samedi 13 juin 2009

Camarades, brisons la vision de droite de l’éducation et positionnons-nous dans un véritable projet progressiste.

Comme tu le sais bien, cher lecteur habitué à lire mes pavés sur ce blog, je suis un habitué des blogs de droite et de la réacosphère. Non pas que je sois masochiste, mais il y a une certaine forme de cohérence à cette démarche. Je suis parfaitement conscient que les idées libéralo-conservatrice tiennent encore le haut du pavé, et ce depuis une bonne vingtaine d'années, et que nier ce fait consiste à s'enfermer sur soi-même. Pour évoluer à gauche, il faut aussi comprendre ce qui fait le succès de nos adversaires. J'avais plusieurs fois tenté de faire des analyses de ce type dans le passé.

Aujourd'hui, je voudrai me faire le porte-parole de la droite concernant les problèmes qui touchent l'Education nationale. Quelles sont les principales critiques qui émergent des blogosphères de droite concernant cette belle institution :

  • 1ère critique qui ressort en général : l'Éducation coûte chère ! L'ensemble des courants de droite sont d'accord sur ce point. En soi, ils n'ont pas complètement tort. La politique éducative est le principal poste budgétaire de notre pays, derrière la santé tout de même qui n'est pas dans le budget de l'État mais dans celui de la sécurité sociale.
  • Ensuite, arrive derrière l'idée que l'Éducation nationale n'est pas efficace et ne parvient plus à produire des élites convenables. Ces arguments s'appuient en général sur les études PISA. Les récriminations qui émergent de cela sont diverses : certains déplorent l'affaiblissement de notre pays qui serait lié à cela ; d'autres estiment que, vue que la liberté est supprimée par le système, il est inacceptable que l'éducation ne soit pas efficace ; enfin, certains se plaignent d'un coût très élevé qui n'entraîne pas de bons résultats.
  • Enfin, les conservateurs comme les libéraux se plaignent de la forte influence de la gauche dans le milieu éducatif. Globalement, beaucoup voudrait faire la peau des enseignants qui influencent nos chères têtes blondes de manière honteuse et les amènent à voter à gauche. Le modèle égalitariste est aussi critiqué car il réduirait le niveau global. Cette critique-là, très politique, me semble d'autant plus étrange que, malgré cet impact lourd de la gauche sur les gosses, la droite est majoritaire en voix dans ce pays, l'extrême-droite reste puissante électoralement ou que Sarkozy ait pu être élu…

Ce qui me gène davantage, c'est que les mouvements de gauche souscrivent globalement à ces analyses et restent atones sur une politique éducative progressiste, alors que l'éducation a été un moteur dans le passé pour la gauche française. On retrouve souvent, et je ne vise aucun parti de gauche en particulier, les arguments sur l'efficacité ou sur le coût, alors qu'il s'agit bien là d'une vision qui vise à casser les ambitions du système éducatif. Il y a quelques temps, l'UNESCO avait pourtant rappelé que l'efficacité de l'éducation se mesurait d'abord grâce à l'investissement par élève.

Pourtant, je ne vais pas nier les problèmes que connaît notre système éducatif. Pour moi, en tant que bon gauchiste, ils sont de plusieurs ordres. Tout d'abord, l'éducation reste, et ce malgré cette influence sempiternelle des gauchistes (dont je suis) en son sein, un système de sélection qui permet la reproduction des inégalités sociales. Ensuite, l'école a tendance, en s'appuyant sur des codes bourgeois de formation, à permettre cette reproduction. Il est aujourd'hui clair que les milieux sociaux défavorisés sont ceux qui échouent le plus à l'école, et ce malgré toutes les politiques qui ont pu être menées dans le passé. Cela signifie donc que les enseignants, moi compris, reproduisent le système inégalitaire malgré toute notre bonne volonté pour essayer de le briser, et que nous ne parvenons absolument pas à créer le fameux « ascenseur social » dont nous nous gargarisons pourtant. Enfin, il ne faut pas se voiler la face : l'extension de la scolarité, si elle a eu des aspects positifs, n'a pas permis de briser la sélection sociale : elle l'a simplement déplacée vers le haut. Aujourd'hui, la sélection se fait au lycée, alors qu'elle se faisait auparavant au primaire et au collège.

Or, à mon sens, la gauche ne peut céder aux idées libéralo-conservatrices, d'autant plus que l'éducation est un domaine où le progrès social est possible. D'autre part, c'est aussi à l'école que l'on peut construire un véritable esprit critique et citoyen des gamins. On ne peut pas déplorer sans cesse, à gauche, que nos concitoyens votent massivement conservateur et ne se révoltent plus contre les injustices et les inégalités, alors que le système éducatif participe pleinement à la reproduction de ce modèle.

