mardi 4 mai 2010

Le syndicalisme à la merci des employeurs.

La manifestation parisienne du 1er mai ne fut pas fameuse, je ne peux que le reconnaître. Pourtant, comme je l'indiquais ici, il n'y a à priori pas de raison que ce genre de rendez-vous échoue : on ne perd pas de journée de salaire à venir manifester, on peut profiter d'une belle balade dans sa ville de résidence ou de villégiature, le contexte social devrait aider...

Et pourtant, après les grandes manifestations de l'an dernier, ces rendez-vous patinent. Dans un billet publié hier, Hypos rendait les syndicats responsables de ces échecs. Fondamentalement, elle a raison, mais sans doute pas pour les raisons qu'elle évoque. Pour moi, les responsabilités sont bien plus vastes, et d'autres acteurs sont responsables de la déroute du mouvement social, à commencer par l'État et les employeurs, publics comme privés. Malheureusement, les salariés eux-mêmes sont profondément mêlés à cette évolution.

La France vit en effet une situation assez schizophrène au plan social. Notre pays a une caractéristique étonnante : les syndicats sont massivement financés par... les employeurs ! Ce financement se fait soit par la mise à disposition de postes partiels ou complets ou de subventions en nature ou en espèces. Ce système permet à la fois aux employeurs de tenir les syndicalistes et de continuer à détricoter doucement notre système social, dans l'indifférence totale des salariés.

En effet, ceux-ci peuvent largement se dire qu'ils n'en ont rien à faire. Si les syndicats gagnent quelque chose (par la mobilisation d'une partie des personnels ayant accepté de sacrifier leurs salaires, voire leurs carrières dans le privé), tous les salariés en bénéficient, y compris ceux qui n'ont pas bougé le petit doigt. Par contre, si le mouvement échoue, seuls les personnels mobilisés paient la note.

Comme je suis dans une phase de proposition en ce moment, je vous propose trois réformes qui devraient permettre de rendre aux syndicats une certaine audience et un poids réel, au moins à long terme :

  1. Il faut interdire toute subvention ou financement direct ou indirect, en nature ou en espèces, d'un syndicat par un employeur de quelque manière que ce soit. Plus de permanents payés par les employeurs, plus d'heures de décharge, plus de locaux et de lignes téléphoniques gratuites pour les centrales. Il est anormal que les employeurs puissent avoir ainsi un pouvoir financier sur les organisations syndicales.
  2. Dans ce cas, comment un syndicat pourrait-il se financer ? Par les cotisations sociales déductibles des impôts, bien sûr (voilà un point où l'intervention de l'État est cohérente) ! Revenus sur ce simple financement, les syndicats seront contraints de se positionner sur ce que veulent vraiment les salariés pour avoir des cotisations. Par contre, pour que les salariés soient obligés de s'y mettre, il faut que les gains obtenus par les syndicats ne soient accessibles qu'aux syndiqués de la centrale. Ne resterait à l'État qu'à définir des normes minimales acceptables dans notre société et de laisser syndicats et employeurs se débrouiller sur le reste.
  3. Enfin, pour consolider un peu tout cela, je propose qu'un syndicat ne puisse jamais être considéré comme un acteur économique. Récemment, la cour européenne de justice a condamné des syndicats pour entrave à la libre circulation des services. On ne peut pas tolérer que les syndicats répondent au droit commercial. Le droit doit là-dessus être clair : les syndicats sont des acteurs à part et ils doivent pouvoir mener leurs luttes librement sans risquer des condamnations de ce type, tant qu'ils respectent les lois civiles et pénales et le droit social.
Voilà quelques propositions que je te soumets, cher lecteur. N'hésite pas à en débattre ci-dessous et à me faire part de tes réflexions.

Je tiens d'autre part à préciser un point : je ne blâme pas les syndicalistes de base eux-mêmes, qui font souvent un travail admirable. Malheureusement, il est difficile, quand un système est vérolé structurellement, d'en tirer quelque chose de positif. Cela n'empêche pas de continuer à se battre et de ne pas baisser les bras.

14 commentaires:

  1. Au boulot, on constate ce phénomène de perte de confiance en des syndicats qui n'obtiennent pas de résultats. Réciproquement, ceux-ci ne peuvent avoir du poids que s'ils sont suivis par les salariés. C'est le chien qui se mord la queue. Et c'est là tout le problème.

