lundi 7 décembre 2009

Sur la suppression de l'histoire-géographie en Tle S et les réaménagements des programmes de la discipline.

Cher lecteur, je me préparais à rédiger un billet pour engueuler l'Association des professeurs d'histoire-géographie (APHG) pour sa position timorée sur la réforme du lycée, lorsque le Comité de vigilance face aux usages publics de l'histoire a publié ce texte aujourd'hui, que je trouve en parfait accord avec mes idées sur la question.

Je vous soumets donc ce texte, que je fais mien d'une certaine manière, pour réaction et débat.


'La réforme présentée par Luc Châtel est de bien mauvais augure pour l’enseignement de l’histoire-géographie au lycée. Et le problème ne se limite pas à la suppression de son enseignement obligatoire en Terminale scientifique, qui a jusqu’à présent concentré l’attention des premières critiques. L’enjeu est beaucoup plus lourd de sens pour l’avenir de nos disciplines.

Cette décision rompant avec une longue tradition nationale de l’enseignement de l’histoire et de la géographie pour tous les élèves du primaire jusqu’au lycée, y compris professionnel, nous est présentée comme une volonté de valoriser les autres filières, de mieux préparer les lycéens aux carrières scientifiques et, plus globalement, d’articuler davantage le secondaire au supérieur. Mais le ministère se livre à une communication mensongère. À première vue, qui pourrait sérieusement s’opposer à un objectif aussi urgent que louable ? C’était déjà la volonté des précédentes réformes. Elles ont toutes échoué car, comme dans cette dernière mouture, cette articulation n’est restée qu’un slogan. Par ailleurs, cette suppression semble ignorer totalement que nombre de bacheliers scientifiques s’orientent ensuite vers des études où l’histoire et la géographie sont loin d’être négligeables. On propose alors aux candidats à Sciences Po ou aux classes préparatoires littéraires ou commerciales un enseignement « optionnel » de l’histoire-géographie. Mais les autres ? Faudrait-il les priver de toute possibilité d’études de sciences humaines ou sociales à l’université ?

Cette réforme, mal ficelée et vendue par une opération de marketing politique, ne tient pas compte du réel. Il n’existe à ce jour aucune concertation entre les enseignements secondaire et supérieur sur une éventuelle continuité pédagogique, ni sur une mise en commun de méthodes ou d’outils de travail. Bien au contraire : en imposant à toutes les Terminales un programme allant de 1989 à nos jours (propositions ministérielles), on prononcerait tout simplement l’arrêt de mort de l’histoire-géographie, ainsi ravalée au mieux à l’étude du temps présent, au pire à un simple commentaire d’actualité. Ce projet masque à peine la volonté du gouvernement de transformer l’enseignement de l’histoire en didactique d’un passé le plus récent possible, afin d’ôter la distance nécessaire à toute réflexion sur l’organisation du savoir historique où temps et espace sont étroitement mêlés. D’où une hémorragie à craindre dans le supérieur en termes d’effectifs et de vocations !

La condensation des programmes sur deux ans, entre la seconde et la première, qui résultera nécessairement d’une telle disparition, appelle également à la vigilance. Quels moments historiques, quelles aires culturelles sortiront rescapés d’une telle compression ? Dans le contexte d’instrumentalisation politique du passé que l’on connaît actuellement, de quelles garanties dispose-t-on pour qu’une telle simplification ne vienne pas couronner les tentations de l’ethnocentrisme, du recours à l’émotion facile ou du devoir de mémoire téléguidé depuis le sommet de l’État ? Comment ne pas craindre que cette histoire, réduite à une peau de chagrin, ne fasse passer l’événementiel avant l’esprit critique ?

Le ministère se donne deux mois pour élaborer de nouveaux programmes. On imagine que leur confection, menée tambour battant pour des raisons politiques, ne s’embarrassera pas beaucoup de la consultation des enseignants. Plutôt que de mettre publiquement en scène la punition des fonctionnaires « désobéisseurs », plutôt que de traiter les enseignants en spectateurs d’injonctions non négociées, le ministère devrait les considérer pour ce qu’ils sont avant toute chose : des acteurs du système éducatif.

Privilégier les méthodes ? Mais la suppression des modules en classe de seconde contredit des décennies de modernisation et d’innovation pédagogiques. Elle rétablit une école d’un autre âge, celle du cours magistral, dans lequel le professeur, réinvesti d’une autorité patriarcale, délivre le savoir à des élèves collectivement infantilisés.

