vendredi 18 juillet 2008

Un enseignant se suicide...

Les journaux l'annoncent ce matin : un professeur d'histoire-géographie a mis fin à ses jours. Cet homme a été retrouvé pendu dans une forêt près de Fessy, en Haute-Savoie. Ce professeur était l'organisateur de la sortie scolaire qui avait défrayé la chronique au début du mois de juin. Il avait programmé une sortie basée sur l'histoire de la région, liée sans doute au programme de 5e, centré sur le monde médiéval. Les élèves avaient visité le château d'Allinges le matin et se dirigeait vers la cité médiévale d'Yvoire. Durant ce trajet, le car s'était retrouvé coincé sur un passage à niveau à Allinges et avait été percuté par un train. Le résultat avait été horrible et nous avait tous marqué : sept gamins tués sur le coup et trois grièvement blessés.


Pourtant, l'enquête semble montrer que l'enseignant n'avait rien à voir avec l'accident. C'est plutôt le chauffeur de car que les journaux désignent comme le responsable de la catastrophe, même s'il nie toujours. Là-dessus, on devra attendre le procès pour se faire une idée, entre défaillance humaine et défaillance technique. L'enseignant n'y est donc pour rien.


Les journaux expliquent ce matin que l'enseignant était très marqué par l'accident. Évidemment, je ne connais rien de cet homme, et je ne peux pas savoir s'il n'y a pas eu d'autres facteurs qui ont pu expliquer ce suicide. Le Figaro affirme qu'il avait reçu un soutien psychologique, et je suis sûr que ses collègues ont été autour de lui, car la solidarité est forte dans la communauté enseignante.


Cependant, je voudrai, cher lecteur, tenter de te montrer pourquoi ce suicide ne me semble pas aussi incohérent que cela. Lorsque nous sommes en classe avec nos élèves, nous sommes légalement responsables d'eux : les parents, d'après la loi, nous délèguent leurs responsabilités pendant les 55 mn durant lesquelles nous les avons sous la main. Dans ce cadre, l'accident est rarissime, mais il arrive. Souvenez de cette affaire, il y a deux ans, dans une école primaire du Nord, où un gamin avait basculé par la fenêtre sans que l'enseignant s'en rende compte.


Lorsqu'on fait un voyage scolaire, et je peux en parler, car j'y ai participé et j'en ai organisé, la responsabilité est décuplée. Les profs d'histoire-géographie utilisent beaucoup les sorties et les voyages, parce que cela rend notre enseignement vivant. Dans ces situations, les parents nous remettent leurs gosses pour un temps long, avec une charge émotive forte. Ces voyages demandent en plus une organisation lourde, un travail important et une prise de responsabilité maximum. Je sais que si un de mes propres élèves avait eu un accident durant un voyage, j'en aurai ressenti une culpabilité, même si je n'avais rien à y voir.


A cela s'ajoute les sentiments, que tout enseignant développe pour ses élèves, cette espèce d'affection un peu filiale, un peu maternelle ou paternelle. La culpabilité en est décuplée dès qu'il y a un problème. Avec le temps, les profs arrivent à gérer cela plutôt bien, mais parfois, dès qu'une faiblesse psychologique apparaît chez nous, cela ressort et nous submerge.


Je sais que ces explications ne s'appliquent peut-être pas au cas qui nous occupe ici, mais elles me semblent assez cohérentes, et peuvent te permettre, cher lecteur, de saisir un peu mieux le geste d'un professeur sûrement investi, responsable, voulant aussi faire toucher à ses élèves l'histoire directement, et qui n'a pas dû pouvoir supporter leurs morts. Je crois que, dans ce cas, j'aurai peut-être vécu le même processus.


Je sais que cela ne sert à rien ici, mais je voulais quand même présenter mes condoléances à la femme et aux enfants de ce collègue, et assurer aux professeurs du collège de Margencel que tous les personnels de l'éducation comprennent ce qu'ils vivent aujourd'hui, et sont touchés personnellement, même si c'est moins qu'eux. Tenez bon, chers collègues !

15 commentaires:

  1. Sur un sujet aussi grave, les mots sont difficiles à trouver. Je sais qu'au sein des enseignants il existe une grande solidarité, mais je pense aussi que parmi les parents d'élèves (leurs associations sont composées de volontaires) beaucoup vous soutiennent, vous respectent, et s'associent à votre douleur.

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  2. j'aime bien comment tu écris on dirait un poète lOol!
    j'aimerais en savoir un peu plus sur toi : tout d'abord est - ce que tu es célibataire? si oui rep moi please!! bisouXxX!!
    Fiona

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  3. Bonjour Fiona,

    Merci pour les compliments.