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  2. Ok pour prendre en compte l'aspect de la "subvention" patronale, mais je parlais surtout du décalage entre la réalité du marché de l'emploi et les positions toujours traditionnelles des syndicats qui semblent ignorer cette évolution de la réalité sociale :-)
    même en apliquant tes propositions, est ce que cela changerait quelque chose pour les millions d'oubliés ?
    Ou alors, on peut proposer aussi que des sections syndicales spéciales s'ouvrent et travailllent efficacement pour ces populations de travailleurs oubliés ...

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  3. Ssi on admet le degré zéro de financement patronal ( ce qui me semble une bonne chose en soi) et que l'on introduit le financement des syndicats par l'État cela pose tout même un problème pour la fonction publique. Car la l'état est l'employeur, non?

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  4. La mesure préconisée dans l'article ne peut être considérée comme un financement par l'État. Si elle ne l'est pas pour le privé, elle ne peut l'être pour le public. Cette mesure, en quelque sorte, fait du syndicat une organisation non gouvernementale, une association d'utilité publique, bénéficiant de dons déductibles du revenu.

    Je trouve ça très intéressant.

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  5. @ Homer : d'où les propositions. Qu'en dis-tu ?

    @ Marie-Laure : il y a déjà des initiatives comme les actions envers les sans-papiers de la CGT par exemple.

    @ Anya : je propose juste que la cotisation soit déductible des impôts, mais il ne s'agit pas non plus d'un financement direct, car chaque citoyen décide de l'endroit où va sa cotisation.

    @ ZapPow : oui, c'est un peu l'idée.

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  6. Ce sont de bonnes propositions, mais difficiles à mettre en place à partir du système actuel. Les mauvaises habitudes ont la vie dure !

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  7. @ Homer : je sais, mais ce n'est pas une raison pour ne pas les faire. ;)

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  8. Et si le "citoyen" refuse de financer un syndicat, il se passe quoi (comme dirait Charles) ?

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  9. @ Didier : on lui applique la norme de base, définie par la loi, et sinon, tant pis pour lui. S'il refuse le syndicat, c'est qu'il doit être un bisounours qui croit qu'un salarié et un patron sont à égalité ou un anti-syndicaliste. Tout est donc cohérent.

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  10. Les syndicats, pas des acteurs économiques ?

    http://www.lexpansion.com/economie/actualite-entreprise/la-cgt-a-t-elle-vire-capitaliste_231250.html

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  11. @ Paul : la dérive est réelle...

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  12. Je suis salarie dans une toute petite entreprise, sans syndicat....

    Je fais comment?

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  13. Quelques questions :
    - si les conquêtes sociales ne s'appliquent qu'aux seuls syndiqués, n'est-ce pas la mort de toute loi sociale, puisqu'il y a le principe d'égalité devant la loi ? Si une conquête sociale (appliquée aux seuls syndiqués) devient une loi, alors on revient à la situation actuelle où les syndicats se mobilisent pour tous.
    - n'est-ce pas aussi le risque de création d'une inégalité sociale selon les entreprises ou les branches, si la conquête ne s'applique qu'aux seuls syndiqués ?
    - le système de financement proposé me fait penser au système de financement des cultes en Allemagne, où l'on paye un impôt de financement en fonction d'une déclaration d'appartenance à un culte. Or en période de crise, on constate en Allemagne que beaucoup de contribuables se désengagent de ces cultes, ça diminue les impôts...
    - pourquoi pas le système qui rend obligatoire la syndicalisation pour obtenir un métier ?

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  14. @ Anonyme : vous avez parfaitement le droit de vous syndiquer. D'autre part, vous pouvez fonder une section, mais il est clair que tout dépend du contexte de l'entreprise où vous êtes et des idées de votre patron.

    @ Cloran : des réponses :

    - le droit social correspond à la norme de base pour tous. Ensuite, libre aux syndicats d'obtenir des améliorations ponctuels. C'est déjà le cas aujourd'hui : il existe un salaire minimum et ensuite, les salaires sont librement fixés au-dessus. Bien évidemment, il serait impossible à un employeur d'aller en-dessous de la loi.
    - si un droit ou des conditions sont obtenus à un endroit, il est possible que les autres tentent de l'étendre. Reste aux syndicats à créer les conditions de cette extension.
    - c'est différent, car il s'agit d'une déduction fiscale. Si les gens cessent de se syndiquer, l'argent retourne à l'Etat, et l'impôt ne baisse pas.
    - je pense que le choix doit rester libre. Si on impose aux gens de se syndiquer dans des centrales inefficaces, cela aggravera plutôt le phénomène.

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