De cette réforme il y a donc peu de raison de se réjouir et au contraire beaucoup de s’inquiéter. Comme d’autres qui l’ont précédée, elle n’atteindra pas les objectifs qu’elle affiche car ces derniers ne sont qu’un écran de fumée. Il faudrait être aveugle pour ne pas voir que, derrière la façade des justifications pour la réussite, la véritable raison d’être de cet ensemble de mesures est d’ordre strictement budgétaire. C’est la même logique que celle qui préside à la réforme de l’université, à la destruction de la formation des enseignants et à son remplacement par des masters professionnalisants, dont les titulaires serviront de main d’œuvre mal payée pour combler les besoins provoqués par la suppression massive des postes d’enseignants du Secondaire.

Mais l’histoire et la géographie ne sont pas seulement les victimes collatérales de cette logique comptable et d’une vision très rétrograde du rôle de l’école. Au-delà, comme nos collègues de Sciences économiques et sociales, nous pensons que les réformes annoncées font fi du rôle des sciences humaines et sociales dans l’éducation de nos futures générations : sous le prétexte de professionnaliser l’enseignement, c’est l’apprentissage d’une citoyenneté critique et de la culture humaniste qui, une fois de plus, se voit sacrifié sur l’autel de l’utilité et de la rentabilité à courte vue.

Le CVUH (comité de vigilance face aux usages publics de l’histoire)'

10 commentaires:

  1. je pense qu'on cherche à rendre idiot l'individu. pour mieux le controler, peut-être, en biaisant les statistiques. tout ça me mine.

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  2. Je suis assez d'accord avec Homer !

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  3. moi aussi, je suis d'accord avec Homer, mais je crois qu'il aurait tort de se laisser miner par une réalité qui a toujours existé, et qui a toujours trouvé des bipèdes pour s'y opposer.

    luc

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  4. Tout cela n'a rigoureusement aucune importance, en fait : après six années perdues entre vos mains, vos élèves ressortent du lycée aussi rigoureusement incultes et stupides qu'ils y sont entrés : vous ne servez plus à rien.

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  5. @ Homer : pour un homme du Nord, être dans la mine, c'est cohérent.

    @ Nemo : tu es du Nord aussi ?

    @ Luc : j'admets avoir du mal à saisir ton commentaire.

    @ Didier : d'où la hausse de vos idées, preuve de notre échec...

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  6. je pense qu'Homer a bien cerné le truc

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  7. @ Rébus : Homer a toujours raison !

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  8. @ Monsieur Didier, de mémoire: "un pays qui est en guerre contre son passé et un pays sans avenir"; c'est de Winston Churchill et ça me paraît bien s'appliquer à notre temps. L'enseignement de l'histoire est l'objet d'attaques répétées ces dernières années, ce projet n'en est qu'un avatar de plus (lois mémorielles, discours de Dakar, lettre de Guy Môquet...). Les politiques semblent vouloir subordonner cette discipline stratégique aux fantasmes developpés par une bande d'écorchés vifs sans culture. Sinon, on fait comme si l'Histoire était un luxe inutile réservé au ghetto universitaire. C'est un jeu dangereux.
    G.

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  9. Monsieur G : dans l'absolu, nous sommes évidemment d'accord, et même plus que ça. Seulement, comme plus personne, dans les garderies nationales n'apprend plus rien (ou ce qu'il veut, en fonction de ses "souffrances" communautaires ou autres), je me fous personnellement qu'il y ait encore de "l'histoire-géo" en terminale ou qu'il n'y en ait plus : cela ne changera rigoureusement rien à l'humanité occidentale de demain matin.

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  10. A Monsieur D. G. Votre propension au pessimisme, votre acuité ou votre intuition vous font anticiper sur l'avenir: la discipline Histoire géo était parvenue à résister jusqu'à présent d'assez bonne manière, en réussisant l'exploit de renforcer ses programmes dans un horaire restreint en maintenant une sélection valable pour le recrutement de ses enseignants. Et voilà qu'en une paire d'années sous un gouvernement crasse, ces deux principes de résistance sont remis en cause (réforme des programmes du primaire au lycée ET masterisation des concours). Il n'y a pourtant pas de raison d'être fataliste: il faut dénoncer la désinformation et le mensonge et ne pas laisser croire que de la ruine totale du système puisse servir à quoi que ce soit. Le principe de la table rase en matière de savoir se paye sur des générations.
    Monsieur G.

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