jeudi 24 juillet 2008

Les élèves de ce pays sont-ils tous productifs ?

Lorsque j'étais élève, je me disais que le lycée n'était vraiment pas quelque chose de difficile. Globalement, je ne te cacherai pas, cher lecteur, que je travaillais peu. Je passais quelques minutes, chaque soir, à réaliser les devoirs écrits que les professeurs nous réclamaient, et cela s'arrêtait là. Lorsqu'un contrôle d'une matière qui me plaisait arrivait, je ne révisais quasiment pas, et je le disais d'ailleurs à mes petits camarades, qui me regardaient comme un OVNI. J'avais, en général, des notes tout à fait convenables. Mon comportement ne variait pas dans les matières que je n'aimais pas, mais là, je réussissais simplement moins bien, et mes notes étaient moyennes.


Cette facilité dans l'apprentissage était quelque chose que j'appréhendais assez mal. Il me suffisait d'écouter le professeur pour retenir déjà une grande partie de la leçon, surtout en histoire-géographie et en SVT, qui étaient, à l'époque, mes deux matières de prédilection. En ce temps-là, j'entendais mes professeurs, armés de toute la bonne volonté du monde, dire à mes petits camarades en difficulté, qu'il fallait qu'ils travaillent plus et qu'ils réussiraient. Moi, pendant ce temps, je sortais du lycée et allait me consacrer aux activités de l'adolescent lambda, mais assez peu au boulot.


A cette période, ma politisation commençait à poindre, et j'avais construit le raisonnement suivant : pour moi, les professeurs mentaient. Ils essayaient simplement de cacher à mes camarades en difficulté des inégalités flagrantes entre les gens, que je constatais par ailleurs. Personnellement, j'étais pote avec des garçons comme moi (dont deux commentent assidûment ici, et je les en remercie), qui ne passaient pas leurs vies à bosser, mais qui s'en sortaient sans trop de mal. Or, mes camarades en difficulté, eux, travaillaient comme des bûcherons, parfois des soirées entières, et ne récoltaient que des notes misérables, pendant que moi, qui avait passé la soirée d'avant le contrôle à sortir, avec mes potes ou à regarder la TV, j'avais une bonne note. Mes professeurs, pensais-je, espéraient protéger les élèves, mais ils les rendaient hargneux. Ceux-ci pensaient avoir bien travaillé, et se prenaient une claque. Et moi, pendant ce temps-là, je regardais, assez étonné, mon 14/20.


Cette situation s'est poursuivie à la fac. Globalement, je n'ai vraiment commencé à bosser dur qu'en maîtrise. Devenu professeur, je me suis dit qu'il allait donc falloir tenter de comprendre ces inégalités peu abordées avec les adultes quand j'étais élève, pour essayer de les surmonter et de trouver les clés pour aider mes futurs élèves.


Commençant à travailler, j'ai pu constater trois choses :
  • Le discours "si tu travailles, tu vas réussir" avait toujours une réalité dans les explications d'une partie de mes collègues. Contrairement à ce que je croyais étant ado, beaucoup pensent que c'est totalement vrai.
  • Les élèves y croient toujours, malgré l'évidence que cela ne marche pas pour beaucoup d'entre eux. Les décrocheurs sont d'ailleurs souvent des gamins qui ont arrêté de bosser parce que cela ne marchait pas, mais qui se flagellent en se disant que s'ils avaient travaillé, ils y arriveraient.
  • Ces inégalités de productivité ne sont pas gérés, aujourd'hui, par le système éducatif.

En effet, il s'agit bien d'inégalité de productivité. Tout élève, à qualification égale, n'a pas les mêmes résultats, et n'a pas le même besoin en temps de travail. Je suis sûr, cher lecteur, que tu retrouves cela dans ton travail ou chez tes proches : certains semblent réussir sans trop se fouler, d'autres se battent terriblement pour faire un travail que tu ferais en dix minutes, et quelques-uns n'y arriveront jamais, même si tu leur donnes la nuit entière.

L'Education nationale est construite sur l'idée que tous les citoyens sont égaux, mais que quelques facteurs font chuter certains élèves, comme l'appartenance à la population pauvre ou à l'immigration. L'idée est qu'en traitant tous les enfants de la même façon, tous y arriveront, et il faudra juste ajouter des aides pour les lâchés. En faisant cela, on ignore le problème de la productivité, pourtant fondamental chez chacun d'entre nous.

