lundi 28 juillet 2008

Ce que nous révèle l'affaire Siné ?

L'affaire Siné, cher lecteur, va chaque jour de rebondissement en rebondissement. Il n'y a pas un seul intellectuel, un seul journaliste, un seul blogueur, qui n'ait tenté de se saisir à un moment ou à un autre de ce sujet. Il est vrai qu'il est suffisamment rare qu'une personne se fasse virer d'un journal pour qu'on en parle un petit peu.


Comme beaucoup de jeunes Français de gauche, j'ai été un lecteur assidu de Charlie Hebdo lorsque j'étais étudiant. A l'époque, d'ailleurs, je ne le prenais pas comme un journal réellement sérieux, malgré quelques enquêtes parfois intéressantes, mais comme un bon moment de détente et de rigolade durant lequel on lisait de grosses conneries sur nos hommes politiques favoris. Je n'ai jamais été un grand fan de Siné : il était très dur avec ses adversaires les plus honnis, que ce soit l'Etat israélien, l'Église, les patrons, la droite et certains morceaux de la gauche. Finalement, je le préférai lorsqu'il parlait de jazz, mais il était un des grands caricaturistes de Charlie, pour moi aussi important que Cavanna et Cabu. On est d'ailleurs pas obligé de tout aimer dans un journal, et heureusement encore...


Quand on revient à la phrase qui a justifié son licenciement, on voit tout de suite les problèmes qu'elle peut poser. Siné est tombé dans un travers fréquent : il a fait une blague concernant la religion de la future femme de Jean Sarkozy. De fait, il a associé argent, pouvoir et judaïsme. Siné faisait le lien entre la religion de Mme future Sarkozy et son pouvoir. Il a employé une vieille veine française et chrétienne qui tend à considérer que les juifs sont forcément riches et ont forcément du pouvoir, qu'ils exercent souvent à mauvais escient ou dans leur intérêt propre. Si cela était une provocation, elle est au moins de mauvais goût, si ce n'est plus. Ne connaissant pas Siné, je ne peux savoir s'il est réellement antisémite. Finalement, je trouve que cette histoire n'est intéressante que sur un point fondamental.


Il s'agit de la place de la religion dans la politique. En clair, est-ce qu'en tant que blogueur, je peux me permettre de critiquer une religion particulière, comme pourrait le faire un caricaturiste ? Tout d'abord, il me semble important de ne jamais s'attaquer à une religion en tant que telle, tant qu'elle ne remet pas en cause, dans ses dogmes et ses rites, les principes fondamentaux des droits de l'homme. Ce n'est pas le cas de la grande majorité des religions présente en France. Si les juifs, les chrétiens, les musulmans, les bouddhistes et les hindouistes de France ont envie de croire dans leurs religions, grand bien leur fasse. La religion peut devenir un problème lorsque un groupe religieux tente d'imposer une pratique ou un loi à cause de ses croyances, mais je suis persuadé que la démocratie empêche cela, car c'est forcément la voix de la majorité qui se dégage. Une seule limite devrait être la possibilité pour un croyant de sortir de sa religion librement sans pressions de son entourage. Depuis les affaires de sectes, tout un réseau associatif existe, soutenu par nos institutions, qui doit permettre à un citoyen sous pression de s'en dégager. Siné semble suggérer que la judaïté de la demoiselle devrait permettre une meilleure action politique. Je pense plutôt que le nom du jeune homme lui suffira amplement...


Par contre, les choses changent lorsque la religion devient un prétexte à l'action politique. J'ai pu lire sur beaucoup de blogs récents des attaques très dures contre les musulmans, accusés de ne voir la religion que comme liée avec le politique (je ne mettrai pas les liens vers ces blogs, cherchez-les vous-mêmes). En fait, toutes les religions ont été liées dans le passé avec les pouvoirs, y compris notre catholicisme national, depuis que l'empereur Constantin décida de se convertir au christianisme en 313. Il a fallu près de quatre siècles d'évolution politique, depuis le XVe siècle, pour que les pouvoirs politiques européens parviennent à couper le cordon avec la justification religieuse de leur existence.


Il faut dire que Dieu est pratique : il est tout-puissant et décide de tout. Facile ensuite à un homme ou à des courants politiques de tenter d'atteindre le pouvoir absolu en s'appuyant sur ce personnage. Aujourd'hui, de nombreux mouvements chrétiens, juifs, musulmans utilisent encore Dieu pour justifier leurs envies de dictature et de tyrannie. Dieu ne peut malheureusement tolérer la démocratie, qui implique que les hommes discutent, analysent des problèmes, s'appuient éventuellement sur des valeurs parfois d'origine religieuse, mais finissent par prendre des décisions qui peuvent parfois aller contre les valeurs de la religion. Ce sont les dictateurs en puissance qui se servent de Dieu et qui doivent être matraqués par nos hommes politiques et nos caricaturistes. Si Jean Sarkozy avait épousé une femme liée à ces mouvements extrémistes, Siné aurait pu frapper, mais ce n'est pas le cas, et il n'aurait pas dû insister sur la religion de la demoiselle, mais sur ses idées politiques.


