
Lors de ma première visite à Boston, je n'avais pas réellement prêté attention à ces six tours, et je ne me suis réellement posé la question que la deuxième fois, intrigué par ces édifices. En effet, si l'on ne fait pas l'effort de lire les plaques, rien n'indique qu'il s'agit d'un monument sur cet épisode de notre histoire, d'autant plus qu'on ne s'attend pas vraiment à le trouver là.
Ce monument provoque depuis une certaine gène chez moi. Pourquoi ? En historien de formation, je reste persuadé que l'abord de tout événement historique, Shoah comprise, doit se faire avant tout par le fait. Par la simple évocation de ce que les historiens ont pu dire de la Shoah, la spécificité et l'horreur apparaissent d'elles-mêmes, sans avoir besoin de recourir à l'émotion, car elles sont au centre de leurs préoccupations. J'ai pu moi-même l'expérimenter en cours : les élèves, qu'on dit indifférent à ce type de choses, ressentent cette spécificité et peuvent alors éprouver des émotions. Ils réagissent au contraire souvent assez mal si on essaie de leur imposer l'émotion sans passer par le travail historique.
Or, ce monument joue purement et simplement sur l'émotion. Les fumées ont un effet immédiat, une fois que l'on a compris de quoi il s'agit. Or, il est impossible que nous puissions ressentir, nous vivants, en quelques secondes, ce que les déportés ont vécu dans les chambres à gaz. Certains diront qu'on édifie nos jeunes contemporains ainsi. Je ne peux pas remettre en doute les intentions des concepteurs du mémorial, mais respecte-t-on réellement ces morts en croyant faire vivre aux vivants ce que personne ne peut ressentir ? Je reste dubitatif.
Évidemment, il n'est pas facile d'évacuer l'émotion lorsqu'on aborde ce sujet, mais il est important de rappeler que les négationnistes ne se sont pas attaqués aux émotions, mais à la réalité des faits. Pour évoquer l'histoire auprès des jeunes, nous nous devons de rester accrochés aux faits, et rien qu'aux faits. Ayons confiance aux jeunes pour, confronter à ces éléments, pouvoir en concevoir une émotion.