Que faire ? A mon sens, un vrai projet éducatif de gauche doit repartir de la situation actuelle. Aujourd'hui, le système éducatif est plus massif mais continue à sélectionner et à tendance à se libéraliser. Pour essayer de casser cette évolution et de revenir à une vision plus progressiste, il faut d'abord envisager un système qui ne parte pas de l'élève bourgeois comme référence mais de l'élève prolétaire qui n'a pas eu accès à la culture chez lui. Si ce n'est pas notre travail de faire l'éducation à la courtoisie des gamins, c'est à nous de faire que la culture savante qui n'arrive pas dans la tête des gamins en difficulté par la famille y arrive par notre biais. Il faut ensuite en finir avec le misérabilisme qui a tendance à parcourir le système : les gosses de pauvres n'ont pas besoin qu'on s'apitoie sur leurs sorts, mais qu'on arrive avec un vrai projet collectif qui vise à les sortir de l'ornière où ils se trouvent. Enfin, je ne dis pas que l'école ne doit plus sélectionner, je dis que l'école doit permettre aux gamins prolétaires d'avoir les mêmes armes que les autres, avec un très haut niveau d'exigence, pour participer à ce processus de sélection. Actuellement, le système ne leur permet pas de concourir à égalité : ils sont sélectionnés de force. Si tout le monde reçoit les mêmes codes, la vraie liberté de choix devient possible. Pour que ce choix soit vraiment libre, il faut enfin que notre pays ne privilégie pas les voies royales, mais investissent massivement dans toutes les formations, y compris les formations continues et pour adultes.

Camarades de gauche, je suis persuadé qu'il est possible de construire un programme éducatif nouveau et révolutionnaire d'une certaine manière. Cependant, ne cédons pas aux sirènes de la droite et à l'individualisme : soyons appuyés sur nos valeurs et soyons fiers de nos idées et de nos projets.

9 commentaires:

  1. Bâtir un système qui ait pour objectif de donner la culture à ceux qui n'ont pas eu la chance de l'avoir par d'autres moyens, cela me semble très louable même si je ne vois pas trop ce que cela signifie concrètement.
    Et ce que je ne vois surtout pas c'est ce que deviennent, dans une telle logique, ceux qui n'ont rien à en retirer. Je vois là une occasion en or pour le privé de se positionner sur le créneau de ce que tu appelles "l'élève bourgeois". Cet élève n'est en réalité que celui à qui on a inculqué le respect du savoir et des enseignants et qui en a tiré profit dès son plus jeune age -et ce quelle que soit son origine sociale.

    Cette question est d'ailleurs au centre du problème de l'égalitarisme. Celui-ci n'est ni de gauche, ni de droite. La propension à vouloir que tous les élèves aient le même bac d'une certaine gauche trouve un merveilleux echo chez une droite au pouvoir bien contente de leur donner un bac qui ne vaut plus rien. Ceci afin de favoriser des mécanismes de sélection qui sortent du contrôle de l'enseignement public.

    A part ça, je ne sais pas comment je dois prendre le fait d'apparaitre en lien dans une section qui recense les critiques issues de la blogosphère de droite. Ca a de quoi en faire rire plus d'un !

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  2. Vu le titre, je suppose que tu ne t'adresses pas à moi aujourd'hui. Tant pis, je reviendrai demain.

    Bon weekend

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  3. @ Oaz : ces arguments sont cohérents, mais ce que je voulais dire par "élève bourgeois", c'est un élève qui répond aux implicites de l'école, pour être clair. Je n'ai pas dit que je voulais que les élèves aient tous le même bac. J'ai parlé de sélection (relis bien le billet). Enfin, les gamins qui n'apprennent pas respectent souvent parfaitement les enseignants. Ce n'est pas le problème ici.

    Euh, tu es proche du Modem, non ?

    @ Faucon : oui, je parlais plus à la gauche, mais cela ne t'interdit pas de commenter. Les copains sont toujours les bienvenus ici.

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  4. Je n'ai pas dit que tu voulais que les élèves aient tous le même bac. J'ai dit qu'il y avait des gens de gauche ET de droite qui le voulaient. C'était pour rebondir sur ton constat de la droite au pouvoir. L'égalitarisme me semble plus être un attribut de ce que les libéraux appelleraient les étatistes.

    Sur le respect des enseignants, je me suis mal exprimé. J'aurais du dire "respect de l'intérêt que peut avoir l'enseignement".
    Il n'y a pas de problème de l'"accès à la culture chez lui". Le système éducatif français tout au long du XXème siècle, ce sont des millions d'élèves issus de milieux où ils n'avaient pas accès à La culture et qui se sont malgré tout intégrés dans un système éducatif français qui n'était pas moins élitiste qu'aujourd'hui. La différence tient, à mon avis, dans l'estime, la valeur, portée au système éducatif.
    De là à dire qu'en se rabaissant à faire tout et n'importe quoi le système a perdu -à juste titre- l'estime qu'on lui portait...