Siné se trompait de critique, je l'espère simplement par faute ou par envie de provocation. Je ne crois pas que Jean Sarkozy soit un membre de ces sectes politiques-là. Quand on voit son texte, il aurait suffi qu'il dise que Jean épousait une riche héritière pour mettre en valeur quelque chose, d'assez drôle d'ailleurs. La religion n'avait absolument rien à y faire, et c'est tant mieux. Par contre, cette affaire révèle notre difficulté à gérer le rapport du religieux et du politique. Pour moi, soyons simplement clair : Dieu, ce tyran, n'a plus rien à faire en politique ! Soyons adultes et responsables, et gérons nos vies sans lui.

10 commentaires:

  1. Lorsque l'on associe le Juif à l'argent et au pouvoir, ça n'est pas la religion juive qu'on attaque, mais le nom Juif. C'est cela l'antisémitisme.

    Dans la phrase de Siné, l'argent et le pouvoir ne sont pas associés à une certaine pratique religieuse, mais au nom Juif.

    Rien à voir avec de l'anticléricalisme.

    RépondreSupprimer
  2. @ Rubin : peux-tu préciser ce que tu veux dire par "nom juif" ?

    Il me semble que cette association des juifs avec l'argent vient du Moyen-Âge, lorsque l'Eglise avait interdit l'usure aux chrétiens et que certains juifs, qui pouvaient le faire, s'étaient lancés dans ce commerce, ce qui était d'ailleurs indispensable à l'économie européenne de l'époque.

    Le lien avec l'anticléricalisme est fait par les défenseurs de Siné eux-mêmes.

    RépondreSupprimer
  3. Par nom Juif, je désigne l'appellation elle-même, en tant qu'elle représente le Juif en tant que concept, et non plus seulement en tant que membre d'une religion ou d'une communauté.

    Je sais que l'anticléricalisme est invoqué par les défenseurs de Siné. Et c'est à cause de cette distinction entre le nom Juif et la religion ou l'appartenance à un quelconque groupement que je rejette leur argument.

    RépondreSupprimer
  4. J'admets que je suis mal ton raisonnement. Dans ce cas, il devrait aussi exister le "catholique", le "musulman" ou l'"athée".

    Je viens de lire ton article sur ton blog. Je souscris à ta vision sur la logique raciste, mais je dois dire que je ne vois pas bien le lien avec mon billet.

    RépondreSupprimer
  5. Bien sûr qu'il existe aussi le "catholique", le "musulman", etc., chacun attirant par moments son lot de préjugés, en dehors de tout anticléricalisme.

    Mais en l'occurence c'est de judaïsme qu'il est question, et c'est classiquement au nom Juif qu'on associe argent, pouvoir, etc.

    Je ne fais absolument aucun lien entre ton billet et ce que je dénonce dans le mien !!

    RépondreSupprimer
  6. Ok pour le commentaire.

    Je pensais que tu voulais contester quelque chose que je disais. Merci en tout cas pour les précisions.

    RépondreSupprimer
  7. Ton billet s'éloigne du cas de Siné pour s'approcher dangereux du sujet religieux..
    Le "concept" est utilisé à mauvais escient, en l'occurence j'ai l'impression que beacoup pensent que c'est une race, on assimile le juif à l'israelien, et j'entends souvent "les juifs", alors qu'un juif polonais et new yorkais n'ont pas grand chsoe en commun sauf la religion.
    On commence à faire le même amalgame avec les musulmans, même si le terme galvaudé serait plutôt "islamiste".
    Ne confondons pas les choses, religion, race, nationalité.
    Je n'ai pas entendu ce que Siné a dit, mais d'après ton billet, je dirais qu'il mérite une exclusion.

    RépondreSupprimer
  8. Tout est dans l'ambiguité. En fait, on ne sait pas ce que Siné a voulu employer. Mais c'est vrai que le mot "juif" recouvre, dans la culture politique française plusieurs sens. J'ai adopté l'aspect religieux, qui me semble important, mais l'aspect racial aurait pu jouer aussi. Si c'est cela que Siné a voulu dire, alors, je suis d'accord avec toi pour la sanction.