Personnellement, je ne dis jamais à un élève qu'il réussira s'il travaille. Je lui dis qu'il faut qu'il réfléchisse sur lui-même pour comprendre pourquoi il n'y arrive pas. Éventuellement, je me propose de l'aider à analyser sa pratique ou je l'aiguille vers des acteurs qui pourront l'y mener. En effet, le discours traditionnel amène certains gamins à considérer qu'il suffit de travailler pour y arriver, et que cela justifie les inégalités de réussite, et ensuite les inégalités de richesse chez les adultes. Ils ont été très réceptifs au discours de Sarkozy (le travailler plus pour gagner plus) parce que c'est ce que les enseignants leur répètent tous les jours. Or, je reste persuadé que l'un des facteurs n'est pas la quantité de travail fournie, mais la qualité de ce travail, soit la productivité de l'élève.

C'est un champ encore assez inexploré, mais il serait bon que la recherche se demande pourquoi certains humains parviennent à travailler vite et bien, d'autres à faire des choses biens mais en beaucoup plus de temps, et les derniers n'y arrivent pas. Là se trouve, à mon avis, l'une des clefs pour tenter d'affronter la redoutable question de l'échec scolaire.

PS : tu auras remarqué que j'ai dit plus haut que les enseignants tenaient tous les jours à leurs élèves le discours de Sarkozy. En fait, c'est Sarkozy qui tient tous les jours le discours que les profs assènent aux Français depuis 1881. Peut-être beaucoup de nos concitoyens se rappellent leur enfance en regardant notre cher président...

2 commentaires:

  1. C'est assez amusant, car j'ai sensiblement été dans la même situation que toi, mais j'en ai tiré des enseignements différents ;) .
    Déjà, j'ai déduit du discours des enseignants un peu l'inverse de toi : à savoir une reconnaissance des inégalités naturelles entre individus; je me rappelle ainsi des encouragements et félicitations adressées à tel élève qui sera passé de 5/20 à 7/20, face à l'absence de réaction voire des remarques (constructives) sur des erreurs faites par un élève passé de 15 à 18/20.
    Mais aussi que le travail était émancipateur en cela qu'il permettait de gommer ces différences de "capacité". Bien que l'on puisse ressentir comme injuste le fait de devoir faire plus d'efforts que d'autres pour le même résultat, cela veut aussi dire qu'à force d'efforts tout n'est pas perdu pour autant, loin de là. Et que, régulièrement, une fois le sentiment d'injustice passé cela s'avérait payant. Certains de mes camarades, peu doués mais travailleurs réussirent là où certains de mes amis, brillants mais paresseux et se reposant trop sur leurs "facilités" échouèrent. Ce qui se confirme encore plus dans certains domaines d'études (concours de 1ère année de médecine et de pharmacie notamment, bousculant les "hiérarchies" établies par les résultats de lycée).

    Il me parait important de continuer à encourager les efforts comme moyen de réussir quitte à travailler plus que ses camarades : comme disait Mark twain, "Ils ne savaient pas que c'était impossible, alors ils l'ont fait".
    Ce qui n'empêche pas de savoir aussi reconnaitre la réalité, notamment en aidant mieux les élèves à s'orienter et choisir la voie qui non seulement les intéressent le plus, mais aussi leur permettra de s'épanouir le plus.

    Sans compter que, n'en déplaise aux professeurs, la réussite scolaire ne fait pas tout; certains ne révèlent leurs capacités, non scolaires, que plus tard : entrepreneur, politique, etc.

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  2. Salut Elyas,

    En fait, je ne nie pas du tout que certains peuvent réussir en travaillant beaucoup. Ce qui me gène, c'est que le système éducatif continue de dire que tous les élèves sont égaux au départ. Je trouve que c'est un vrai mensonge qui plombe certains gamins fragiles qui ne comprennent pas les causes de leurs échecs.

    En tout cas, entièrement d'accord avec ton dernier petit paragraphe. Entièrement d'accord aussi avec l'idée que les hiérarchies changent complètement après le lycée.

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