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  5. @ Oaz : en fait, la droite est plus pour un contrôle continu et la gauche pour un examen final.

    Je suis en désaccord total sur ta vision de l'histoire du système éducatif français. Jusqu'aux années 1950, le système apprend à la grande majorité des Français le écrire-lire-compter-morale. Ce sont les bourgeois qui accèdent au bac et qui ont eux une vraie culture générale. Depuis, il y a eu une démocratisation (ce que tu appelles le n'importe quoi) mais le système continue à produire une élite, la différence étant qu'on sélectionne plus tard mais que les milieux sociaux populaires restent les principales victimes de cette sélection.

    Ce qui pose question, c'est que les gamins issus des milieux populaires se plantent plus que les autres alors qu'il ne devrait pas y avoir de raisons à cela. C'est sur cette question qu'il faut travailler.

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  6. une bonne synthese de la situation actuelle. Non seulement la gauche doit se prévaloir de la sélection, même si cela ne pait pas à certains à gauche, mais elle doit également lutter davanatge contre la réthorique destructice en vigueur actuellement.

    Tu me donne une idée de billet, j'y reviendrais

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  7. @ Peuples : j'attends ce billet avec intérêt.

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  8. "je ne dis pas que l'école ne doit plus sélectionner, je dis que l'école doit permettre aux gamins prolétaires d'avoir les mêmes armes que les autres, avec un très haut niveau d'exigence, pour participer à ce processus de sélection"

    Oui, mais c'est en petite section de maternelle que doivent se concentrer les efforts. Il y a un fossé entre l'enfant qui aura été élevé dans le calme par des parents lecteurs, pourvoyeurs de jeux et d'expériences éducatifs, qui entrera à l'école avec un vocabulaire riche et un passé de lecteur, et un enfant qui aura grandi entre l'écran de la télé et celui de la playsation, sans qu'on ait consacré beaucoup de temps à son développement personnel. On voit de façon criante ce que l'école ne peut pas faire, mais on ne voit pas, on ne peut pas quantifier tout ce qu'elle fait, tout ce qu'elle rattrape, pour des enfants peu favorisés socialement, et c'est énorme.

    "Si tout le monde reçoit les mêmes codes, la vraie liberté de choix devient possible"

    Hélas, il y a une part d'injustice sociale incompressible. Prends justement une petite section de maternelle (enfants de 2 à 4ans). A la fin de la petite section, une simple observation des enfants (niveau de langage, curiosité, vivacité, familiarité avec l'écrit) permet de prédire avec une faible marge d'erreur qui évoluera sans problème dans une scolarité type bac général ou pas. Et à la fin de la grande section, c'est presque joué. On peut remercier l'école maternelle d'avoir "accroché" des enfants de milieux non stimulants (non stimulants pour des raisons diverses)
    On se rend compte que les enfants qui ont bénéficié d'une petite enfance en crèche avant l'école maternelle sont, à milieu social équivalent, plus aptes à bénéficier des enseignements de la maternelle.
    Une façon d'adoucir les inégalités, ce serait d'essayer des classes de très petite section de dix-douze élèves dès l'âge de deux ans (et pourquoi pas moins, dix_huit mois) (pas propres, donc, encore bébés) avec des instituteurs volontaires, personnel et locaux adaptés. On accepte déjà les deux ans, mais les classes sont trop chargées pour cet âge tendre.

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  9. @ Suzanne : long et intéressant commentaire. Je vais essayer de faire synthétique.

    Concernant ton premier paragraphe, tu as raison qu'il est très difficile de quantifier. Le fait est pourtant qu'on ne parvient pas à avoir un impact positif sur les classes sociales défavorisées massivement. Je ne peux me faire à cette idée, même si beaucoup de mes collègues aimeraient bien se contenter de ça.

    Sur le deuxième paragraphe, je crois que l'EN a une vraie part de responsabilité. En effet, si les enfants de cadres réussissent mieux que les prolétaires, les enfants de profs sont ceux qui cartonnent le plus. Or, les profs ne sont pas des bourgeois. Cela signifie qu'ils maîtrisent bien les codes des cours et qu'ils peuvent encadrer leurs enfants car ils savent ce qu'attendent les collègues.

    Par contre, entièrement d'accord sur la maternelle, mais aujourd'hui, le ministère va plutôt vers une fermeture de ce système que vers son extension, tout doucement...

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