    RépondreSupprimer
  9. Cette affaire fait réfléchir. Ce qu'il y a de gênant, c'est le fait de colporter une rumeur qui s'avère fausse (la conversion n'aura pas lieu). Le fait de s'intéresser à la vie privée des hommes politiques est aussi problématique sauf lorsque ceux-ci ont décidé d'en faire eux-mêmes un instrument de propagande. Si Nicolas Sarkozy ou Ségolène Royal ont fait ce choix, est-ce le cas de Jean Sarkozy ? Evidemment, les circonstances de l'accident de scooter avec un délit de fuite : le fils du Président paraît avoir été très protégé. On est révolté de voir la victime en position d'accusé. L'activisme politique de Jean Sarkozy dans les Hauts-de-Seine donnent l'image d'un jeune arriviste. On comprend qu'un caricaturiste comme Siné souhaite mordre. D'où l'idée de s'en prendre au Rastignac prêt à faire quelques concessions pour réussir un mariage qui peut l'aider à grimper l'échelle sociale. Le problème, c'est que Jean Sarkozy est déjà en haut de l'échelle. De l'argent, certes, il doit déjà en avoir. On espère que la future mariée, si elle a des biens, saura prendre quelques précautions pour les protéger. On comprend que les fantasmes les plus divers se bousculent. Et si Jean aimait d'amour pur cette jeune femme qui a le malheur d'être une riche héritière ? Les mariages mixtes peuvent être délicat. On peut encore imaginer toutes les difficultés rencontrées par les deux jeunes amoureux. On fait confiance à Jean et à sa fiancée pour faire triompher leur amour.

    Après avoir convenu qu'il est impossible de rédiger une phrase sur le sujet sans que chacun y projette ses propres fantasmes, on comprend que la phrase de Siné offre une cible facile ("il vient de déclarer vouloir se convertir au judaïsme avant d’épouser sa fiancée, juive, et héritière des fondateurs de Darty.")

    Hélàs pour ceux qui accusent Siné, leur raisonnement me semble fallacieux. Parions que Siné ne sera jamais condamné pour antisémitisme par un tribunal dans cette affaire. Le fait de mentionner que quelqu'un est Juif et héritier d'une fortune conséquente n'est pas répréhensible en soi. Il est suspect du fait de notre longue tradition antisémite... En réalité, il n'y a pas de rapport logique entre le niveau de vie et la religion. D'où l'intérêt de préciser d'ailleurs que la jeune fille est une héritière. Le raisonnement antisémite jouerait plutôt sur l'implicite et laisserait le lecteur conclure par lui-même.

    Donc, rien à voir par exemple avec les propos haineux d'un Dieudonné. Rien à voir avec les paroles de Raymond Barre qui désignait tout un groupe avec l'emploi du mot "lobby". Rien à voir avec ceux qui contestent l'existence de la Shoah. Rien à voir avec les propos d'un certain Kemi Seba qui remettait au goût du jour l'idée du complot juif international...

    Rien à voir avec la pensée de Maurras (les Juifs font partie des groupes qui poussent la France au déclin, ils font partie de "l'anti-France"). Rien à voir avec les propos d'un Céline qui pouvait traiter directement les Juifs de "monstres". Si l'on explore la piste de l'antisémitisme de gauche, celui-ci reprend toutes les attitudes énoncées précédemment ; on trouve des dispositifs qui rendent possible l'antisémitisme en prétextant l'antisionisme ou l'anticapitalisme.

    Siné aurait-il fait du neuf avec du vieux ? On ne voit pas en quoi. Il se moque : 1) d'un ambitieux ; 2) supposé sans scrupules moraux ; 3) indirectement, de sa promise prête à se satisfaire de son hypocrisie.

    Ce que je n'aime pas trop, c'est de devoir se dire tout cela et comprendre que dans le doute, on se contentera de penser que les propos de Siné relèvent de l'antisémitisme. Pour moi, ils sont affaire de goût. L'attitude politiquement correcte pousse à les condamner mais cela relève du terrorisme intellectuel.

    (PS : Matthieu, si tu préfères, je mets ce texte sur mon blog. Il est un peu long...

    RépondreSupprimer
  10. @ Mtislav : pas de problème, tu peux le laisser. Cependant, vu qu'il est intéressant, je pense que tu pourrais sans problème le publier sur ton blog, mais ce n'est que mon opinion... ;)

    A bientôt,

    RépondreSupprimer

Laissez-moi vos doléances, et je verrai.

La modération des commentaires est activée 14 jours après la publication du billet, pour éviter les SPAM de plus en plus fréquents sur Blogger.