Cher lecteur, ce soir, je devrai être en pleine forme. En effet, je viens de rentrer dans le classement Wikio. Eh oui, c'est un fait avéré : j'occupe désormais la ... 1352e place du classement divers !!! Et, je te rassure, avec mes camarades d'Avec nos gueules..., nous trustons littéralement la ... 5711e place du classement politique. Bon, je sais, cher lecteur, on ne bosse pas depuis très longtemps, et il va nous falloir un travail long et douloureux pour parvenir à nous hisser vers le haut de la blogosphère. En plus, l'accession à la tête du classement de Nicolas et la montée de nombreux blogs que j'aime beaucoup m'ont vraiment fait plaisir.
Et pourtant, cher lecteur, je suis d'humeur maussade. En effet, demain, je vais encore perdre 76 € et quelques centimes. Ai-je joué aux courses ? Ai-je fait des paris sur les résultats de France-Tunisie ? Il n'en est rien. Demain, à l'appel du SNES-FSU et de la CGT-Educ'action, je serai en grève.
Ah, j'attends évidemment tous mes commentateurs libéraux qui vont venir, avec leurs gros sabots, me dire que je suis un sale privilégié, que je remets en cause le service public, que je ne pense pas à mes élèves qui se lamentent de ne pas pouvoir jouir du savoir. Je vois venir Manuel, mon compère, qui va me dire que dans ce contexte de crise financière, ce n'est vraiment pas le moment. Je les vois tous approcher de moi et exiger que je retourne au travail.
Je ne sais pas combien de jours de grève j'ai pu faire dans ma carrière de prof. En tout cas, une chose est sûre : je n'ai jamais participé à un conflit victorieux. En 2001, j'ai commencé à bosser. A ce moment-là, l'Éducation nationale était calme : Jack Lang ne faisait rien pour faire évoluer le système. Puis, dans un contexte dramatique, la droite est revenue au pouvoir, et depuis, les dépenses et les investissements dans l'Éducation n'ont cessé de se réduire. Chaque année depuis 2002, nos syndicats nous font descendre dans la rue au moment de la discussion sur le budget, attirant pas mal d'enseignants sur la question des salaires, mais sans aucun relais dans la population. Jusqu'en 2007, les luttes étaient plutôt molles, malgré les discours des libéraux qui affirmaient que nous étions d'infâmes privilégiés qui profitions honteusement de statuts d'un autre âge (celui de la libération en fait, honteuse période d'interventionnisme massif de l'État dans la vie de la nation, tu sais, l'époque où la croissance était à 5%).
Et puis, Sarkozy est arrivé au pouvoir. Bizarrement, la moitié des enseignants ont voté pour lui, parce qu'il promettait un véritable investissement dans l'Éducation et une revalorisation du statut des enseignants. Mes collègues ont péché par excès d'optimisme, pensant avant tout à un éventuel intérêt propre plus qu'à la logique de notre pays et de l'éducation de nos enfants : que n'ai-je entendu souvent mes collègues se féliciter de la mesure sur les emprunts immobiliers.
Nous avons vite déchanté. Certes, sous Darcos, l'école n'a que peu bougé, mais depuis 2007, nous sentons la pénurie. Aujourd'hui, sur mon académie, il n'y a plus de remplaçants dans une dizaine de disciplines. Nous savons qu'il suffit d'un arrêt-maladie longue durée pour que le lycée se retrouve dans un désordre pas possible. A la rentrée 2009, 13 500 postes vont disparaître, et nous savons tous que le système est au bord de l'explosion.
L'an dernier, il n'y a pas eu de mouvement massif d'enseignants. Certes, les lycéens se sont un peu bougés là où des postes disparaissaient, mais contrairement à l'imagerie populaire, les profs n'ont pas vraiment suivi. Nous étions persuadés que la population, soumise à la même austérité que les années précédentes, ne nous soutiendrait pas, et que le message que l'Éducation n'était plus une priorité était admis par la majorité. Certes, environ 4 000 postes ont été sauvés l'an dernier, dans les bahuts où les parents et les élèves se sont mobilisés, mais l'ambiance est morose.
En ce début d'année scolaire, les annonces se poursuivent, plus sombres les unes les autres. Hier, on annonce dans le primaire la suppression des Réseaux d'Aide et de Soutien aux Élèves en Difficulté (RASED), 3 000 profs spécialisés dans l'aide aux élèves très difficiles dans le primaire, qui vont être remis devant des classes classiques, alors que l'État avait fait des dépenses massives pour les former, et qu'on demande à des profs non compétents de faire du soutien dans toutes les classes. De plus en plus, on est dans l'incohérence et dans le non-sens.
Dans cette morosité éducative, la grève de demain s'annonce peu suivie, sauf peut-être dans les zones les plus difficiles. J'ai bien failli ne pas la faire, me disant que la lutte était perdue et que je ferai mieux de garder mes 76 €.
Et puis, la crise financière a commencé, et là, j'ai vu que notre pays venait d'accepter, avec la bénédiction de tous, de mettre 22 milliards d'euros pour les PME et 3 milliards dans Dexia, pour réparer les conneries des élites, soutenus par les mêmes libéraux qui vont remplir ce blog de commentaires haineux, en deux jours ! Alors que nos mêmes élites nous disent qu'il n'y a plus de pognon pour éduquer les gosses ! Franchement, cher lecteur, cette moralité, cette idéologie sont à gerber.
Alors, regonflé à bloc, je vais me lancer à nouveau en grève, et je défilerai demain. Je perdrai mes 76 €, mais je vais au moins avoir le sentiment de me battre pour une idée, pour un modèle, pour un espoir, pour un progrès. Pour l'école publique, que j'aime et qui vaut le coup qu'on se batte pour elle, malgré tous ses défauts que je dénonce régulièrement ici.
De toute façon, j'aime les manifs, on a l'impression d'être vivant. Cela ne sert peut-être à rien, mais ça fait du bien !
Si tu veux venir manifester avec les profs, qui se joindront ensuite au cortège de tous les salariés qui manifestent à l'appel de la CIS pour le travail décent, le rendez-vous est à 14h00 au métro Sèvres-Babylone à Paris, et partout en France. Continuons à affirmer nos idées, les amis, et battons-nous.