propre camp. Seule la guerre et la dictature appliquée par le camp vainqueur ont permis une forme de résolution du problème, en éliminant l'un des deux camps, enterrant la démocratie pour 36 années…
Ce débat permanent est tout sauf un facteur de sclérose : il est au contraire le seul moyen pour qu'une société fonctionne sans régime dictatorial et tueries régulières. La preuve en est que même les idéologues fanatiques de la dictature peuvent s'exprimer librement…
…même s'ils risquent de gagner les élections, ce qui ne doit pas arriver si le système démocratique bénéficie au plus grand nombre.
N'empêche qu'il existe une limitation à ce débat : des tabous, imposés par la loi ou par les règles, non-écrites mais partagées, de savoir-vivre. Dorham traite de ce thème dans son billet. Nous en reparlerons.
PS : vous remarquerez que, si j'étais au pouvoir, j'enverrais les gens au goulag. On voit bien là de quelle culture politique j'ai été le plus proche dans mon passé…
Je partage totalement ton avis : vive le débat ! Avec bien sur le respect, ces règles de savoir vivre que tu cites en fin de billet.
RépondreSupprimerBon article. Bonne semaine
J'avoue que j'ai un peu de mal à comprendre la distinction que fait Dorham entre débat et dialogue. C'est à dire que je crois voir, mais ça me semble un peu spécieux, un peu trop "fin", pas opérant quoi.
RépondreSupprimerMathieu, Didier,
RépondreSupprimerTrop fin, non ! pas assez précis, je veux bien, parce que les notions évoquées ne sont pas si aisément définissables et que le blog se prête mal à ce genre de réflexions.
Mathieu, je comprends ce que tu dis, mais c'est parce que tu définis également un mode de société qui te convient. S'il me fallait encore développer, il faudrait encore plus de temps : d'autant plus que je commencerais justement par remettre en cause le mode électif (qui selon moi, n'est pas nécessairement la panacée démocratique, en tout cas, pas comme cela*) ou tout du moins le bien fondé de la politique telle que nous la concevons de nos jours.
* Par exemple, je ne peux me réjouir de la victoire prétendument démocratique d'un camp sur l'autre à la suite d'un débat pendant lequel chacun aura utilisé le mensonge, la manipulation...etc.
Voilà bien l'un des problèmes du débat : l'absence d'honnêteté. C'est sa forme même qui implique cela. A la limite, le vote (tel qu'il est organisé) est une sorte de gel qui nous aide à faire passer la pilule.
@ Faucon : merci, à toi aussi.
RépondreSupprimer@ Didier : je préfère lui laisser la possibilité d'expliquer ces mots. Maintenant, dans son sens, il me semble bien que le dialogue ne peut réellement exister qu'à la marge, et entre individualités très particulières.
@ Dorham : concernant l'élection, je serais prêt à te suivre. On ne pense jamais suffisamment au tirage au sort par exemple.
Pour le débat truqué, tout s'appuie sur la dextérité des adversaires. Normalement, il doit pouvoir être possible de souligner une manipulation, si vous êtes aussi doué que l'opposant.
Cependant, je n'ai pas dit, par ailleurs, que le système était parfait. Il y a toujours des améliorations à apporter. Par contre, de là à jeter le bébé avec le reste...
Mathieu,
RépondreSupprimerMais non, on ne jette rien, comment pourrait-on tout jeter ?, c'est le principe de la réflexion, tu essaies de penser l'aboutissement, la perfection, l'absolu.
Ensuite, ça ne te rend pas dingue et tu sais que la société est imparfaite. Et tu t'en accommodes. Ne serait-ce que parce que tu penses que vivre en société est une nécessité.
@ Dorham : d'accord, mais dans ce cas, tant que tu es dans la nécessité, tu es bien obligé d'admettre que le débat en fait partie, même avec les réacs.
RépondreSupprimerDébat intéressant :)
RépondreSupprimerJe ne suis pas certain de bien comprendre le fond de la pensée de Dorham mais je pense comme toi que sans débat, il n'y a pas de vie de société possible.
Ce n'est pas parce que certains débats sont faussés à cause de la malhonnêteté d'un ou des 2 parties, qu'il faut en remettre en cause le principe.
Le débat est la base de la démocratie.
Qu'est ce que veut dire "l'emporter" sinon réussir à convaincre ! et en quoi, vouloir convaincre est-il dommageable au fonctionnement de la démocratie ?
C’est parce qu’il n’y a pas assez de vrais débats que notre démocratie ne fonctionne pas si bien que ça !
Refuser le débat avec les "réacs" ou n'importe qui d'autre, c'est montrer beaucoup de certitudes ...et ceux qui en ont trop des certitudes j'appelle ça des sectaires !
J'ai vraiment raté un épisode ! Car je suis totalement en phase avec dorham quand il écrit :
RépondreSupprimer"Qui débat et prétend ne pas vouloir l'emporter, ne serait-ce que moralement ou sous forme de traits d'esprit, est un menteur. Qui débat veut le silence. Nier cela, c'est nier l'évidence. »
Totalement d'accord.
@ Nicolas007bis : je suis assez d'accord avec toi, sauf que je pense que l'emporter ne signifie pas réussir à convaincre, mais occuper le pouvoir sans les autres. Cela se recoupe bien sûr.
RépondreSupprimerPour les réacs, si l'envie m'en prend, je ferai un billet, mais il faut que je travaille un peu le sujet.
En attendant, je vais aller répondre à un réac ;)
@ PRR : je ne suis pas en désaccord avec cette phrase. Le problème est que Dorham considère que cette manière de débattre produit la sclérose de la démocratie. Or, pour moi, elle est la seule manière d'éviter le bain de sang permanent et de faire vivre la démocratie. Le point de désaccord est là.
@Mathieu
RépondreSupprimerJ’aurais plutôt dit : l’emporter signifie convaincre pour occuper le pouvoir sans les autres…mais là ce qui est en cause ce n’est pas le débat mais le fonctionnement démocratique, la majorité impose son choix (de ceux qui l'ont convaincu) à tous !
@ Nicolas007bis : je ne suis pas sûr que convaincre soit une nécessité, mais bon, je te suis tout de même.
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