    Je voulais de plus te signaler que ma conjointe, qui n'avait pas regardé mon blog depuis un mois, vient de le lire et est tombée sur ton commentaire. Grâce à lui, elle va me lire tous les jours maintenant.

    ;)

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  4. Je m'associe bien sûr aux condoléances.

    Cela dit, tu parles de "responsabilité pénale". Je ne suis pas d'accord : le pénal n'a rien à faire dans l'histoire, d'autant qu'a priori (je ne connais pas l'affaire) et comme tu le dis : il n'y est strictement pour rien.

    La responsabilité est plus "morale". Le sentiment "tout ça c'est de ma faute" et le sentiment (que tu évoques) développés par les profs envers les élèves sont beaucoup plus importants.

    Je sais ce que c'est. Je vais en faire un billet.

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  5. N.B. : En écrivant : "Je sais ce que c'est. Je vais en faire un billet."... je ne voulais pas passer pour péremptoire mais une vague d'émotion d'a rattrapée aussi bêtement que subitement. Je m'en explique dans le billet en question... Je suis peut-être un blogueur zinfluent mais aussi un blogueur zémotif pour des conneries.

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  6. ohlalala!! dommage mathieu! Fiona

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  7. En tout cas je ne peux m'empêcher d'avoir un forme de respect et d'admiration pour la droiture et l'humanité de ce prof, avec cet espèce de "hara kiri", en même temps qu'un sentiment de gâchis d'autant plus marqué qu'il n'y était effectivement pour rien...

    Je serais curieux de savoir comment se sent le chauffeur du bus...

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  8. Nicolas : je ne pense pas que l'on pouvait prendre ton commentaire comme arrogant ou préremptoire.

    Très bon billet en tout cas...

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  9. Elyas : le chauffeur de bus continue de nier, apparemment. Vu que l'enquête n'est pas achevée, on verra bien à ce moment-là. Si cela se trouve, c'est vraiment le passage à niveau qui a mal fonctionné...

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  10. J'ai travaillé comme animatrice et à ce titre, j'ai souvent fait des sorties avec des enfants sous ma responsabilité.
    Ce que tu dis est vrai, je le ressens comme cela.
    les enfants nous sont confiés et bien souvent nous lions des relations. il suffit parfois d'un grain de sable qui coince le système(comme cela m'est arrivé)pour que l'on se sente responsable à un niveau supérieur. tout cela est très subtil..

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  11. Très subtil, et parfois difficile à surmonter.

    Tout dépend en fait de la stabilité psychologique de l'adulte. Les enfants sont parfois très déstabilisants, même si ce n'est pas leur objectif. Les ados le sont tout autant, car ils nous renvoient à notre propre moi adolescent, et à toutes nos souffrances en suspens. Je ne sais pas dans quel état était ce collègue mais il n'a à l'évidence pas pu le supporter.

    Je plains beaucoup sa femme et ses enfants en tout cas. Je ne sais pas comment les deux gamins prennent le fait que cet homme se soit suicidé pour les sept morts mais les ait abandonnés de par ce geste. J'espère qu'ils sont bien entourés...

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  12. le suicide est un geste très violent qui laisse profondément démuni. Tous les repères volent en éclats.
    Je l'ai vécu cette semaine. J'espère aussi que les enfants sont bien entourés ainsi que la mère car la personne qui met fin à ses jours choisi son départ. Elle est actrice.
    Pour ceux qui restent c'est un abandon.
    Je suppose que cet homme devait être trop fragile psychologiquement pour réagir comme cela. en même temps, il a "oublié" sa propre famille.
    Ce geste est très personnel et inutile puisqu'il ne fera jamais revenir les enfants disparus.
    Il ne fait que rajouter à la confusion. C'est terrible.
    En fait, ce que je ressens moi-même vis-à-vis du suicide de ma soeur, c'est de la colère et de l'incompréhension. Il y avait d'autres solutions et la mise en scène macabre pour que son fils la trouve prouve en même temps qu'elle devait être dans une période de grande fragilité...

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  13. Lorsque j'ai entendu la nouvelle dans ma voiture l'autre jour, j'ai eu une bouffée d'émotion. En repensant aux enfants morts, aux familles qui ont soufferts et qui souffrent encore.

    Enfin, à ce professeur, qui n'était pas responsable de cet accident, mais que son amour pour ses élèves et les hasards de la vie ont mis dans un abîme de douleur et de culpabilité.

    Paix à son âme.
    Je ne crois pas en l'âme, mais c'est tout ce qu'on peut lui souhaiter, désormais.

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Laissez-moi vos doléances, et je verrai.

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